La réconciliation avec les Autochtones est importante pour tout le monde
Par David Langtry
Paru dans le Winnipeg Free Press, le 26 mars 2014
La population du Manitoba ne sera sans doute pas étonnée d'apprendre que nos pénitenciers sont surpeuplés et que la vaste majorité des détenus (70 %) sont Autochtones, comme l'ont révélé le vérificateur général de cette province et Statistique Canada la semaine dernière. Si vous demandez à un Winnipegois ou à une Winnipegoise pour quelle raison il en est ainsi, vous aurez sans doute plus de réponses teintées de frustration et d'accusations que d'empathie.
Pourtant, il devrait en être tout autrement, puisque la population canadienne devrait chercher des explications dans le dédale de notre propre histoire. Il revient à chacun de nous de comprendre notre responsabilité collective, parce que des torts ont été causés par nos prédécesseurs, « supposément » pour le bien de tous. D'une génération à l'autre, nos gouvernements successifs ont appauvri, marginalisé, affaibli et brisé la riche mosaïque de cultures et d'identités autochtones qui s'étendait autrefois sur l'ensemble du pays.
Tout a commencé dès la naissance de notre nation par des politiques d'assimilation forcée destinées à chasser les Autochtones et à coloniser l'Ouest. Les pensionnats indiens, instaurés par une politique du gouvernement fédéral en 1876, étaient les éléments clés de cette stratégie.
Pendant plus d'un siècle, on a retiré de force les enfants autochtones de leur famille pour les entasser dans des pensionnats austères où sévissaient la faim, les agressions, les maladies et la mort. On leur a interdit de parler leur langue et d'exprimer leur culture. On leur a inculqué qu'ils faisaient partie d'une classe inférieure.
Les répercussions de ces agissements persistent dans les communautés éloignées des Premières Nations qui se battent pour se sortir de tant d'années de négligence. On les voit dans le centre-ville des principales villes canadiennes. On les voit dans le nord de la rue Main.
J'ai grandi à Winnipeg dans les années 1950. J'ai reçu une éducation peu commune : les stéréotypes racistes, si répandus à cette époque, n'avaient pas leur place chez nous. Mon père considérait tous les gens comme étant égaux. Il était respectueux avec tout le monde.
Les Autochtones ont toujours eu une bonne influence sur moi. Toutes les fins de semaine, mon père m'amenait au lac Shoal pour camper au coeur d'une communauté des Premières Nations et pêcher au bord du lac. Quand j'ai été en à¢ge de travailler, j'ai accepté un emploi qui m'obligeait à vivre et à travailler dans des communautés des Premières Nations d'un bout à l'autre du Manitoba.
Je me suis fait des amis et j'ai appris beaucoup des enseignements des Aînés, mais personne ne m'a parlé des pensionnats indiens. Ce n'est que des années plus tard, quand je suis devenu sous-ministre adjoint des Services à l’enfance et à la famille du Manitoba, que j'ai été bouleversé d'entendre parler pour la première fois des profondes et persistantes séquelles des pensionnats sur les survivants et leur famille.
J'ai été bouleversé par la preuve inéluctable d'un déclin en spirale qui commence par la destruction des familles. Il est difficile de devenir un bon père ou une bonne mère quand les seuls souvenirs que vous gardez de votre enfance sont les coups de fouet ou la honte d'avoir été agressé sexuellement. Autre statistique troublante : la moitié des enfants en foyer d'accueil au Canada sont Autochtones.
Comme le confirme une étude menée par des chercheurs de l'Université d'Ottawa et de l'Université Carleton, les traumatismes vécus dans les pensionnats indiens se transmettent d'une génération à l'autre. Si plusieurs générations ont vécu dans des pensionnats, les répercussions négatives sont cumulatives. Les Autochtones du Canada sont en retard sur nous quand on évalue les indicateurs de bien-être comme l'éducation, l'emploi et la santé.
Voilà ce qui explique en partie l'importance des excuses présentées en 2008 par le gouvernement actuel aux Autochtones. Pourtant, ces excuses, nécessaires depuis trop longtemps, n'étaient qu'une première étape. Nous devons maintenant nous réconcilier.
Plus tard cette semaine, je mettrai en évidence ce tragique épisode quand des survivants et survivantes des pensionnats indiens se réuniront à Edmonton pour le dernier événement national organisé par la Commission de vérité et réconciliation. La mise sur pied de cette commission fait partie de l'entente conclue – la plus importante de l'histoire du Canada – par suite du recours collectif intenté au nom des quelque 80 000 survivants et survivantes. En donnant à ces gens la possibilité de raconter leur histoire et en dépouillant les archives longtemps gardées secrètes, cette commission a posé des gestes concrets pour faire connaître la vérité.
Malheureusement, la réconciliation nécessitera plus de travail.
Pourtant, la réconciliation est importante pour l'avenir de notre pays. Pour que le Canada atteigne son plein potentiel, il faut que les Autochtones fassent partie de l'équation en tant que partenaires égaux, dans un climat de confiance et de respect mutuels.
Comme l'a dit Jim Prentice le mois dernier en tant que conseiller spécial d'Enbridge, il n'y aura pas d'oléoducs jusqu'Ã la côte ouest ni d'exportation du pétrole canadien à partir de la côte ouest sans partenariats économiques satisfaisants avec les Premières Nations.
En tant que témoin honoraire cette semaine, je m'engagerai personnellement à renseigner la population canadienne sur notre passé collectif. Je veux faire partie du processus de guérison. Pour trouver le chemin de la réconciliation de nos populations, nous devons nécessairement assumer la responsabilité pour ce qui s'est passé.
David Langtry est le président par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne. Il sera nommé témoin honoraire pour le dernier événement organisé ce jeudi [le 27 mars 2014] à Edmonton par la Commission de vérité et réconciliation.
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