Présentées à John Humphrey Centre for Peace and Human Rights lors de la 10e Remise des prix honorifiques pour les Droits de la personne

Notes d’allocution 

Marie-Claude Landry

Présidente 
Commission canadienne des droits de la personne 

Présentées à 
John Humphrey Centre for Peace and Human Rights
10e Remise des prix honorifiques pour les Droits de la personne

Le moment est favorable à  la défense des droits de la personne
Le 11 décembre 2016

Edmonton, Alberta

Merci pour ces bons mots. 

Bonjour tout le monde !

C’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui.  

Avoir l’occasion de rencontrer des gens aussi exceptionnels et dévoués et d’entendre vos histoires est l’une de mes fonctions préférées à  la Commission canadienne des droits de la personne.

C’est une source d’inspiration, une source énergisante. 

La journée se prête particulièrement à  cette inspiration, puisque nous célébrons le travail d’individus qui font une différence marquée dans la communauté des droits de la personne au Canada.

J’ai eu l’honneur de me joindre à  cette communauté quand je suis devenue Présidente, il y a environ un an et demi. 

Mais en réalité, les droits de la personne ont toujours guidé ma vie. 

J’ai grandi au Québec, dans la région du Bas St-Laurent. 

Je n’ai pas fait, moi-même, subi la blessure du racisme ou de la discrimination.  I 

Mais mon histoire, comme celle de plusieurs d’entre vous, est plus complexe. 

Je suis la mère d’une fille mexicaine. 

Je suis la grand-mère d’un petit-fils noir.  

J’ai vu les gens les traiter différemment à  cause de la couleur de leur peau. I 

J’ai ressenti leur douleur. 

J’ai ressenti leur colère. 

Et je me suis inquiétée pour eux. 

C’est ce qui m’a attirée à  la Commission canadienne des droits de la personne, l’an dernier. 

Si vous me le permettez, je vais vous raconter brièvement comment j’en suis venue à  occuper ce poste, un véritable privilège pour moi. .

Je vous raconte parce que je crois que mon histoire est la preuve que personne de prévoit d’emblée devenir un « défenseur des droits de la personne », nous y sommes appelés par les circonstances, parfois quand on s’en attend le moins. 

Dans mon cas, j’étais très occupée à  titre d’associée principale dans un cabinet d’avocats du Québec qui comptait 12 avocats et que j’avais fondé en 1993. 
Nous étions en pleine effervescence.  

Ma famille était en santé. 

La vie était belle. 

Je venais d’être désignée au titre de présidente indépendante de tribunal disciplinaire dans les établissements correctionnels fédéraux pour une autre période de cinq ans.

Les droits des détenus canadiens étaient et sont encore une large part de mon travail.  

Pour tout dire, quand j’ai reçu l’appel d’Ottawa, j’étais étonnée, sous le choc… et très honorée. 

L’égalité, la dignité et le respect ont toujours été les valeurs phares de ma vie. 

Ma mère vous dirait que je me levais toujours pour défendre les autres. 

J’ai toujours eu à  coeur une série de convictions.

Je crois au respect.
Je crois aux rapprochements.
Je crois aux liens de confiance.
Je crois aux droits de la personne pour tous.
Je crois aussi à  un sens de la communauté.
Je crois que nous devons tous nous rallier les uns pour les autres.

Ces croyances et convictions ont aiguillé ma vie, tant au niveau personnel que professionnel. 

Et maintenant, j’étais appelée à  servir, à  diriger une organisation vouée à  la promotion et à  la protection des droits de la personne au Canada. 

Je savais bien qu’en mon for intérieur, je devais dire « oui ».

Aujourd’hui, un an et demi plus tard, avec tout ce que j’ai appris et tout ce qu’on m’a confié depuis que je suis présidente, je peux vous dire une chose, sans équivoque. 

Le message principal que je veux vous transmettre aujourd’hui est celui-ci :

Plus que jamais, le Canada a besoin de défenseurs des droits de la personne.
Plus que jamais, il existe une conjoncture pour faire entendre nos voix, pour avec une influence, et pour apporter des changements profonds à  la société.

C’est ce qu’on m’a dit, pendant ma première année en fonction, quand j’ai traversé le Canada pour rencontrer le plus grand nombre possible d’organismes oeuvrant en droits de la personne. 

