Aveuglement volontaire et besoin de guérir

Par David Langtry

Publié dans le Edmonton Journal, le 24 mars 2014.

 

Plus tard cette semaine, j'agirai en tant que témoin honoraire à  la dernière rencontre nationale des survivants des pensionnats indiens qui est organisée à  Edmonton par la Commission de vérité et réconciliation. Cette expérience s'annonce déchirante, mais nécessaire à  la guérison.

 

La mise sur pied de la Commission de vérité et réconciliation fait partie de l'entente conclue – la plus importante de l'histoire du Canada – par suite du recours collectif intenté au nom des dizaines de milliers de survivants et survivantes des pensionnats indiens. On parle de « survivants et survivantes » parce qu'un très grand nombre d'entre eux ont subi de terribles agressions physiques et sexuelles sans en mourir. Cette commission a le mandat de révéler ces vérités dérangeantes et de nous aider à  nous réconcilier avec les Autochtones du Canada.

En cinq ans, cette commission a entendu le témoignage de milliers de survivants. En pleurs, en colère, avec déchirement, ces gens ont parlé de ce qu'ils ont vécu quand on les a retirés de force de leur famille pour les entasser dans des pensionnats austères où sévissaient la faim, les agressions, les maladies et la mort. Comme l'Alberta a compté plus de pensionnats que les autres provinces, on s'attend à  ce que la rencontre de cette semaine attire le plus grand nombre de participants. Dans cette seule province, on recense 12 000 survivants parmi les quelque 80 000 toujours en vie.

On ne peut certainement pas dire que ces Autochtones ont été ainsi traumatisés par accident. Dans les années 1870, les pensionnats indiens ont été créés dans la foulée de la politique officielle du Canada d'assimilation forcée qui visait à  Â« tuer l'indien dans l'enfant », à  envoyer les populations autochtones décimées dans des réserves éloignées et à  laisser le champ libre aux « blancs » pour coloniser l'Ouest.

Les personnes qui connaissent cette histoire peuvent constater les séquelles de cette politique  dans les rues de presque toutes les villes canadiennes. Toutefois, la majorité de la population canadienne ignore ce sombre épisode, ce qui explique leur indifférence.

J'ai grandi à  Winnipeg dans les années 1950. J'ai reçu une éducation peu commune: les stéréotypes racistes, si répandus à  cette époque, n'avaient pas leur place chez nous. Mon père considérait tous les gens comme étant égaux. Il était respectueux avec tout le monde.

Les Autochtones ont toujours eu une bonne influence sur moi. Toutes les fins de semaine, mon père m'amenait au lac Shoal pour camper au coeur d'une communauté des Premières Nations et pêcher au bord du lac. Quand j'ai été en à¢ge de travailler, j'ai accepté un emploi qui m'obligeait à  vivre et à  travailler dans des communautés des Premières Nations d'un bout à  l'autre du Manitoba.

Je me suis fait des amis et j'ai appris beaucoup des enseignements des Aînés, mais personne ne m'a parlé des pensionnats indiens. Ce n'est que des années plus tard, quand je suis devenu sous-ministre adjoint des Services à  l’enfance et à  la famille du Manitoba, que j'ai été bouleversé d'entendre parler pour la première fois des profondes et persistantes séquelles des pensionnats sur les survivants et leur famille.

Il faut se rappeler que les pensionnats indiens ont été institués par le premier premier ministre du Canada et qu'ils n'ont été abolis que dans les années 1990. Plus de 150 000 enfants y ont été envoyés. Or, des études montrent que les traumatismes psychologiques se transmettent d'une génération à  l'autre. Une étude menée par des chercheurs de l'Université d'Ottawa et de l'Université Carleton le confirme : un traumatisme vécu par des parents qui ont séjourné dans un pensionnat a des conséquences néfastes sur leurs enfants. Si plusieurs générations ont vécu dans des pensionnats, les répercussions négatives sont cumulatives.

Les résultats de ces études aident à  comprendre pourquoi les Autochtones du Canada sont en retard sur nous quand on évalue les indicateurs de bien-être comme l'éducation, l'emploi et la santé. Pourtant, bien des gens ne voient pas le lien entre les difficultés vécues par les Autochtones aujourd'hui et les répercussions des impitoyables politiques gouvernementales. Notre indifférence vient peut être de ce qu'on nous a enseigné à  l'école, ou plus précisément de ce que l'on ne nous a pas enseigné.

L'aveuglement volontaire devant les horribles pensionnats indiens était aussi une stratégie gouvernementale. En 1907, le gouvernement a engagé le Dr Peter Bryce pour lui faire rapport sur les conditions sanitaires des pensionnats de l'Ouest du Canada. Le médecin a découvert que le taux de mortalité dans les pensionnats de l'Alberta atteignait l'effarante proportion de 50 %.

Ottawa a réagi en congédiant le Dr Bryce, en abolissant son poste, en cessant de produire des rapports et en cachant les faits. Quelque temps plus tard, le gouvernement fédéral a rendu les pensionnats indiens obligatoires pour tous les enfants autochtones.

Voilà ce qui explique en partie l'importance des excuses présentées en 2008 par le gouvernement actuel aux Autochtones. Pourtant, ces excuses, nécessaires depuis trop longtemps, n'étaient qu'une première étape. L'histoire des pensionnats indiens doit être enseignée à  nos enfants. Ce n'est pas qu'un chapitre honteux de l'histoire du Canada. C'est notre histoire. Nous ne devons pas nous faire complices de cet aveuglement volontaire.

Ce dimanche, je m'engagerai personnellement à  contribuer à  renseigner la population canadienne sur notre passé collectif et cet héritage de traumatismes. Je veux faire partie du processus de guérison parce que nous devons connaître la vérité et en assumer la responsabilité pour trouver le chemin de la réconciliation de nos populations.

La guérison s'étendra peut-être sur plusieurs générations, mais elle passera en partie par l'éducation. Comme l'a dit souvent le chef Wilton Littlechild, commissaire à  la Commission de vérité et réconciliation : « L’éducation nous a mis dans cette situation, c’est elle qui nous en sortira. »

 

David Langtry est le président par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne

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