Mot de clôture : Sommet national des Canadiens et Canadiennes Noirs

Notes d'allocution

Marie-Claude Landry, Ad. E.

Présidente Commission canadienne des droits de la personne

Mot de clôture

Panel : Établir la barre en matière de droits de la personne : Cas clés dans les communautés afro-néo-écossaises

Sommet national des Canadiens et Canadiennes Noirs

Organisé par la Fondation Michaëlle Jean et présidé par la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse

29 juillet 2022

14 h à 16 h (Heure de l’Atlantique)

10-12 minutes

Version prononcée fait foi

Merci.

Je suis honorée d'être invitée à prononcer quelques mots pour conclure une discussion aussi importante et d'être ici à titre d'alliée et d'avoir le privilège d'écouter et d'apprendre les témoignages marquants.

Permettez-moi de commencer par quelques remerciements.

Je tiens tout d'abord à remercier tous les participants et les organisateurs qui ont rendu cette journée possible ainsi que la Fondation Michaëlle Jean, la Fondation canadienne des relations raciales et la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse de nous avoir réunis.

Également un merci spécial à Mohammed Hashim, Joseph Fraser et Myrlande Pierre, pour leurs précieuses réflexions et tout spécialement, je tiens à exprimer ma gratitude à Monsieur Symonds, Monsieur Johnson et Révérend Docteur Lennett Anderson.

Votre courage et votre résilience resteront gravés dans notre mémoire. Chacun d'entre vous a laissé une empreinte indélébile sur le chemin du progrès au Canada.

Grâce à votre courage, votre force et votre résilience, le Canada a fait des pas importants vers le démantèlement du racisme systémique. Merci du fond du cœur.

Depuis toujours je porte en moi des valeurs et des convictions qui ont influencé ma vie entière, faisant de moi une alliée et ardente défenseure de la lutte contre le racisme, de l'inclusion et de l'accès à la justice pour tous et toutes.

Accès à la justice.

Voilà une expression que nous utilisons souvent.

Mais nous ne nous arrêtons pas toujours pour réfléchir à ce que cela signifie réellement.

Que signifie réellement l'accès à la justice.

Et aux conséquences de devoir se battre pour avoir accès à la justice, à nos droits.

En écoutant les témoignages percutants des expériences vécues qui ont été partagés avec nous aujourd'hui, je demeure convaincu que pour de nombreux groupes racisés au Canada, l'accès à la justice exige du courage.

Il faut un courage incroyable pour ne serait-ce qu'envisager de s'engager dans un système souvent trop complexe et profondément imprégné par l'histoire et la tradition coloniales. Les témoignages comme ceux de Monsieur Symonds, Monsieur Johnson et Révérend Docteur Lennett Anderson sont essentiels à notre compréhension et prise de conscience personnelle et collective, et contribuent à tracer la voie que d'autres suivront.

Ainsi, une par une ces histoires peuvent apporter des changements qui contribueront à démanteler le racisme systémique au Canada.

Cependant la jurisprudence n'est pas une panacée.

L'histoire a démontré qu'il existe une relation symbiotique entre la façon dont la jurisprudence influence le progrès social et la manière dont le progrès social peut exercer une influence sur les tribunaux.

J'ai toujours aimé la façon dont l'avocat et auteur canadien David Matas présente les choses.

Il dit :

« Chaque fois qu'un procès porte sur une question de droits de la personne, cela signifie que l'on comparaît devant deux tribunaux à la fois : un tribunal de droit et un tribunal d'opinion publique. Dans une affaire de droits de la personne, la bataille de l'opinion publique peut être remportée même si le procès est perdu. L'injustice émanant d'une mauvaise décision de la cour peut pousser le gouvernement à poser des gestes qu'il n'avait pas envisagés avant la procédure judiciaire. »

Je crois que M. Matas a raison. Je crois que nous avons besoin des deux : le système judiciaire et l'opinion publique, travaillant ensemble pour créer le changement.

Et en tant que défenseurs et défenseures des droits de la personne, nous devons briser le silence et faire pression afin que les personnes au Canada prennent pleinement conscience que :

  • le racisme systémique demeure une réalité canadienne;
  • le racisme anti-Noir, en particulier, est profondément enraciné dans la société canadienne;
  • il est profondément ancré dans nos institutions, nos normes sociales, notre conscience nationale;
  • il se manifeste souvent de manière inconsciente, non intentionnelle et stéréotypée;
  • et il a des répercussions psychologiques et sociologiques multiples.

Le démantèlement du racisme systémique ne peut que commencer par une prise de conscience et la reconnaissance individuelle et collective de son existence.

Il y a encore beaucoup de travail à faire pour parvenir à cette prise de conscience.

En tant que défenseurs et défenseures des droits de la personne, nous devons mettre ces messages importants en avant-scène, tout en continuant de pousser le système judiciaire à intégrer ces faits et ces principes dans les archives publiques canadiennes par le biais de notre jurisprudence.

Cela est particulièrement important, car comme nous le savons tous et toutes, le racisme est un phénomène social et une construction beaucoup plus complexes comparativement à d'autres formes de discrimination.

Il peut être difficile à prouver, à détecter et d'en établir la preuve.