J’ai rencontré des académiciens, des OSBL, des leaders de Premières Nations, des groupes de défense, des commissions provinciales et territoriales, des ministres et agents du Parlement.  

Mais au-delà, le plus important pour moi était les commentaires des organismes communautaires qui travaillent directement auprès des personnes qui vivent des circonstances de vulnérabilité. 

Par ces entretiens, j’ai appris que chacun d’eux est défenseur des droits de la personne. 

Et ils ne se sont pas gênés pour me dire ce qu’ils attendaient de moi.

Ils m’ont dit d’être audacieuse.
Ils m’ont dit d’être une voix puissante.
Ils m’ont dit de dénoncer haut et fort la discrimination et l’intolérance.

Je crois que c’est ce que nous avons besoin de faire, ensemble, tous les participants dans cette salle et tous les autres d’un bout à  l’autre du Canada.

Ensemble, à  titre de défenseurs des droits de la personne.

Que signifie être un défenseur des droits de la personne?

Il s’agit de quelqu’un qui s’engage avec passion à  consacrer son intelligence, ses ressources et son temps pour améliorer le sort d’autres personnes au Canada. 

Ils s’assurent que tous, au Canada, sont inclus et ont une chance égale de s’épanouir. 

Il s’agit de personnes qui utilisent leur travail ou leur art pour dénoncer la discrimination et porter la sensibilisation aux droits de la personne à  de nouveaux sommets.

Nous détenons tous ce potentiel. Et, je vous dirais même plus, cette responsabilité. 

Nos récipiendaires d’aujourd’hui et tous ceux qui participent à  cet événement, nous sommes tous des défenseurs des droits de la personne. 

À ce titre, il n’y a jamais eu un moment plus opportun pour nous exprimer, pour défier la réalité actuelle, et pour nous assurer que ni la discrimination, ni l’intolérance ne deviennent normalisées dans notre quotidien.

C’est notre engagement à  la Commission canadienne des droits de la personne. 

À titre d’agence de surveillance des droits de la personne au Canada, notre rôle est de promouvoir l’inclusion et l’égalité à  travers le pays, par l’administration de la Loi canadienne des droits de la personne.

Nous recevons et traitons des plaintes pour discrimination et nous travaillons avec les plaignants et les mis en cause pour trouver des solutions par la médiation ou, au besoin, en référant le cas au Tribunal canadien des droits de la personne.

Par ailleurs, nous assurons l’égalité en matière d’emploi en effectuant des vérifications auprès des employeurs, en vue d’atteindre l’équité pour les femmes, les membres de minorités visibles, des personnes vivant avec une déficience et des Autochtones. 

Nous avons aussi le mandat d’effectuer des recherches, de sensibiliser le grand public et de dénoncer toute situation en matière de droits de la personne au Canada, en nous faisant le porte-voix des personnes parmi les plus vulnérables au pays. 

Nous sommes autorisés à  tenir le Gouvernement du Canada imputable, en matière de droits de la personne. Dans certains cas, nous le faisons en amorçant des plaintes ou en déposant des rapports spéciaux au Parlement.

Un aîné autochtone, le Dr Robert Joseph, a décrit la Commission comme étant la conscience du gouvernement

Difficile de trouver une meilleure description de notre mission.

Chaque décision que nous prenons, chaque geste que nous posons et chaque position que nous exprimons a comme objectif l’intérêt public.  

Mais nous arrivons dans une ère nouvelle, pour la Commission, mais aussi pour nous tous qui oeuvrons dans le domaine des droits de la personne au Canada. 

Nous évoluons dans un tout nouvel environnement. 

Désormais, on fait plein feux sur les idées, trop longtemps ignorées ou rejetées.

Dans les discours politiques.   

Dans les pages éditoriales de nos journaux.   

Dans la culture populaire.  

Les médias sociaux ont permis à  plus de gens de faire valoir leur voix pour raconter leur histoire. 

Nous avons maintenant un premier ministre qui participe aux Défilés de la fierté et qui a exprimé clairement sa croyance que la diversité est l’une des grandes forces du Canada. 

