Produire la justice pour tous et non seulement pour certains

Notes d’allocution de la présidente présentées à l’Université de Sherbrooke

Notes d’allocution

Marie-Claude Landry, Ad. E.

Présidente
Commission canadienne des droits de la personne

Cérémonie d’entrée  
Université de Sherbrooke

24 août 2017Sherbrooke, Québec

 

Bonjour tout le monde!

Quelle joie de me retrouver parmi vous aujourd’hui! J’éprouve toujours un attachement particulier à l’Université de Sherbrooke, mon alma mater – un attachement d’ailleurs bien affiché dans mon bureau d’Ottawa. 

Vous êtes privilégiés de commencer vos études à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke – un endroit où la réussite, l’innovation et la passion font partie du quotidien.  

Au fil des années, à titre de chef d’entreprise, j’ai embauché plusieurs étudiants, stagiaires et avocats de l’Université de Sherbrooke, particulièrement en raison de la qualité de l’enseignement et des valeurs qui y sont enseignées.

Merci de votre accueil et merci de me permettre de vous parler un peu de la Commission canadienne des droits de la personne dont j’ai l’immense privilège d’être la présidente.  

Je suis ravie de pouvoir vous faire mieux connaître le rôle de la Commission, et surtout de vous parler de VOTRE contribution, tant personnelle que professionnelle, à la justice sociale de notre pays. 

Mais, avant tout, je veux aussi partager avec vous ma passion pour les droits de la personne, peu importe qu’ils soient le point central de vos études ou de votre future carrière. Il nous appartient à tous d’intégrer les valeurs des droits de la personne – le respect, l’inclusion et la diversité –, et ce, au quotidien. 

Vous êtes privilégiés d’être ici et de débuter vos études en droit, dans ce qui est, à mon avis, la meilleure faculté de droit. Vous êtes dans une position avantageuse, actuellement, et vous le serez à la fin de vos études. 

Et avec ce privilège vient l’obligation de protéger et de promouvoir les valeurs essentielles à toute démocratie; les valeurs qui sont le fondement de notre pays : le respect, l’inclusion et la diversité.

Le Canada est vu comme un modèle de diversité et d’inclusion aux yeux de plusieurs, et nous sommes effectivement un pays de choix. Mais il ne faut certes pas que cela nous fasse oublier nos propres défis.

Les récentes manifestations de haine et d’intolérance au Québec, comme ailleurs au Canada et dans le monde, dont chez nos voisins immédiats, nous rappellent qu’il reste encore beaucoup à faire.  

La communauté juridique a un grand rôle à jouer à cet égard, puisqu’elle est essentielle dans le maintien d’une société démocratique. 

Ce n’est pas tout d’avoir des institutions dites démocratiques. Avoir une vraie démocratie exige que les droits de la personne soient respectés pour tous et non seulement pour certains.

Vous n’en êtes peut-être pas conscient, mais la population canadienne a beaucoup d’espoir et d’optimisme pour votre génération.

Vous êtes la première génération à vivre, au quotidien, les valeurs et libertés pour lesquelles tant de personnes se sont battues.  

Des valeurs comme :

  • L’équité pour les femmes et les hommes;
  • L’équité pour toutes les personnes, peu importe leur couleur, leur race, leur origine, leur nationalité ou leur religion;
  • Le traitement juste pour les personnes qui vivent avec des déficiences physiques ou mentales;
  • L’acceptation de toutes les différentes formes d’amour;
  • Une compréhension de toutes les variations dans l’expression du genre.

Tant de gens se sont battus pendant des décennies pour y arriver. Et maintenant, pour votre génération, c’est tout à fait naturel.  

Mais attention de ne pas tenir ces valeurs canadiennes et ces droits fondamentaux pour acquis.

Nous n’avons pas à aller très loin pour voir que ces mêmes valeurs et libertés se font questionner, et même attaquer, tous les jours. Même les petits gestes d’intolérance peuvent encourager et nourrir ceux et celles qui ressentent la haine et la colère. 

