Reconnaître ce passé, accepter notre responsabilité et demander pardon

Notes d'allocution de

David Langtry

Président par intérim

de la 

Commission canadienne des droits de la personne

 

Déclaration en tant que témoin honoraire

au dernier événement national de la Commission de vérité et réconciliation 

 

tenu du 27 au 30 mars 2014

Edmonton (Alberta)

Le texte prononcé fait foi

 

Aux commissaires, aux survivantes et survivants, aux aînées et aînés, aux chefs, aux autres témoins honoraires, mesdames et messieurs, merci. Je vis un sentiment de grande humilité et je suis honoré de témoigner ici, sur le territoire traditionnel des Cris des plaines visés par le traité no 6.

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J'ai grandi à  Winnipeg dans les années 1950. Je crois avoir reçu une éducation très peu commune comparativement à  bien d'autres Blancs de Winnipeg.

Les stéréotypes racistes n'avaient pas leur place chez nous. 

Mon père considérait tous les gens comme étant égaux et était respectueux avec tout le monde.

Quand j'étais enfant, pendant des années, nous avons passé toutes nos fins de semaine à  pêcher au lac Shoal, où les membres de cette Première Nation nous ont toujours bien accueillis. Ils nous ont appris comment faire de beaux filets de dorés quand nous en attrapions.

Ils nous traitaient comme leurs égaux. 

Les années ont passé, et j'ai continué à  passer du temps dans des communautés des Premières Nations – pendant mes études universitaires, j’ai passé trois étés à  travailler dans des communautés des Premières Nations d'un bout à  l'autre du Manitoba. J'ai appris beaucoup des enseignements des Aînés, j'ai travaillé auprès de chefs, de conseillers, d'employés du conseil de bande et d'autres membres de ces communautés qui m'ont appris bien des choses. 

Pourtant, pendant toutes ces années, personne ne m'a parlé des pensionnats indiens. 

Ce n'est que des années plus tard, quand je suis devenu sous-ministre adjoint des Services à  l’enfance et à  la famille du Manitoba, que j'ai été bouleversé d'entendre parler des pensionnats et de leurs horribles conséquences.

Je suis ici depuis quatre jours et j’ai beaucoup appris. Et j’ai encore beaucoup à  apprendre.

J’ai entendu des histoires tragiques d’enfances perdues et volées; de familles déchirées; de jeunes enfants victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques, morales et spirituelles; de traumatismes intergénérationnels; et de cycle perpétuel de toxicomanie et d'alcoolisme, de violence et d’agressions. 

J'ai aussi été témoin de la bravoure, du courage, de la force et de l’incroyable résilience des survivantes, des survivants et de leur famille. 

Ils ont enduré... Vous avez enduré des souffrances physiques et mentales inimaginables en étant victimes de politiques d’assimilation racistes, en étant arrachés de votre foyer, de votre famille et de votre communauté, et en étant privés de l’amour dont vous aviez besoin et que vous méritiez. 

Malgré cela, vous avez persévéré. Vous avez tenu tête. 

Et vous l’avez emporté. 

Beaucoup de ceux qui ont livré un témoignage ont parlé de pardon et d’espoir pour un avenir assuré par une véritable réconciliation. 

Une réconciliation avec votre famille, votre communauté et le reste de la population canadienne. 

Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, malgré tout, vous avez conservé un grand sens de l’humour et vous prenez plaisir aux taquineries et aux plaisanteries sans malice. 

Les survivantes et les survivants ne devraient pas être les seuls à  porter le poids de ces histoires. 

Cet épisode doit retomber sur les épaules de toute la population canadienne. Comme on l'a dit, il ne s'agit pas d’un problème autochtone, mais d’un problème canadien.

Nous devons le faire nôtre et en assumer la responsabilité. 

Cela commence par la sensibilisation. Nous avons tous la responsabilité d'apprendre ce qui s'est passé dans les pensionnats indiens et de faire en sorte que l'ensemble de la population canadienne connaisse la vérité.

Comme on le dit souvent, il faut commencer par reconnaître la vérité, l'accepter et la comprendre avant de pouvoir réellement prendre ensemble le long chemin de la réconciliation.

je m'engage personnellement à  contribuer à  renseigner la population canadienne sur notre passé collectif et cet héritage de traumatismes, qui se poursuit. Je le fais dans trois sphères d’influence dans lesquelles j'ai le privilège d'évoluer.

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Mais, avant de vous parler de ces trois sphères, je veux vous raconter ce qui m'est arrivé il y a plusieurs années.

J’ai eu l’honneur et le privilège d’être invité à  rencontrer des Aînés réunis à  Turtle Lodge, dans la Première Nation Sagkeeng. Au moment où je me suis approché du pavillon, le sage gardien du feu qui entretenait le feu sacré m’a demandé qui j'étais. J’ai répondu : « Je m’appelle David Langtry, et je suis le président par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne. » Il m’a regardé, m'a souri et a répliqué : « Non, vous êtes un être humain. »

Je n'ai jamais oublié cette remarque. Alors, je tiens à  préciser que je décris les trois sphères d'influence uniquement pour expliquer ce que je souhaite faire pour qu'il y ait réconciliation et pour mettre fin au racisme et à  la discrimination à  envers les Autochtones.

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Premièrement, à  titre de président de la Commission canadienne des droits de la personne.

La Commission, depuis trois ans seulement, a tous les pouvoirs pour accepter les plaintes de discrimination concernant tout acte répréhensible commis en vertu de la Loi sur les Indiens ou découlant de cette dernière. Les membres des Premières Nations n'ont pas pu faire appel à  la Commission canadienne des droits de la personne comme tous les autres Canadiens depuis 1977, lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée.