Nous entendons que le gouvernement rétablira les relations avec les peuples autochtones du Canada, et prendra les mesures nécessaires pour prévenir la discrimination en raison de l’identité de genre ou de critères génétiques. 

Cette transformation est encourageante.

Toutefois, cette attention renouvelée au sujet de l’inclusion et de la diversité pourraient laisser croire à  certains que nous avons déjà atteint l’objectif. 

Que le Canada a atteint l’équilibre parfait.

Que chacun est suffisamment inclus.

Mais nous savons tous qu’il en est bien autrement.  

Nous savons que trop de gens n’ont pas une chance juste et égale, ici même, au pays.

Nous savons que le discours politique de nos leaders ne reflète pas toujours la réalité de tellement de gens, au Canada. 

Que se passe-t-il? 

Comment se fait-il que le discours soit si différent de la réalité? 

Pendant que je réfléchissais à  cette question, je lisais un livre de l’auteur David Matas, un ardent défenseur des droits de l’homme à  l’échelle internationale. Son livre intitulé .Why did you do that ? The Autobiography of a Human Rights Advocate (Trad.: Pourquoi avez-vous fait à§a? L’autobiographie d’un défenseur des droits de l’homme). 

Dans ses propos, Matas parle des quatre ennemis dans la bataille pour le respect des droits de l’homme. 

Ils sont : 

  • L’indifférence 
  • L’absolutisme
  • L’hypocrisie et
  • le sentiment d’impuissance.  

Matas affirme que si la discrimination affecte les autres, elle ne motive pas suffisamment à  agir. 

Mais quand les gens font l’expérience de la discrimination ou qu’elle cible un proche, il est plus facile de s’en préoccuper. 

Pour Matas, les remèdes à  l’exclusion, au racisme ou à  l'apathie ont les rapprochements. .
 
L’empathie et le rapprochement de personne à  personne sont vitaux dans le domaine des droits de la personne.

Ces rapprochements sont devenus une large part de notre travail à  la Commission. Au cours de la dernière année, nos rapprochements avec les organismes du milieu ont été source d’inspiration et de liens entre les citoyens, les Canadiens que nous servons.

Je tire beaucoup de motivation des propos de Henri David Thoreau qui a demandé : 

« Pourrait-il se produire un miracle plus grand que de regarder un instant avec les yeux des autres? »

Une large part de ce qui se passe au Canada tient d’un manque d’empathie.

Si nous sommes sensibles aux expériences des autres.

Si nous entendons ce que les autres entendent… voyons ce qu’ils voient… ressentons les mêmes émotions…

En appliquant ces principes, traiterons-nous les autres de la même façon?

Si nous désirons un changement réel et profond, il nous incombe à  titre de défenseur des droits de la personne, de sensibiliser les autres et de créer de l’empathie. 

Par exemple, considérez la façon dont on traite les migrants et les réfugiés qui arrivent dans notre pays. 

Statistique Canada a récemment dévoilé que le Canada reçoit un nombre record d’immigrants. Toutefois, toutes les personnes qui arrivent ici n’entrent pas dans un pays accueillant et ouvert. 

Des familles tout entières – hommes, femmes et enfants — sont détenues dans des installations destinées aux criminels.

  • Plusieurs de ces personnes n’ont pas de dossier criminel. 
  • Dans de nombreux cas, ils ne peuvent simplement pas prouver leur identité.
  • D’autres souffrent de problèmes de santé mentale ou de traumatisme psychologique. 

Le plus tragique de la situation est que ces migrants sentent que leurs droits sont lésés par les autorités canadiennes, mais ils ne peuvent rien y faire.

Je suis convaincue que la plupart des Canadiens seraient troublés d’apprendre que des personnes innocentes, venues au Canada pour une vie meilleure, sont traitées de cette façon.

Le problème, c’est qu’ils n’en savent rien.

Ou encore, l’information leur est présentée de façon à  ce qu’ils n’éprouvent pas suffisamment de compassion

Pas suffisamment d’empathie.

Pas de raison d’agir.

Pas assez de lien à  l’idée : « Et si c’était moi, ou mes enfants. » 

La même situation s’applique à  plusieurs des enjeux en droits de la personne, qui ont besoin de porte-voix. 