Avant de poursuivre, permettez-moi de mettre ces idées en contexte. Pour cela, je dois reculer un peu pour vous raconter ce qui m’a menée à occuper cette fonction de présidente de la Commission, il y a maintenant plus de deux ans.

Les valeurs de respect, d’inclusion et de diversité, ainsi que l’empathie ont toujours guidé ma vie.

J’ai grandi au Québec, dans la région du Bas-Saint-Laurent et à Québec même.

Mon parcours scolaire n’a pas toujours été facile. Certains m’ont même dit que des études universitaires ne devraient pas faire partie de mes ambitions. 

Malgré les obstacles, les commentaires – considérant les valeurs qui m’habite – j’ai décidé de relever le défi de faire mes études en droit, et j’ai été admise ici, à l’Université de Sherbrooke en 1985.  

Plus tard, comme bien d’autres femmes, particulièrement dans les débuts de ma carrière et lorsque j’ai fondé mon propre bureau, j’ai dû faire face à des stéréotypes et au sexisme.

Et, tout au long de ce parcours, j’ai commencé à voir le pouvoir que nous avons, tout un chacun, d’influencer et de promouvoir le changement. D’être acteur de changement.  

C’est aussi pendant ces années que j’ai découvert l’importance des mots d’Henri David Thoreau :

Pourrait-il se produire un miracle plus grand que de regarder un instant avec les yeux des autres?

Mon implication sociale et communautaire m’a fait rencontrer tant de gens extraordinaires, dont plusieurs avaient des histoires et des parcours difficiles. Tant de gens qui sont passés par mon bureau pendant mes années en pratique privée; des gens avec des expériences et des cheminements difficiles. 

Je peux vous dire, sans équivoque, que les plus grandes habiletés que vous devez développer comme juriste sont d’ailleurs celles qui vous feront le plus grandir, tant personnellement que professionnellement, soit la capacité d’empathie, d’écoute, et celle de regarder avec les yeux de l’autre.

À travers tout cela, j’ai également fondé une famille. J’ai trois grands enfants et un petit-fils. J’ai adopté mon aînée, Isabel, au Mexique et mon petit-fils est mixte, d’origine mexicaine et haïtienne. 

J’ai donc dû faire face aux préjugés et à certains commentaires et certaines attitudes racistes, auxquels ma fille ou mon petit-fils sont ou ont été confrontés. J’ai vu certaines personnes les traiter différemment à cause de la couleur de leur peau. 

J’ai ressenti leur douleur, leur colère, et je me suis inquiétée pour eux.

Défis. Trajet personnel. Expériences professionnelles. Ce sont tous des éléments de mon parcours qui m’ont menée vers les droits de la personne et qui ont influencé ma décision d’accepter cette fonction à la Commission canadienne des droits de la personne.

J’étais à la tête d’un cabinet d’avocat et ma pratique était florissante. Je venais d’être nommée à nouveau pour cinq ans, première présidente indépendante des tribunaux disciplinaires dans les prisons fédérales. Pour tout dire, quand j’ai reçu l’appel d’Ottawa, j’étais étonnée, sous le choc… mais très honorée. 

J’ai vu une occasion de changer les choses et de faire partie d’une organisation qui œuvre de façon indépendante du gouvernement, à protéger et promouvoir les droits de personne au pays. 

J’ai vu une occasion importante de jumeler mon parcours personnel et professionnel, ainsi que mes valeurs profondes, et d’être acteur de changements.

Mes valeurs et mes convictions constituent une boussole importante qui m’a guidée toute ma vie :

… Je crois au respect,

… à l’importance des relations humaines, 

… aux droits de la personne pour tous, et non pas seulement pour certains,

… à l’engagement dans sa communauté.

… Je crois que la confiance est essentielle aux relations interpersonnelles, 

… et ultimement, je crois que nous devons tous nous rallier.

