Il faut faire mieux en matière de multiculturalisme

Par David Langtry

Publié dans le Huffingtonpost Journal, le 12 novembre 2014.

La discrimination ethnique est-elle bien présente au Canada? Pas selon un nouveau sondage de la chaîne anglaise de Radio-Canada publié cette semaine, selon lequel le trois quarts des répondants estime que le Canada est un endroit accueillant pour toutes les ethnies.

Mais est-ce bien l'expérience des nouveaux arrivants?  Les résultats d’un sondage réalisé par Insights West, publiés le mois dernier dans le Sun de Vancouver, semblent indiquer le contraire: les Canadiens ne sont pas prêts à  se rendre à  l'évidence en ce qui a trait à  la discrimination ethnique;  le problème est plus grave que ce qu'aimeraient croire les Canadiens.

Quand, tel que rapporté par le Sun, plus d’un quart des Britanno-Colombiens d’origine chinoise ou sud-asiatique disent aux sondeurs qu’ils ont perdu une occasion d’emploi en raison de leur ethnicité, il y a lieu de croire que quelqu'un ne passe pas de la parole aux actes pour ce qui est du multiculturalisme au Canada.  Qui plus est, bon nombre études semblent l'indiquer, nous ne sommes pas si ouverts et accueillants que nous devrions l’être si nous voulons nous assurer d'avoir une croissance et une prospérité continues.

Un fait dérangeant se trouvait enfoui sous les données de la plus récente Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada : les travailleurs qualifiés titulaires d’un diplôme d’études supérieures qui sont arrivés au Canada entre 2006 et 2011 sont quatre fois plus susceptibles d’être au chômage que leurs homologues nés au Canada. 

Malheureusement, cette tendance s’aggrave. Les nouveaux Canadiens, même en étant plus instruits, traînent derrière les personnes nées au Canada sur le plan salarial, et ce fossé se creuse de plus en plus. Les nouveaux Canadiens en paient un prix fort, certes. Mais cette situation est également très nuisible pour l’économie. Benjamin Tal de la Banque CIBC a évalué que l’écart en matière de possibilités d’emploi et de salaire entre les nouveaux immigrants et les personnes nées au Canada a entraîné des pertes de plus de 20 millions de dollars pour l’économie du pays en 2012. 

Ces pertes de possibilités tournent rapidement au désespoir. Selon un rapport de Statistique Canada publié en 2006, 40 % des immigrants admis au pays à  titre de gens d’affaires ou de travailleurs qualifiés quitteront le Canada dans les dix années suivant leur arrivée. Environ 20 % des immigrants de sexe masculin en à¢ge de travailler quittent le pays dans l’année qui suit leur arrivée.

Que se passe-t-il donc? Les compétences linguistiques, les aptitudes sociales, les obstacles à  la reconnaissance des titres étrangers, l’absence de réseaux sociaux et le manque de sensibilisation culturelle sont autant de facteurs qui contribuent au problème.

Mais il y a aussi la discrimination. 

Selon Philip Oreopolous, économiste de l’Université de Toronto, les exemples de partis pris et de préjugés ne manquent pas en milieu de travail. Lorsqu’il a envoyé par courriel 6 000 curriculum vitae fictifs à  des employeurs potentiels, il a découvert que les candidats qualifiés ayant un nom de consonance étrangère recevaient moins d’appels pour une entrevue que les candidats ayant un nom plus « familier ». Le seul fait d’avoir le bon nom représente 40 % de plus de chances d’être sérieusement considéré par l’entreprise. 

M. Oreopolous explique que nous nous faisons tous une opinion lorsque nous entendons ou lisons un nom pour la première fois. Il prétend que cette discrimination pourrait être inconsciente. Et elle l’est probablement, car nous avons tous des partis pris. Cela fait partie de la nature humaine. Nos comportements ne correspondent pas toujours à  nos valeurs ou à  nos croyances. 

Reconnaître que nous avons des partis pris est un premier pas vers la résolution du problème. Cette prise de conscience devrait nous inciter à  mettre en place des processus et des politiques qui assurent l’équité. Ces processus peuvent être aussi simples que d’empêcher le responsable du tri des candidatures d’une entreprise de voir le nom et la nationalité des candidats. Les employeurs pourraient également s’assurer d’avoir un processus de sélection ouvert aux immigrants en incluant des nouveaux Canadiens dans les comités de sélection. 

Une autre bonne idée serait de retirer l’exigence absolue de posséder de l’expérience au Canada lorsque ce n’est pas vraiment nécessaire. La Commission ontarienne des droits de la personne affirme que cette pratique est potentiellement discriminatoire et a demandé à  des entreprises de retirer cet obstacle. J’ai bon espoir que les organisations de partout au pays regarderont de plus près la façon dont ils recrutent de nouveaux employés et s’assureront que leurs processus d’évaluation des compétences et des qualifications des candidats sont les plus équitables et objectifs possible.

De telles mesures sont bonnes pour les affaires. Il est bien connu que les employeurs qui ont un effectif diversifié devancent leurs concurrents. D’ailleurs, on s’attend à  ce que le Canada dépende plus que jamais de la contribution sociale et économique des immigrants dans les années à  venir. Les baby-boomers qui partent à  la retraite et le faible taux de natalité réduisent le bassin de main-d’oeuvre intérieur. Le niveau de vie du pays en entier ne pourra pas être maintenu sans une augmentation considérable du nombre de travailleurs immigrants, explique monsieur Tal.

La nécessité de prendre des mesures pour remédier à  la situation n’échappe pas au gouvernement du Canada. Le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a apporté plusieurs modifications au processus d’immigration afin d’en améliorer les résultats pour les nouveaux Canadiens. 

Cela dit, nous avons tous un rôle à  jouer. En 1982, la Commission canadienne des droits de la personne a accepté 113 plaintes pour discrimination fondée sur des motifs tels que la race, la couleur de la peau, la nationalité ou l’origine ethnique. Aujourd’hui, ce nombre a presque triplé. Il faut faire mieux, mais pas uniquement pour défendre nos valeurs en tant que société : le succès de notre pays pour les années à  venir dépend de la réussite des nouveaux arrivants d’aujourd’hui.

 

David Langtry est le président par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne

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