Allocution de la présidente au National Healthcare Labour & Employee Relations Forum

Notes d’allocution

Marie-Claude Landry, Ad. E.

Présidente
Commission canadienne des droits de la personne

Le système de santé du Canada laisse-t-il tomber les plus vulnérables? 

Discours-programme devant le
National HealthCare Labour & Employee Relations Forum
(forum national des relations professionnelles et des relations avec le personnel dans le milieu de la santé)

Mardi 24 novembre 2015
Toronto (Ontario)

Je vous remercie pour ce charmant mot de présentation, et je suis reconnaissante à  toutes les personnes qui ont contribué à  l’organisation de cette conférence. 

C’est pour moi un honneur et un véritable plaisir d’être avec vous aujourd’hui.

Je vous avoue que, en tant que présidente de la commission fédérale des droits de la personne, je suis contente de voir des gens collaborer pour instaurer des milieux de travail sains et respectueux.

En affaires, un milieu de travail sain peut faire augmenter votre bénéfice net.

Dans le secteur de la santé, des milieux de travail axés sur le bien-être peuvent changer profondément la vie des gens.

À titre d’ancienne présidente du conseil d’administration du Centre hospitalier Brome-Missisquoi-Perkins, je suis fière de pouvoir dire que je parle en connaissance de cause.

Il s’agit du plus petit centre hospitalier du Québec.

Pour améliorer la qualité des services fournis à  la communauté par ce centre hospitalier, nous nous sommes employés à  en faire un meilleur lieu de travail.

Nous avons donné la priorité à  l’inclusion, à  des normes élevées de déontologie et au respect des différences.

Nous avons demandé à  tout le monde de donner son avis. Et nous avons écouté tout le monde.

Ce centre hospitalier est demeuré le plus petit du Québec, mais il est devenu l’un des plus réputés pour la grande qualité des soins.

Avant de poursuivre, j’aimerais prendre une minute pour vous parler un peu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Le Parlement a voulu que la Loi canadienne sur les droits de la personne de 1977 soit un outil de lutte contre la discrimination. On a voulu garantir des conditions égales pour tous, pour donner l’égalité des chances à  chaque personne au Canada. 

La Loi a contribué à  rendre la société plus juste et plus égalitaire.

La Commission canadienne des droits de la personne a reçu le mandat de veiller à  ce que l’esprit de la Loi se concrétise au sein de la société.

Nous recevons des plaintes fondées sur des motifs de discrimination comme la race, le sexe et la déficience.

Nous contribuons à  la vision du Parlement en faveur d’une société inclusive au moyen de recherches, de l’élaboration de politiques et d’activités de sensibilisation.

La Commission fournit aux employeurs des outils et des guides destinés à  les aider à  instaurer des milieux de travail inclusif, à  tenir compte des besoins de leur personnel et à  régler les conflits.

À titre d’exemple, nous avons rédigé un guide sur les mesures à  prendre pour répondre aux besoins des proches aidants et un autre sur la gestion d’un retour au travail d’un employé qui a vécu une situation grave.

Nous pouvons nous pencher sur un large éventail de questions. Nous nous sommes déjà prononcés sur des enjeux médicaux — que ce soit pour aider des employeurs à  s’adapter aux besoins des membres de leur effectif qui ont une déficience, ou pour réclamer de meilleurs protections contre la discrimination génétique.

Nous sommes un organisme indépendant. Nous sommes un organisme de surveillance qui peut se prononcer sur toute question touchant les droits de la personne au Canada.

Je considère que ce rôle est très important.

Cela étant dit, je voudrais en profiter pour vous parler des millions de personnes au Canada qui ont besoin d’un meilleur accès au système de santé.

Je parle des membres vulnérables de notre société.
…Les gens marginalisés

…Les gens stigmatisés à  cause de leur différence.

…Les gens qui ne peuvent pas se défendre.

Les membres les plus vulnérables de la société ont souvent de la difficulté à  utiliser le système de justice. Ils ont aussi bien souvent de la difficulté à  recevoir des soins de santé.

Dans le même ordre d’esprit, je vous adresse aujourd’hui ce message :

Nous laissons tomber de nombreuses personnes parmi les plus vulnérables de la société quand il est question de soins de santé.

Mettons les choses au clair. Je ne suis pas ici pour critiquer les personnes qui travaillent dans le domaine des soins de santé.

Je suis ici pour vous demander de l’aide.

Je suis ici pour vous demander de l’aide parce que vous êtes bien placés pour être des agents de changement.

Je le pense parce que vous formez le seul regroupement de professionnels qui interagissent directement avec tout le monde dans ce pays — du berceau au tombeau.

Vous occupez une place privilégiée. Les gens vous font confiance. Ils laissent tomber leur méfiance quand ils viennent vous voir.