La décision d’accepter cette position n’a pas été aussi facile pour moi qu’on pourrait le croire, car je laissais beaucoup et je m’éloignais de mes enfants, mais je savais, au fond de moi, que je devais dire « oui ».  

Je vous regarde, les yeux brillants, enthousiastes et ambitieux, avec une carrière devant vous qui, je l’espère, vous motivera à devenir des acteurs de changement. Et si vous avez à retenir quelque chose de mon message aujourd’hui : 

  • C’est premièrement de ne laisser personne vous pousser à mettre de côté les valeurs profondes qui vous habitent et qui sont votre boussole.  
  • Deuxièmement, que lorsque l’on regarde avec les yeux des autres, on s’enrichit et on grandit.
  • Troisièmement, ne laissez personne vous décourager.

Le lien entre la démocratie et les droits de la personne est un lien que vous allez explorer tout au long de vos études. Il est d’une importance capitale, et il est essentiel à toute société démocratique.

Vous n’avez qu’à écouter les nouvelles, lire les journaux, voir les fils Twitter, Facebook et Instagram pour constater que nous sommes dans une période de grande turbulence qui menace chaque jour les droits de la personne, ici comme ailleurs. 

Avec l’augmentation significative des crimes haineux, des rassemblements de groupes suprématistes blancs, de l’émergence de groupes radicaux, et des manifestations de racisme, nous sommes témoins d’une polarisation de la société qui est inquiétante. 

Nous n’avons pas à retourner si loin en arrière pour voir les conséquences désastreuses que cela puisse avoir sur une société.    

Face à cette polarisation, les droits de la personne doivent plus que jamais nous habiter et faire partie de nos valeurs. Non seulement les droits de la personne devraient être au cœur de notre société, mais ils doivent être aussi au cœur de notre quotidien. Ils doivent devenir une seconde nature.

Ce sont des valeurs universelles qui nous sont chères et qui ont constitué la fondation de notre pays, mais qui sont pourtant fragiles et qu’il ne faut pas tenir pour acquises.

La loi, qui vise à encadrer et à protéger la population, peut parfois se révéler inéquitable. Elle peut parfois créer de l’injustice sociale si elle est appliquée aveuglément et sans contexte.

Tout au long de vos études et de votre chemin de vie, vous devrez porter une attention particulière aux droits de la personne à tous les niveaux.

Quand il est question de droits de la personne, nous sommes tous du même côté de la barre. Ils font appel à notre expérience humaine et doivent faire partie intégrante de notre travail en tant qu’officiers de justice.

La Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’équité en matière d’emploi sont, à la base, influencées par les valeurs canadiennes qui nous sont chères : le respect, l’inclusion et la diversité. Elles sont des outils précieux, mais malheureusement peu connus ou peu utilisés des juristes.  

Vous savez, la loi célèbre ses 40 ans cette année. Elle a été adoptée avant la Charte canadienne des droits et libertés.

Depuis 1977, le Parlement a voulu que cette loi favorise l’égalité et l’inclusion pour tous au Canada, et protège les personnes en situation de vulnérabilité. 

Cette loi quasi constitutionnelle a contribué à changer progressivement notre société parce que des personnes engagées ont pris les devants et se sont battues pour exiger qu’elle soit appliquée.

La Commission joue un rôle fondamental depuis sa création. Elle a notamment comme mission importante de mettre en lumière des histoires de discrimination. En tirant parti de son expertise, elle dénonce l’incidence réelle de la discrimination sur la vie des personnes vulnérables au Canada. 

Comme me rappelait si bien l’aîné autochtone, monsieur Robert Joseph : « la Commission est la conscience du gouvernement. Nous sommes là pour dénoncer les drames humains qui font partie du quotidien pour des millions de personnes, ici même au Canada, incluant des d’enfants… ».

