David Langtry parle de la constante importance des institutions nationales des droits de l'homme à un colloque organisé par le Bureau des Affaires étrangères du Royaume-Uni

Notes d'allocution pour

David Langtry,

président par intérim

de la

Commission canadienne des droits de la personne

 

Le jeudi 5 mars 2015

Londres (Royaume-Uni)

Bonjour Mesdames et Messieurs. 

Merci pour ce charmant mot de présentation.

Je remercie également l'Equality and Human Rights Commission de m'avoir invité en tant qu'orateur aujourd'hui.

J'en suis à  la fois honoré et heureux.

Je suis ici pour vous transmettre trois messages. Disons que je vous ai préparé un repas de trois services, suivi d'un dessert.

Voici mon premier message : les lois sur les droits de l'homme en elles-mêmes ne font pas cesser la discrimination. Il faut plus que des mots sur du papier. Pour s'ancrer et durer dans n'importe quelle société, des valeurs comme l'égalité des chances doivent être appuyées par des institutions qui ont le mandat de les promouvoir et de les protéger.

Mon second message découle du précédent : les institutions nationales des droits de l'homme représentent le lien manquant entre les promesses d'un à‰tat de défendre les droits de l'homme et la situation vraiment vécue par ses citoyennes et citoyens.

Voici mon troisième message (qui est important pour les démocraties modernes souhaitant promouvoir les droits de l'homme, une mission commune du Royaume-Uni et du Canada sur la scène internationale) : des institutions nationales des droits de l'homme qui sont dynamiques donnent aux gouvernements la crédibilité dont ils ont besoin dans leurs interactions avec d'autres nations.

Le menu peut vous sembler lourd, mais ne vous inquiétez pas!

Je peux vous rassurer en vous disant qu'après tout à§a – ce sera le dessert! – je mettrai dans l'assiette un exposé sur les méthodes utilisées par les institutions nationales des droits de l'homme pour surveiller et évaluer le rendement des unes et des autres, conformément au cadre validé par les Nations Unies que l'on appelle les Principes de Paris.

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. C'est le principe central de la Déclaration universelle des droits de l'homme, que les Nations Unies ont adoptée en 1948, au lendemain de la guerre.

Ces mots méritent d'être répétés. D'une façon ou d'une autre, la civilisation occidentale s'est battue pour eux, souvent malgré d'incroyables obstacles, pendant des siècles et des siècles. Du sang a coulé encore et encore pour les défendre.

Mais ce n'est que dans la seconde moitié du 20e siècle que de telles valeurs ont vraiment pu se propager.

Ce qui ne s'est pas fait par accident.

Il a fallu travailler fort.

Depuis l'adoption de la Déclaration universelle, la communauté internationale s'est efforcée de définir les obligations des à‰tats en matière de droits de l'homme.

Par la suite, la plupart des à‰tats ont adopté des lois pour y enchâsser ces obligations. Dans la plupart des cas, les à‰tats sont allés jusqu'à créer leur propre institution nationale des droits de l'homme pour appliquer leur loi relative aux droits de l'homme.

Voilà donc la genèse de la Commission canadienne des droits de la personne.

Notre Commission a le mandat de faire connaître la Loi canadienne sur les droits de la personne et les obligations et responsabilités des gens, des employeurs et des fournisseurs de services sous réglementation fédérale.

Nous recevons aussi des plaintes et nous faisons enquête quand les pratiques ou les politiques discriminatoires causent du tort. Lorsque la situation le justifie, nous renvoyons la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu'il rende une décision. Dans ce processus quasi judiciaire, nos avocats y prennent part pour défendre l'intérêt public, pour préciser les points de loi et pour veiller à  ce que les gens les plus vulnérables aient accès au système de justice relatif aux droits de la personne.

Je suis fier d'avoir été recruté pour promouvoir et protéger les droits de la personne au Canada. Je suis aussi fier d'avoir le privilège de collaborer avec des dirigeants dans des pays ayant les mêmes vues, dans le but de favoriser l'instauration d'institutions nationales des droits de l'homme qui seront solides, indépendantes et efficaces, et ce, partout dans le monde.

Pourquoi collaborer en vue d'atteindre cet objectif? Chacun de ces pays sait — pour avoir retenu les leçons de sa propre expérience — qu'il faut un travail constant et concerté pour concrétiser les valeurs ambitieuses mises de l'avant dans les lois sur les droits de l'homme.