Ils vous racontent leurs problèmes, leurs inquiétudes, leurs craintes.

Et vous pouvez provoquer de réels et grands changements parce que vous pouvez donner une voix aux patients les plus vulnérables. Vous pouvez parler pour eux.

Et ensemble, en tant que professionnels de la santé, vous avez une voix qui porte. Et vous êtes crédibles.

Je vais vous en donner un exemple.

Quand le gouvernement canadien a réduit le financement des soins pour les personnes en attente du statut de réfugié, vous avez été nombreux à  dire cette mesure était discriminatoire.

La Cour fédérale a statué qu’il s’agissait d’un traitement « cruel et inusité ».

Nous laissions tomber des personnes qui avaient immigré dans ce pays avec l’espoir de ne plus être persécutées.

Les professionnels de la santé l’ont compris et ont formé une vague de protestation contre les réductions budgétaires.

Ils ont amorcé un débat national sur la question.

Et ils ont réussi à  se faire entendre.

Ils ont été capables de remettre cette question à  l’ordre du jour pendant la récente campagne électorale, au point où elle a été abordée pendant les débats des chefs.

Aujourd’hui, le nouveau gouvernement annonce qu’il rétablira aussi « vite » que possible le programme intégral de soins de santé pour les réfugiés.

Voilà un exemple de réel changement grâce au travail de professionnels de la santé — et peut-être que certains d’entre vous y ont contribué.

J’en reviens à  mon message principal.

J’ose espérer que vous pouvez prêter votre voix à  d’autres causes comme attirer l’attention sur la situation d’autres membres de la société qui sont vulnérable et contribuer à  améliorer leur sort.

Nous avons tous un droit égal aux soins de santé.

Mais nous n’y avons pas tous un accès égal.

Je suis certaine que chacun d’entre vous pourrait me citer un cas où vous avez été témoin qu’une personne n’a pas reçu les soins dont elle avait pourtant besoin.

…que le système de santé a laissé tomber une personne vulnérable dans votre communauté.

Je pourrais vous parler de nombreux enjeux de droits de la personne pour lesquels il y a urgence.

Pour l’instant, je vais m’en tenir à  trois groupes parmi les plus vulnérables au Canada : les Autochtones, les personnes transgenres et les personnes ayant une maladie mentale qui se retrouvent en prison.

Les perpétuelles situations défavorables que vivent les Autochtones au Canada représentent de nos jours l’un des enjeux les plus pressants en matière de droits de la personne. Si ce n’est le plus pressant.

Le sous-financement chronique des services de base, en particulier les soins de santé, aggrave les problèmes sociaux complexes. On a comparé la pauvreté dans de nombreuses communautés des Premières Nations à  ce qui se passe dans des pays du tiers-monde.

Quand on analyse les statistiques pour les Autochtones du Canada, les indicateurs pour la santé donne un sombre tableau des conséquences des inégalités et de la discrimination sur la santé des gens.

Un racisme rampant, profondément enraciné, aggrave le problème. Malheureusement, le racisme existe encore dans bien des sphères de notre société.

Selon une étude publiée récemment par le Wellesley Institute sous le titre First Peoples, Second Class Treatment, le racisme dans le système de santé est un facteur déterminant de la mauvaise santé des gens parmi les Autochtones du Canada.

Toujours selon l’étude, des Autochtones se sentent discriminés tellement souvent qu’ils en viennent à  élaborer des stratégies pour se préparer à  réagir en cas de discrimination, avant même de se présenter à  la porte d’un service d’urgence.

D’autres renoncent carrément à  demander des soins.

De nombreuses personnes transgenres disent vivre des situations semblables.

Même si des cas qui font les manchettes contribuent à  sensibiliser la population sur les difficultés qu’elles vivent, les personnes transgenres subissent encore de la discrimination, de l’hostilité et de la violence.

Une récente étude publiée en Ontario montre que les personnes transgenres évitent de demander des soins de santé parce qu’elles vivent de la discrimination dès qu’elles passent la porte d’un établissement.

Selon ce rapport, dix pour cent des personnes transgenres qui se sont présentées à  l’urgence ont partiellement reçu les soins nécessaires ou ont été purement et simplement renvoyées sans soins, parce qu’elles étaient transgenres.

Ce même rapport indique qu’une personne transgenre sur cinq s’est empêchée d’aller à  l’urgence quand elle aurait eu besoin de soins, pour la simple raison qu’elle est transgenre.

Une personne sur quatre a déclaré avoir été rabaissée ou ridiculisée, en raison de son état de transgenre, par un membre du personnel de l’urgence.

De tels incidents ne se produisent pas seulement à  l’hôpital.