La Commission, par son travail de promotion et de protection, a permis de grands avancements. C’est ainsi que nous profitons du sous-titrage codé à la télévision, de bâtiments et de guichets bancaires accessibles aux personnes handicapées, du droit des femmes à combattre au front dans les forces armées canadiennes et de la reconnaissance de l’orientation sexuelle comme un droit garanti par la loi.

Chaque fois que nous prenons une décision, que nous posons un geste ou que nous appelons le gouvernement à agir, ou que nous donnons notre avis, nous le faisons dans l’intérêt public.

Nous le faisons au bénéfice des personnes vulnérables de notre pays : celles qui souffrent en silence, qui subissent les séquelles de la discrimination et du harcèlement. Nous avons comme rôle d’amplifier leur voix afin que les droits de la personne soient des droits pour tous, et non pas seulement pour certains.  

Vous avez peut-être, comme moi, constaté que nous sommes dans une ère de changement. Les enjeux trop longtemps ignorés ou rejetés par les différents gouvernements sont maintenant à l’agenda. Ils font partie :

… des discours politiques;

… des pages éditoriales des journaux;

… de la culture populaire.

Notre procureure générale et ministre de la Justice est une femme autochtone; une première dans notre histoire.  

L’an passé, j’ai été présente lorsque le premier ministre canadien a hissé le drapeau de la communauté LGBTQ2+ pour la première fois, sur la Colline Parlementaire à Ottawa.

J’étais également présente lorsque, pour la première fois de notre histoire, le premier ministre a marché dans le défilé de la fierté, et que cette année un premier ministre étranger et son conjoint, se sont joints à nous pour la marche de la fierté.  

Ce changement de cap est encourageant, et pourrait laisser croire à certains que nous avons déjà atteint notre objectif, que le Canada inclut tout le monde, et qu’il n’y a plus de discrimination envers la communauté LGBTQ2+, les femmes, les personnes handicapées, les Autochtones et les autres communautés. 

Mais il n’en est rien. D’ailleurs, les médias, quels qu’ils soient, nous le rappellent tous les jours. Il nous faut demeurer vigilants.  

Vous savez, je compare souvent les droits de la personne avec la santé. On ne doit jamais la tenir pour acquise. C’est lorsque l’on ne s’en préoccupe plus qu’elle nous échappe.  

Tout comme dans la santé, le racisme, la xénophobie, l’intolérance, le sexisme, et toute forme de discrimination peuvent être subtils; les symptômes sont difficiles à détecter.  

C’est lorsqu’on accepte de faire des compromis que commence l’érosion qui nous amène à ce que les générations précédentes ont vécu. Il faut donc avoir les yeux grands ouverts et être conscient de ce qu’on doit faire pour l’éviter.

Bien que le Canada nous semble en bonne santé, qu’on se le dise bien franchement, il y a toutefois des symptômes de maladie dans notre société :