Il faut travailler fort pour que ces valeurs se concrétisent au quotidien.

Je suis toujours surpris d'entendre quelqu'un déclarer qu'il n'est plus nécessaire de promouvoir et protéger ces valeurs.

Même dans les pays aussi « civilisés » que le nôtre, à  ce qu'il me semble, nos droits pourraient facilement devenir dénués de sens si nous cessions de les défendre.

Il faut plus que des mots écrits sur du papier.

Au Canada, nous ne manquons pas de mots écrits sur du papier. La Loi canadienne sur les droits de la personne, la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que des textes de loi provinciaux et territoriaux pour protéger les droits de la personne se complètent pour défendre les libertés fondamentales aussi bien que le droit de vivre à  l'abri de la discrimination.

Nos lois ne tirent pas leur puissance dans la beauté de leur prose (ou d'une absence de beauté), mais bien dans la vigueur et la résilience des institutions créées pour les appliquer.

Et même à  cela, bien des gens au Canada sont confrontés à  de perpétuelles situations désavantageuses. Bon nombre vivent encore de la discrimination, avec tout ce que cela comporte de répercussions négatives sur leur qualité de vie.

L'un des enjeux les plus urgents au Canada relativement aux droits de la personne est la situation vécue par de nombreux Autochtones.

Plusieurs centaines de milliers d'Autochtones vivent dans une réserve, où la plupart des choses du quotidien et la gouvernance sociale sont régies par une loi datant du 19e siècle, soit la Loi sur les Indiens.

La Loi sur les Indiens est peut-être la dernière loi en vigueur dans une démocratie moderne qui régit une population selon des préceptes fondés sur la race. Ce vestige du colonialisme n'a pas vraiment été actualisé pendant près de 140 ans.

La Loi sur les Indiens établit un contexte d'exclusion socioéconomique qui génère des contraintes démesurées et une qualité de vie généralement inférieure pour les Autochtones.

Dans de nombreuses réserves, il n'y a pas assez de logements acceptables, d'eau potable, d'un accès à  une éducation de qualité, et d'autres services de base que la plupart des gens tiennent pour acquis au Canada.

Les Autochtones et leur famille luttent pour vivre malgré les séquelles générées par des années de négligence et de mauvais traitements : pauvreté, itinérance, toxicomanie et criminalité avec violence.

Évidemment, cette situation va à  l'encontre des valeurs canadiennes.

Des valeurs d'égalité, de dignité et de respect.

Des valeurs enchâssées dans nos lois.

Des valeurs enracinées dans notre identité nationale, comme nous nous plaisons à  le penser.

Or, au Canada, nous avons encore beaucoup de travail à  faire pour promouvoir et protéger les droits de la personne. Aussi « civilisée » que puisse être notre société, il reste manifestement beaucoup de travail à  faire.

Il revient aux institutions nationales des droits de l'homme de maintenir les questions de droits de l'homme à  l'ordre du jour, et d'inciter les gouvernements à  réagir lorsque les mots ne sont pas transposés dans la réalité.

Éliminer les obstacles à  l'égalité des chances, supprimer les conséquences des traitements défavorables, voilà des objectifs que nous regroupons parfois dans la notion d'inclusion sociale.

L'inclusion sociale n'est pas seulement une question de justice morale. L'inclusion sociale servirait notre propre intérêt.

Le capital humain est notre plus grande richesse.

Ce n'est pas un hasard si les sociétés inclusives sont caractérisées par des taux de criminalité inférieurs et par un PIB plus élevé par habitant. 

Les sociétés inclusives sont tout simplement de meilleurs milieux de vie.

Le gros bon sens veut qu'on ne gaspille pas le potentiel humain pour des considérations fondées sur les préjugés, l'intolérance ou encore la haine raciale ou idéologique.

Comme l'a dit notre premier ministre, l'inclusion sociale fait partie de nos tâches.

Nous devons tous y travailler. Et nous ne pouvons pas encore dire mission accomplie.

Voilà pourquoi je dis que les lois sur les droits de l'homme doivent être appliquées par des institutions, tout comme les codes criminels ne serviraient à  rien sans la police et les tribunaux.