Parmi celles qui ont un médecin de famille, environ 40 % des personnes transgenres ont déclaré avoir subi, au moins une fois, un comportement discriminatoire de la part de leur médecin. Ces comportements comprennent le refus de donner des soins, le refus d’examiner certaines parties du corps et l’utilisation d’un langage humiliant.

D’après la même étude, quand une personne transgenre pense au suicide, la discrimination qu’elle a subie est un facteur aggravant. 

Enfin, nous laissons aussi tomber les personnes ayant une maladie mentale qui se retrouvent dans le système carcéral.

Je suis certaine que vous avez tous entendu parler d’Ashley Smith.

Ashley Smith s’est retrouvée en prison après avoir lancé une pommette sur un facteur.

Son histoire est un exemple de ce qui peut se produire quand une personne ayant une maladie mentale ne reçoit pas l’aide nécessaire.

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada a bien expliqué la situation dans son rapport annuel. Je le cite :

« Notre société criminalise, incarcère et interne en quantités alarmantes des personnes atteintes de troubles mentaux.

« Les systèmes de santé et de bien-être social collectifs n'arrivent malheureusement pas toujours à  répondre aux besoins de ces personnes. »

Il a ajouté :

« En conséquence, de plus en plus de personnes atteintes de maladie mentale s'enfoncent dans les rouages du système de justice pénale. »

Une fois ces personnes mises en prison, les choses peuvent empirer. 

Si l’une d’elles ne reçoit pas l’aide nécessaire pendant son incarcération, son état de santé mentale peut empirer.

Si elles n’arrivent pas à  faire ce que le système correctionnel attend d’elles, on les met en isolement cellulaire. Pendant des jours, des semaines ou même des mois dans certains cas.

Selon les études — et le gros bon sens —, l’isolement cellulaire pour les gens qui ont une maladie mentale peut avoir des conséquences très graves sur leur bien être.

Cette pratique peut générer un cercle vicieux qui représentera une descente aux enfers.

La Commission canadienne des droits de la personne considère que les personnes ayant des troubles aigus ou graves de santé mentale devraient être envoyées dans un établissement de traitement ou un hôpital. Pas en prison.

Et l’isolement cellulaire ne devrait jamais être imposé à  des détenus qui ont des troubles aigus ou graves de santé mentale.

Comme je l’ai déjà dit, je ne blâme pas le système de soins de santé. Je vous lance seulement un appel à  l’aide.

La législation relative aux droits de la personne permet aux gens de dénoncer des actes discriminatoires.

Cependant, je ne pense pas que nous puissions laisser aux personnes discriminées la tâche de demander que justice soit faite.

Ces personnes ne devraient pas porter ce fardeau sur leurs seules épaules.

Je le répète, les personnes les plus vulnérables sont souvent celles qui sont les moins en mesure de se défendre.

Quand une personne marginalisée et effrayée lutte pour sa survie au quotidien, il pourrait lui sembler impossible de seulement penser à  dénoncer les injustices subies. Alors, on peut se douter que bon nombre de gens dans la même situation ne peuvent pas se permettre le luxe de se battre pour le respect de leurs droits fondamentaux. 

Voilà pourquoi je considère qu’il est important que chacun d’entre nous dénonce les préjugés et la discrimination. Pour contrer l’indifférence, l’ignorance et l’intolérance.

En tant que Canadiennes et Canadiens, nous sommes fiers de la société inclusive que nous nous sommes donnés.

Je souhaite que, durant vos débats et discussions sur les moyens à  prendre pour instaurer des milieux de travail sains et inclusifs, vous vous demandiez aussi quels sont les moyens à  votre portée pour donner une meilleure qualité de vie aux membres les plus vulnérables de notre société.

En tant que professionnels de la santé, vous avez une voix qui porte. Vous êtes crédibles. Vous êtes capables de provoquer des changements au sein de votre secteur d’activité et au sein de la société canadienne.

Vous consacrez votre vie à  aider les autres.

Y compris les Autochtones.

Y compris les personnes transgenres.

Y compris les personnes emprisonnées qui ont une maladie mentale.

C’est ce qui m’amène à  faire appel à  vous. Au coeur de tout ce que vous faites se trouvent la compassion, le dévouement et une envie d’aider les gens.

Vos efforts et votre voix peuvent changer bien des choses — dans votre milieu de travail, pour les membres les plus vulnérables de la société.

Je suis persuadée que vous êtes conscients du genre de changements que vous pouvez provoquer.

Je vous assure par ailleurs que je suis ici pour vous épauler.

Vous trouverez en moi une partenaire et une alliée prête à  provoquer aussi des changements sociaux positifs…

…en vue de rendre cette société encore plus inclusive. Parce que notre Canada inclut tout le monde.

Merci.

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