  • Nous n’en faisons pas assez pour les transgenres qui sont victimes de discrimination, et qui vivent avec la peur d’être victimes de persécution, et à qui on refuse des soins de santé... ici même, chez nous. 
  • Nous n’en faisons pas assez pour les proches aidants qui doivent supporter un fardeau énorme et qui sont confrontés à la discrimination, notamment dans leur emploi en raison de leur statut familial.
  • Nous n’en faisons pas assez pour les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont incarcérées dans les prisons canadiennes et qui sont privées de soins et soumises à de longues périodes d’isolement cellulaire, considéré comme de la torture par les Nations Unies.  
  • Nous n’en faisons pas assez pour les personnes avec une déficience physique, surtout lorsqu’on voit que plus 50 % de nos plaintes sont reliées à des motifs de discrimination, souvent dans le domaine d’emploi. Pourtant, ces groupes ne demandent qu’à contribuer au développement économique du pays. 
  • Nous n’en faisons pas assez pour les communautés racialisées, qui sont surreprésentées dans le système de justice pénal et criminel, y compris les institutions carcérales, faute de ressources.  
  • Nous n’en faisons pas assez pour combattre la haine et l’intolérance dirigées contre tant de groupes marginalisés. Nous n’avons qu’à penser aux événements récents aux États-Unis pour comprendre l’endroit où cela nous mène.
  • Ce n’est pas un secret que les peuples autochtones du Canada ont fait l’objet d’une discrimination systématique pendant plus d’un siècle. Vous n’avez qu’à penser aux personnes autochtones qui, pendant sept générations, ont été placées dans des pensionnats, abusées mentalement, physiquement, et qui ont été privées de l’amour et des soins de leurs parents avec comme seul but de « sortir l’indien de l’enfant ». Saviez-vous que le dernier pensionnat autochtone au Canada a seulement fermé ces portes en 1996?   
  • Saviez-vous qu’alors que la population autochtone représente seulement 7 % de la population canadienne, elle représente 48 %, près de la moitié, des enfants placés en famille d’accueil? Et non, je ne parle pas d’un autre pays. Je parle du nôtre.  
  • Nous n’en faisons pas assez pour les migrants qui fuient la guerre, la violence et les menaces à leur sécurité et leur intégrité pour commencer une nouvelle vie ici au Canada. Saviez-vous que des familles tout entières de migrants – des hommes, femmes et enfants – sont détenues dans des installations destinées aux criminels, et ce, pendant des mois, voire des années? Plusieurs souffrent de problèmes de santé mentale ou de traumatismes psychologiques. Leur seul crime est qu’ils fuient leur pays sans leurs documents d’identité.

Permettez-moi une parenthèse pour vous raconter brièvement l’histoire récente d’une jeune fille nommée Kobina qui, à l’âge de 8 ans, a été incarcérée pendant 385 jours au Centre de surveillance de l’Immigration de Toronto pour des motifs administratifs. 

Les autorités ont donné à la mère de Kobina le choix entre laisser son enfant à un membre de sa famille élargie, la confier aux services d’aide à l’enfance ou la garder avec elle. N’ayant aucune famille au Canada, la mère de Kobina ne pouvait se faire à l’idée d’être séparée de sa fille. Et donc commencèrent 385 jours de détention.  

  • Sortir dehors pour jouer seulement une fois par jour en hiver et deux fois par jour en été. 
  • Ne pas avoir une vie d’enfant. Point. 

Je suis convaincue que beaucoup de Canadiens et de Canadiennes, des gens comme vous et moi, seraient troublés d’apprendre que des enfants, comme Kobina, des familles et des personnes innocentes sont traitées de cette façon. 

Je suis convaincue que beaucoup de Canadiens auraient honte de savoir que les migrants incarcérés ont moins de droits que ceux trouvés coupables d’un crime véritable.

Tel que j’ai mentionné précédemment, on assiste à un mouvement, un désir de changement, sans précédent chez les dirigeants et la population, mais beaucoup reste à faire. 

Un mouvement qui, nous le souhaitons, propulsera le respect des droits de la personne au-delà de la tolérance et de l’accommodement pour passer à l’inclusion et l’acceptation. 

Mais comme vous l’avez vu dans les dernières semaines, nous assistons aussi à une montée inquiétante de discours haineux et de manifestations racistes avec le seul but de diviser et de semer la peur de l’autre.    

Nous avons le devoir de ne pas ignorer ces histoires. Il nous faut les connaître. Et votre rôle est, et sera, de les mettre en lumière et de prêter votre voix pour contrer toutes les attaques contre nos valeurs fondamentales.  

Le défi est que lorsque ces histoires n’habitent pas notre quotidien ou ne touchent pas quelqu’un que l’on connaît, proche de nous, on les l’ignore, on les oublie, on les met de côté, on ne se sent pas concerné.

Comme juristes, vous aurez l’obligation de faire tous les jours l’exercice de vous mettre dans les souliers des autres; de regarder avec les yeux des autres. Il faut être à l’écoute. Être ouvert.  