Mon deuxième message n'apporte vraiment qu'une nuance de plus :

Les institutions nationales des droits de l'homme — que je désignerai maintenant par leur acronyme INDH — représentent le lien manquant entre les promesses d'un à‰tat de concrétiser notre idéal de valeurs et ce qui se passe en réalité dans la vraie vie. Elles font le pont entre les gens et l'État.

Permettez-moi d'illustrer mon propos avec des exemples précis que nous avons vécus au Canada.

Les lois existent, les institutions chargées de les appliquer existent, pourtant, c'est grâce à  des gens qui se sont levés pour faire respecter leurs droits si notre société est devenue plus égalitaire.

Les gens qui ont utilisé la loi comme outil de changement ont contribué largement à  l'inclusion sociale.

Les plaintes déposées à  la Commission par des individus ont concrètement amélioré la situation de millions de gens qui auraient autrement vécu de l'exclusion, que ce soit dans le domaine de l'emploi que dans celui des services reçus.

Parce qu'une personne malentendante a porté plainte pour discrimination, le sous-titrage codé est devenu obligatoire pour les chaînes de télévision canadiennes.

De même, les banques prévoient maintenant des guichets automatiques adaptés aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ou qui sont malvoyantes.

Personne ne remettrait aujourd'hui en question la pertinence de ces changements, mais il demeure qu'ils ont été faits parce que quelqu'un a porté plainte pour atteinte à  ses droits de l'homme.

De nos jours, la notion d'accessibilité est un concept accepté par presque tout le monde lorsqu'on dessine les plans d'un édifice public.

Pourtant, en tant que société, nous continuons de négliger, peut-être inconsciemment, les besoins des personnes ayant une déficience.

Je peux vous en donner un exemple : il y a quelques années, un homme à  mobilité réduite n'a pas pu se rendre jusqu'à l'urne électorale le jour d'une élection générale parce que les escaliers qu'il devait utiliser étaient couverts d'une couche de glace. Parce que cet homme a porté plainte, à‰lections Canada a pris l'engagement de veiller à  ce que tous les bureaux de vote soient dorénavant accessibles à  tous.

On aurait pensé que cet organisme n'avait pas besoin d'un rappel à  l'ordre. Pourtant, il a fallu le faire.

Ces changements, tout comme d'autres, ont largement amélioré la qualité de vie de millions de gens.

Nous avons une dette envers ces gens qui nous ont approchés pour porter plainte. 

Qui nous ont mis au défi de trouver le moyen de faire cesser les actes discriminatoires.

Qui nous ont mis au défi de faire en sorte qu'ils puissent profiter de l'égalité des chances, comme le promet la loi.

Il faut une foule d'intervenants et de personnes d'influence pour soutenir et alimenter une culture florissante de droits de l'homme dans toute société.

Les INDH donnent aux autres intervenants et personnes d'influence les moyens d'instituer des changements sociaux.

Ce qui m'amène au troisième service…

Les INDH représentent la volonté d'un à‰tat de faire respecter les droits de l'homme et donnent à  cet à‰tat la crédibilité nécessaire lorsqu'il entreprend de défendre les droits de l'homme dans le reste du monde.

En menant ses activités au sein de l'appareil gouvernemental tout en conservant son autonomie, les INDH donnent la crédibilité et la légitimité dont les gouvernements ont besoin lorsqu'ils tentent de promouvoir les valeurs d'égalité et de dignité humaines par-delà leurs frontières. 

Nous apportons les freins et contrepoids indispensables aux mesures prises par l'État, tout comme celles des intervenants du secteur privé.

J'ai mentionné plus tôt que la communauté internationale s'était efforcée de définir les obligations des à‰tats. Or, elle a aussi défini le cadre de fonctionnement des INDH. On appelle ce cadre les Principes de Paris.

J'expliquerai beaucoup plus en détail ces principes dans la seconde partie de mon allocution, mais en voici les grandes lignes.

Les Principes de Paris établissent les principes généraux quant à  l'indépendance, au mandat et au financement d'une institution. Ils garantissent un processus de nomination transparent et inclusif.

De nos jours, au moins 130 pays se dont dotés d'un INDH.

Grâce à  un système d'évaluation par les pairs dirigé par le Comité international de coordination, les INDH surveillent et évaluent le rendement des unes et des autres en fonction des Principes de Paris.

Le Comité, ou CIC, devient une sorte de gardien de l'ensemble du mécanisme. Je suis le fier président du sous-comité chargé de la reconnaissance officielle.