Il est parfois difficile de déceler les cas de racisme et d'en recueillir les preuves nécessaires pour porter des accusations.

Des décisions de juridiction provinciale — comme celles de la Nouvelle-Écosse dont il a été question aujourd'hui — sont cruciales.

Au niveau fédéral, ils nous aident à renforcer nos arguments dans les dossiers impliquant la discrimination raciale. Notamment des dossiers tels que Turner, comme Davis.

Un autre exemple nous vient de l'Ontario.

Une décision ontarienne de 1993, connue sous le nom de Parks, a longtemps été la référence dans les cas de préjugés raciaux systémiques et inconscients, en particulier envers les Noirs. Pas plus tard qu'en 2020 on s'appuyait encore sur la décision Parks.

Il existe maintenant une décision plus récente vers laquelle nous pouvons tous et toutes nous tourner.

Il s'agit de la décision Morris rendue par la Cour supérieure de l'Ontario en 2021.

La question des sentences disproportionnées attribuées aux personnes noires dans le système de justice pénale canadien était au cœur de cette affaire.

Cette affaire portait plus précisément sur la sentence excessive à laquelle M. Morris a été condamné.

Bien que critiquée par certains pour ne pas aller assez loin, la décision Morris a indéniablement donné aux cours et aux tribunaux du Canada une base solide sur laquelle s'appuyer pour les futures affaires de racisme anti-Noirs.

L'élément le plus significatif de la décision Morris est sans doute le rapport d'expert exhaustif qui a été inclus en annexe de la décision.

Ce rapport est sans précédent et dresse un portrait bref, mais éloquent du racisme systémique anti-Noirs au Canada.

Dans sa décision, la Cour d'appel de l'Ontario dans cette affaire a même déclaré que :

« Le rapport a permis au juge du procès de bénéficier d'une description érudite, complète et convaincante de l'effet généralisé et pernicieux du racisme anti-Noirs. »

Le juge du procès a souligné que le rapport l'avait aidé à comprendre comment M. Morris en était arrivé là.

Il s'agit d'un moment important dans l'histoire du droit canadien.

La décision Morris constitue un précédent selon lequel toutes les futures causes relatives aux droits de la personne doivent être examinées en tenant compte de la structure complexe et de la nature souvent inconsciente du racisme.

Des décisions comme celle-ci sont la preuve que nous aurons toujours besoin d'une jurisprudence solide au Canada sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour faire avancer les choses.

Cependant je réitère que bien que très importante, la jurisprudence à elle seule n'est pas une panacée.

Sans une sensibilisation accrue du public au racisme systémique et à ses racines profondes au Canada, et sans un appui solide de la communauté, nos lois et décisions juridiques risquent de demeurer lettre morte.

En conclusion, j'invite chacun et chacune d'entre nous à garder à l'esprit que le pouvoir de la mobilisation communautaire, de la sensibilisation et de la solidarité sont égales au rôle que peut jouer la jurisprudence dans le démantèlement du racisme systémique au Canada.

À elles seules, les lois ne suffisent pas pour transformer une société...

...les personnes ensemble le peuvent.

...les communautés qui se mobilisent le peuvent.

C'est la raison pour laquelle l'engagement avec la communauté et la volonté d'être un allié solide ont toujours fait partie intégrante de la Commission.

Et qu'au cours des dernières années, nous avons redoublé d'efforts pour faire avancer la lutte contre le racisme à travers nos différents rôles.

Nous sommes reconnaissants de pouvoir compter sur une communauté d'intervenants qui continuent de soutenir et d'orienter les mesures que nous prenons afin de lutter contre le racisme, et ce, en tant que défenseur des droits de la personne... en tant que fournisseur de services et organisme de réglementation... et en tant qu'employeur sous juridiction fédérale.

Parce que ce de travail, par nature, doit être continu, nous continuerons à compter sur la rétroaction et les commentaires que nous recevons.

Des conversations comme celle d'aujourd'hui sont très importantes.

Nous devons – tout un chacun – et collectivement, faire notre part, et inciter les personnes dans des postes de pouvoir et d'influence à faire leur part afin de soutenir ceux et celles qui sont engagés dans cette bataille.

Nous devons continuer de reconnaître que ça prend du courage pour s'engager dans un système souvent trop complexe et profondément imprégné par l'histoire et la tradition coloniales.

Nous devons continuer à faire pression pour que chaque personne au Canada soit en mesure de se voir dans le système des droits de la personne, d'être en mesure de l'utiliser de façon significative, et de faire confiance que ça finira par un résultat équitable.

Voilà ce que signifie l'accès à la justice.

Nous devons maintenir la cadence.

Nous vivons des moments critiques.

Nous devons honorer le courage de Monsieur Symonds, Monsieur Johnson et du Révérend Docteur Lennett Anderson.Je suis reconnaissante pour ce que vous avez partagé avec nous aujourd'hui, et pour tout ce que j'ai appris.

J'encourage toutes les personnes au Canada, en particulier les personnes non racisées, à devenir des alliés et à s'engager à écouter, à apprendre et à poser des gestes significatifs.

Merci tous et toutes.

Date modifiée :