  • Les enfants dans le Grand Nord ne peuvent aller à  l’école parce que l’école de leur localité ne peut fournir de mesure d’adaptation pour leur déficience.;
  • Les personnes transgenres, les enfants qui se heurtent sans relâche à  l’intimidation, au point de préférer déménager à  l’hostilité incessante. D’autres prennent des décisions encore plus draconiennes.
  • Les personnes vivant avec une déficience doivent faire face à  la discrimination, aux jugements et à  la pauvreté.
  • Certains ont peur que les analyses qui sont censées leur sauver la vie puissent faire sorte qu’ils subissent de la discrimination en raison de ce que leurs gênes peuvent révéler. 
  • Plusieurs communautés de Premières Nations, Métis ou Inuits n’ont pas accès aux droits les plus essentiels, comme l’eau potable et un logement sécuritaire. 
  • Des femmes détenues qui souffrent de sérieux problèmes de santé mentale vivent la réalité angoissante d’abus et d’isolement cellulaire plutôt qu’un accès aux soins appropriés. 
  • Récemment, des symboles de haine antisémite ont été affichés dans plusieurs centres urbains.

C’est beaucoup.

Mais je crois fermement que nous pouvons réaliser des progrès dans tous ces domaines.

Nous aurons besoin d’une coalition solide formée de défenseurs de droits de la personne qui travaillent ensemble. 

Nous devons nous assurer que le gouvernement tienne ses promesses.

Nous devons raconter les expériences qui méritent d’être connues.

Nous devons permettre aux Canadiens d’être sensibles à  ces enjeux.

Nous devons tendre la main à  la prochaine génération, avant qu’elle ne soit influencée par les préjugés et les stéréotypes.

Nous devons créer un environnement où les droits de la personne font partie intégrante de nos moeurs. 

Tant et aussi longtemps que les gens se garderont à  distance des victimes de discrimination, il sera difficile de maintenir la conjoncture actuelle. 

Parce que le silence nous rend complices.

Il n’aura jamais été plus important de maintenir cette conjoncture favorable. 

Soyons réceptifs à  l’idée que les choses peuvent s’améliorer, au Canada. Il existe encore trop de gens au pays qui souffrent en silence. .

Les droits de la personne ne sont pas garantis. Ils sont mis à  l’épreuve tous les  jours. 

Nous ne pouvons pas les tenir pour acquis.

Nous devons être attentifs et dénoncer, au besoin.

Nous devons nous serrer les coudes et nous faire les porte-voix les uns des autres. 

En anglais, l’expression se dit: Strength in numbers!, l’union fait la force.

Nous avons adopté une expression, à  la Commission, soit un plaidoyer par une coalition mobilisée, ou advocacy through coalition. Cela décrit bien mon message.

Si nous voulons nous faire entendre et avoir un impact, nous devons le faire ensemble. 

Pour reprendre les mots de Helen Keller: 

« Seuls, nous pouvons faire si peu, mais ensemble nous pouvons accomplir de grandes choses. »

En posant ces gestes ensemble, peut-être pourrons-nous dire avec raison que le Canada est un véritable leader en droits de la personne. 

Encore une fois, permettez-moi de remercier le John Humphrey Centre for Peace and Human Rights et à  réitérer mes sincères félicitations à  toutes les récipiendaires de ces prix honorifiques ce soir. 

Nous avons besoin de gens comme vous – des personnes intelligentes et dévouées – pour aider à  mener la charge à  titre de leaders et défenseurs des droits de la personne. 
Et des cérémonies comme celle-ci sont importantes comme source d’inspiration et de motivation pour d'autres au Canada, afin qu’ils répondent à  l’appel et portent le flambeau. 

Je veux aussi vous assurer que vous pouvez compter sur l’appui de la Commission à  titre de partenaire pour la réalisation de ce travail.

Nous serons audacieux et nous ferons entendre notre voix à  vos côtés. 

Veuillez nous considérer comme un ami, un allié et un défenseur des droits de la personne, comme vous. 

Je vous remercie tous pour votre dévouement à  l’égard des droits de la personne et pour la différence que vous faites dans la vie de tellement de gens.

Maintenant, profitez de cette fête en votre honneur, c’est bien mérité. 

Merci !

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