Pendant 26 ans, une des questions les plus importantes que je posais à mes clients était « quelle est votre histoire? »  Cela qui me permettait de comprendre, de me mettre dans les chaussures des gens que je représentais, le temps d’un instant, afin de saisir les défis réels auxquels ils étaient confrontés, et ainsi mieux faire mon travail, mieux leur prêter ma voix.

Cela m’amène au dernier message que j’aimerais que vous reteniez : de ne pas vous laisser décourager. Ne vous laissez pas décourager par l’ampleur des défis des droits de la personne auxquels nous sommes confrontés. Il suffit de petits gestes, et de courage. Le courage de ne pas rester silencieux.

Nous devons être intolérants à l’intolérance. Nous devons dénoncer toutes menaces à nos valeurs profondes puisque le silence nous rend complices. 

Dès maintenant, nous devons nous arrêter, prendre conscience et poser des actions concrètes. Chacun d’entre vous, tant personnellement que comme étudiant et étudiante, et plus tard, dans votre carrière juridique, vous pouvez changer les choses – un geste à la fois. Aucun geste n’est insignifiant.

Et pour bien représenter et conseiller vos futurs clients, et pour contrer l’injustice, vous vous devez de connaître les outils à votre disposition.

Ces dernières années, avec mon équipe, j’ai sillonné le Canada d’un océan à l’autre pour découvrir ces histoires. Je voulais entendre les expériences de ceux et celles qui œuvrent dans le domaine des droits de la personne, des personnes qui donnent une voix aux gens les plus vulnérables, ici même au Canada.

Elles ne se sont pas gênées pour me dire ce qu’elles attendaient de moi et de la Commission. Elles ont demandé à la Commission : 

  • d’être audacieuse;
  • d’utiliser sa voix nationale pour dénoncer haut et fort la discrimination et l’intolérance;
  • de mobiliser nos différents partenaires et groupes afin de promouvoir le respect des droits de la personne. 

J’ai entendu des histoires de violence, de discrimination profondément enracinée, de services déficients, d’accès difficile au système de justice et de crainte de représailles, ici même au Canada, dans notre propre cour. 

Mais connaître et reconnaître les problèmes ne sont qu’un début.
Je suis persuadée que de la population canadienne est composée de gens attentionnés, capables de compassion.  

Comment pouvons-nous amener les gens à l’empathie et l’action? 

Comment amener les gens à ne pas tolérer l’intolérable, à ne pas rester silencieux devant une situation qui doit être dénoncée?

J’ai eu le bonheur de rencontrer l’avocat et auteur David Matas; un ardent défenseur des droits de la personne. 

Je partage son avis selon lequel les quatre ennemis auxquels nous sommes confrontés tous les jours dans la lutte pour le maintien des droits de la personne sont l’indifférence, l’hypocrisie, l’absolutisme et la justification.  

Monsieur Matas soutient qu’il est facile de ne pas se sentir concerné lorsque les « autres » subissent de la discrimination. Souvent, lorsque les gens croient qu’un problème semble insurmontable, ils vont s’éloigner, se sentant impuissants. Avec ce sentiment d’impuissance, ils risquent de tomber dans l’indifférence ou de justifier l’inaction.

Pourtant, j’ai constaté au fil des ans, tout comme David Matas, que lorsqu’on s’implique, on peut changer les choses et on peut avoir des effets positifs.  

Vous n’avez qu’à voir le progrès récent accompli par la communauté transgenre avec l’inclusion de l’identité et l’expression de genre aux motifs de discrimination dans notre Loi.

Cet accomplissement n’aurait certainement pas été possible sans la lutte acharnée menée par tant d’individus – des personnes de la communauté même, des défenseurs des droits des trans, des associations de défense des droits de la personne et des parlementaires.  

Sans compter les milliers de personnes qui, par les médias sociaux, des lettres, des textes d’opinion et des appels aux députés, ont demandé sans relâche ce changement important.  