Nous avons donc donné la priorité à  nos activités auprès des Autochtones dans l'ensemble de la Commission et nous continuerons de le faire. 

J’ai dit et répété que les problèmes vécus par les Autochtones sont parmi les plus urgents enjeux en matière de droits de la personne, voire les plus urgents, au Canada aujourd'hui, et je le répéterai encore.

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Nous savons que les Autochtones, surtout les femmes autochtones, se heurtent à  des obstacles importants avant d'avoir accès à  la justice. 

Nous avons donc organisé à  ce jour cinq tables rondes à  l'intention des femmes autochtones, à  Winnipeg, à  Ottawa, à  Halifax, à  Vancouver et à  Montréal. Nous prévoyons en organiser une dans le nord du pays en juin. Nous invitons les femmes autochtones à  venir nous parler de ce qu'elles vivent, de leurs peurs, de leurs préoccupations, des obstacles qu'elles rencontrent et de ce que l'on peut faire pour éliminer ces obstacles.

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En vertu de la loi, nous devons représenter l’intérêt public, ce qui veut dire que nous avons soutenu et soutenons encore l’Assemblée des Premières Nations et Cindy Blackstock et la Société de soutien à  l’enfance et à  la famille des premières nations du Canada dans la cause connue simplement sous le nom du « cas de l’aide à  l’enfance ». Les plaignants allèguent qu'il y a discrimination puisque le financement pour l'aide à  l’enfance dans les réserves est beaucoup moins élevé que celui octroyé pour les enfants non autochtones qui n'habitent pas dans des réserves. 

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Je ferai en sorte que la Commission continue d’informer la population canadienne sur les réalités de la marginalisation, de la pauvreté, du racisme et de l’exclusion qui font partie du quotidien des Autochtones. Je veux aussi leur montrer que ces problèmes sont enracinés dans notre passé entaché par la colonisation et les pensionnats indiens. 

Je parlerai aussi de la force inébranlable et de la fierté invincible que les Autochtones puisent dans leur langue, leur culture, leur riche histoire, leurs coutumes, leurs traditions et leur spiritualité. 

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Deuxièmement, je suis présent dans une autre sphère à  titre de président de l'association regroupant toutes les commissions des droits de la personne, aussi bien fédérale, provinciales que territoriales, c'est-à-dire l'Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne ou ACCCDP.

Grâce à  l’ACCCDP, j'aiderai des institutions de droits de la personne de partout au Canada à  persuader les gouvernements provinciaux et territoriaux de faire entendre votre histoire personnelle et notre histoire commune dans les salles de classe.

Comme le chef Littlechild se plaît à  dire : « L’éducation nous a mis dans cette situation, c’est elle qui nous en sortira. »

Toutes les personnes réunies ici sont heureuses d’entendre le gouvernement de l’Alberta s'engager à  inclure l’histoire des pensionnats indiens et les traités au programme scolaire obligatoire de la maternelle à  la 12e année. Nous sommes tous heureux aussi de savoir que le gouvernement du Yukon s'engage à  faire de même. 

Les membres de l’ACCCDP encourageront et inciteront toutes les provinces et tous les territoires à  les imiter.

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L’an dernier, les membres de l’ACCCDP ont voté à  l'unanimité en faveur d’une résolution enjoignant au premier ministre d'instituer une enquête publique nationale sur les femmes et les jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. Nous maintenons cette résolution et cet appel à  l’action

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J’ai le plaisir, avec le président de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, de coprésider le groupe de travail de l'ACCCDP sur la mise en oeuvre complète, dans toutes les administrations, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

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Troisièmement, la dernière sphère dans laquelle je peux agir est en tant que mari, père, grand-père et être humain.

Je m’engage pour le restant de ma vie à  raconter cette histoire – vos histoires – et à  aider les gens à  vous comprendre tant que je le pourrai, de manière à  faire un pas de plus vers la réconciliation.

Pour illustrer à  cet engagement, j’offre ce cadeau à  la Bentwood Box.

Je suis l’heureux grand-père de jumeaux de huit mois.

Un garçon et une fille. 

Bence et Halina. 

Ces couvertures ont servi à  les emmailloter à  de nombreuses reprises. On les a souvent déposés dessus.

Une couverture de bébé symbolise la chaleur et le réconfort que nous donnons à  nos enfants. 

Elle symbolise également notre responsabilité de protéger et de garder en sécurité nos enfants, de prendre soin d'eux.

Je veux donner les couvertures de mes petits-enfants à  la Bentwood Box. C'est en premier lieu un gage de reconnaissance que les non-Autochtones du Canada ont failli à  leur responsabilité collective de protéger des milliers d’enfants autochtones d’un océan à  l’autre, et de prendre soin d'eux. Non seulement avons-nous failli à  la tâche, mais nous avons aussi causé des torts considérables et même irréparables pour certains. 

Nous devons reconnaître ce passé, accepter notre responsabilité et vous demander pardon.

En second lieu cependant, je donne ces couvertures pour vous dire l'espoir que j'ai de voir la génération de mes petits-enfants en arriver à  une véritable réconciliation et à  l’égalité avec les Autochtones. 

Je sais que ma génération n'y arrivera pas, et peut-être pas celle de mes enfants non plus.

J’espère ardemment par contre que nous progresserons vers cet objectif de mon vivant et du vivant de mes enfants, et que nous l'atteindrons finalement du vivant de mes petits-enfants.

Je vous remercie encore de votre générosité d'esprit et de l'honneur que vous me faites.

Meegwetch 

Date modifiée :