Les INDH qui respectent parfaitement les Principes de Paris sont cotées « A ».

En plus de rendre une INDH crédible, la cote « A » lui donne de l'influence aux Nations Unies.

À ce jour, 108 INDH ont demandé une reconnaissance officielle, et 72 ont obtenu la cote « A ».

Les commissions du Royaume-Uni, de l'Irlande du Nord et de l'Écosse sont du nombre, tout comme celle du Canada.

Je vous donnerai plus de détails sur le processus de reconnaissance officielle dans quelques minutes.

À l'échelle internationale, une des principales fonctions d'une INDH est le renforcement des capacités. Le plus souvent, elle procède par la mise en commun des pratiques exemplaires, mais il peut arriver qu'elle obtienne une aide complémentaire.

Des INDH ont formé des réseaux pour favoriser le renforcement des capacités.

Comme le Forum des institutions nationales des droits de l'homme du Commonwealth.

La Commission canadienne des droits de la personne a déjà présidé cette organisation.

Le Forum du Commonwealth a été mis sur pied notamment pour aider les INDH membres et pour entretenir les liens entre les diverses INDH, les organisations régionales, les Nations Unies et la société civile.

Presque tous les à‰tats membres du Commonwealth ont mis sur pied leur propre INDH. Comme il existe de grandes variations quant aux ressources et à  l'application conforme des Principes de Paris au sein même du Commonwealth, des INDH déjà en place— dont ceux du Royaume-Uni et du Canada — ont entrepris de jouer un rôle de premier plan en vue d'accroître la sensibilisation et la capacité d'agir.

Pendant le mandat du Canada à  la présidence du Forum du Commonwealth, nous avons assisté à  une transformation fondamentale dans les propos tenus sur les droits relatifs à  l'orientation et l'identité sexuelles.

Au départ, certains membres ont refusé de considérer ces questions autrement que comme des affaires criminelles. Depuis, ils en sont venus à  accepter l'idée qu'il s'agissait d'enjeux fondamentaux de droits de l'homme.

Cette transformation a été possible grâce aux efforts de divers INDH, en particulier ceux des commissions australienne et sud-africaine des droits de l'homme.

Je me doute bien que vous avez tous hâte au dessert. Je terminerai donc cette partie de mon allocution avec la réflexion suivante.

La plupart des gens pensaient que la médecine moderne avait réussi à  éradiquer une certaine maladie infantile en Amérique du Nord.

Nous disposons d'un vaccin efficace et nous pensions avoir mis en place un mécanisme efficace de vaccination obligatoire.

Je parle de la rougeole. Que s'est-il passé? Nous sommes devenus complaisants. Nous avons laissé circuler des idées fausses, sans valeur scientifique, selon lesquelles le vaccin cause du tort, et nous n'avons ni riposté ni contesté ces dires. 

En fait, des personnes responsables d'appliquer les programmes de vaccination semblent s'être repliées dans l'inaction.

Prenons l'exemple d'Ottawa, où les responsables de la santé publique ont inexplicablement décidé de ne pas suspendre de l'école des centaines d'enfants non vaccinés alors qu'il s'agit pourtant d'une mesure obligatoire.

Voici les conséquences de cette inaction : une épidémie a pris naissance à  Disneyland et s'est propagée partout aux à‰tats-Unis avant d'atteindre le Canada, une menace pour la santé des enfants nord-américains.

De manière analogue, les droits que nous avons obtenus de chaude lutte ont besoin de mécanismes efficaces de protection et de promotion. Si les droits paraissent inaliénables en théorie, dans les faits, ils peuvent disparaître.

Comme je l'ai dit plus tôt, il faut plus que des mots. Les lois en elles-mêmes ne peuvent pas faire cesser la discrimination.

Nous vivons dans une époque marquée par les changements technologiques accélérés, des turbulences politiques et économiques mondiales et des menaces à  la sécurité individuelle et nationale.

Dans ce contexte, la promotion et la protection des droits de l'homme conservent toute leur importance. à€ cet égard, la vigueur et l'autonomie des INDH sont essentielles.

Nous devons donc continuer de soutenir et de financer nos institutions nationales des droits de l'homme.

Parce que même dans des pays où les droits de l'homme sont, au sens large, « là et bien là », nous ne pouvons jamais les tenir pour acquis.

Je vous remercie de votre attention.

Date modifiée :