Je vous invite donc, vous aussi, à être des acteurs de changement, à participer à l’avancement et à la protection des droits de la personne comme valeurs universelles.  

Je vous interpelle, non seulement comme futurs juristes, mais comme personne. 

Vous pouvez changer les choses.  

Impliquez-vous, dès aujourd’hui, à poser des petits gestes visant l’inclusion.  

Ne laissez personne vous faire mettre de côté vos valeurs profondes.  

Ne laissez personne vous faire mettre de côté les valeurs de respect, d’inclusion et de diversité qui sont à la base de notre pays et de toute démocratie.

J’aimerais citer une amie, la juge Catherine Fraser, juge en chef de la Cour d’appel de l’Alberta, qui disait ce qui suit en s’adressant à de futurs juristes :

« On vous dira que ce que vous faites relève du droit, pas de la justice. Je n’ai jamais accepté cette affirmation. J’ai toujours cru que si nous voulons conserver la confiance du public, l’application du droit dans nos vies doit produire la justice pour tous, et non seulement pour certains. Vous aurez le pouvoir, à titre d’avocat, d’assurer que cet objectif devienne réalité; faites-en votre aspiration. » 

À titre d’étudiants en droit, de futurs juristes et de leaders dans vos communautés, de personnes dans une position privilégiée, vous avez un rôle important à jouer dans la société, et au respect des droits de la personne pour tous.  

Je le répète, n’allez pas croire qu’il faille des actions éclatantes pour faire changer les choses. Ce sont les petits gestes dans le quotidien : l’empathie, la compassion, le refus d’accepter l’intolérance, et vos interventions, si minimes soient-elles, qui feront la différence.   

Nelson Mandela a dit : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde »

Il vous incombe donc, à chacun d’entre vous, d’utiliser cette éducation et les talents que vous développerez au cours de votre formation pour devenir des acteurs de changement. C’est plus important que jamais.  

Je suis persuadée que vous pouvez contribuer à faire en sorte que notre pays inclut tout le monde; un pays fort de ses différences et de sa diversité, à l’abri de la discrimination.

Que pouvons-nous faire? Je vous invite, tous et chacun, à lire et à écouter les histoires qui vous entourent. Elles sont là, il suffit de prendre un moment.

Et ensuite? Les raconter. Amplifiez la voix de ceux et celles qui n’en ont pas suffisamment. De ceux et celles qui vous font confiance.

Si chaque personne amplifiait la voix d’une autre, si elle partageait une histoire, si elle célébrait le courage d’une seule personne vulnérable… bien, je crois qu’ensemble ces voix seront porteuses de changement.

Je suis venue ici avec le souhait que les droits de la personne fassent partie de votre quotidien. Qu’ils nourrissent votre passion comme ils nourrissent la mienne. J’espère que dans trois ou quatre ans, autant en début de carrière qu’après 26 ans, vos valeurs seront encore une source de passion.  

Je vous souhaite toujours de vouloir changer les choses.  

J’espère que la quête de la justice pour tous, et non seulement pour certains, sera toujours présente dans vos vies, professionnelles et personnelles.  

Je vous invite à participer au dialogue des droits de la personne, et à me suivre, ainsi qu’à suivre la Commission sur les médias sociaux, et à ajouter votre voix aux enjeux des droits de la personne.

Et en terminant, je ne peux pas faire autrement, que de vous présenter une courte vidéo de trois minutes, mais combien puissante d’un homme extraordinaire. Un homme qui est toujours à la quête de justice et de réconciliation pour son peuple et le Canada. Un homme qui a dit qu’au cœur de la réconciliation, il y a l’amour.  

L’aîné autochtone, le Chef Robert Joseph, représente, pour moi, un homme de paix, un modèle, une source d’inspiration. Il est l’exemple parfait que chacun de nous peut contribuer au changement positif dans notre communauté et dans notre pays. 

Merci de votre accueil chaleureux, et bon début d’année scolaire!

Merci

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