CCDP et BEC – Lettre ouverte demandant la ratification d’OPCAT par le Canada

Sujet
Droits de la personne

L’honorable Mélanie Joly. C.P., députée
Ministre des Affaires étrangères

L’honorable Pascale St-Onge, C.P., députée
Ministre du Patrimoine canadien

L’honorable Arif Virani, C.P., député
Ministre de la Justice et procureur général du Canada

L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député
Ministre de la Sécurité, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales

 

Chers Ministres:

La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) du Canada s’adressent à vous au sujet d’une question hautement préoccupante qui a d’importantes répercussions sur les droits des personnes privées de liberté dans ce pays : l’inertie du dossier sur la ratification par le Canada du Protocole facultatif des Nations Unies à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT).

Cela fait plus de 20 ans que l’OPCAT est ouvert à la ratification. À ce jour, l’OPCAT compte 92 États parties et 13 États signataires. En mai 2016, nous avons eu une lueur d’espoir lorsque le Canada a annoncé son intention de ratifier le protocole. Cependant, malgré la volonté politique et les nombreux appels lancés par les acteurs nationaux et internationaux pour que le Canada donne suite à cet engagementNote de bas de page 1, le dossier public sur la ratification de l’OPCAT par le Canada reste flou. Par exemple, nous savons que dans sa réponse au Rapport annuel de 2020-2021 de l’enquêteur correctionnel, le Canada a mentionné que l’examen d’une éventuelle adhésion à l’OPCAT était en cours, et que ce processus avait donné lieu à une vaste consultation auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux. On pouvait également y lire que des consultations et des analyses supplémentaires étaient nécessaires pour garantir un système de surveillance indépendant qui soit à la fois efficace et efficient. Depuis, silence radio. Nous n’avons reçu aucune mise à jour concernant l’état d’avancement de ce processus de consultation, ni sur les lacunes et les obstacles à la mise en œuvre de l’OPCAT qui aurait pu être identifiés en cours de route.

Nous maintenons le cap et continuons à appeler le Canada à ratifier l’OPCAT, car nous croyons que sa ratification est une mesure concrète que le Canada doit prendre pour susciter un changement positif pour les personnes privées de liberté à travers le pays. Au-delà du système pénitentiaire se pose également la question plus large des personnes dans les situations les plus vulnérables, notamment les migrants détenus, les personnes en situation de handicap placées dans des établissements inappropriés en raison du manque de soutien communautaire adéquat, les personnes confinées dans des établissements de soins de longue durée et les enfants institutionnalisés par le système de protection de l’enfance, en particulier les enfants autochtones et noirs, qui continuent d’être surreprésentés dans ce systèmeNote de bas de page 2.

Le système de surveillance et de suivi du Canada est inadéquat. À l’heure actuelle, de nombreux lieux de privation de liberté au Canada – ou certains aspects de la détention dans ces lieux – ne font toujours pas l’objet d’un tel contrôle indépendant comme le prévoient les normes internationales en matière de droits de la personne. Le système est essentiellement réactif et ne dispose pas d’un cadre de contrôle et d’inspection solide, coordonné et proactif. Nous devons impérativement mettre en place des mesures de protection des droits de la personne plus robustes et plus cohérentes. Chaque personne – peu importe qui elle est et où elle se trouve – mérite d’être traitée avec dignité et respect, et doit bénéficier des mêmes protections.

Nous sommes convaincus que l’OPCAT pourrait offrir un cadre de protection des droits de la personne plus cohérent et plus proactif pour les personnes détenues toutes juridictions confondues, y compris celles qui se trouvent dans des environnements non carcéraux.

La désignation d’un mécanisme national de prévention (MNP) approprié et doté de ressources suffisantes est un élément clé d’une mise en œuvre réussie de l’OPCAT. Conformément aux exigences de l’OPCAT, un MNP approprié doit être identifié dans le cadre d’un processus ouvert, transparent et inclusif impliquant un large éventail d’intervenants, et doit fonctionner dans le respect des Principes de Paris.

Par conséquent, nous exhortons le Canada de signer l’OPCAT sans délai et de le ratifier rapidement afin de renforcer la protection des droits des personnes privées de liberté dans l’ensemble du pays. Cela comprend la désignation d’un MNP approprié pour veiller à ce que tous les lieux de détention fassent l’objet d’une surveillance, d’un contrôle et de rapports indépendants continus et améliorés. Le gouvernement fédéral devrait également prendre des mesures pour élaborer un plan de mise en œuvre clair et limité dans le temps, en collaboration et en coordination avec le gouvernement des provinces et des territoires, les commissions des droits de la personne, les organismes de surveillance, la société civile, les gouvernements et les organisations autochtones et les autres détenteurs de droits.

Si nous reconnaissons que la mise en place d’un MNP efficace au Canada est complexe, cette complexité ne doit toutefois pas l’emporter sur les conséquences sur les droits de la personne qui ont résulté ou continueront de résulter des retards actuels dans la ratification de l’OPCAT. À titre d’exemple, plusieurs États fédéraux partout à travers le monde ont ratifié l’OPCAT et ont su composer avec les complexités en matière de compétences. Pour obtenir des conseils sur la manière de composer avec les complexités en matière de compétences et afin de s’assurer que le Canada respecte les exigences de l’OPCAT, nous recommandons de communiquer avec le Sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture (SPT), qui s’est offert comme ressource utile.

À l’heure où le Canada cherche à consolider sa réputation de chef de file en matière de droits de la personne en briguant un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, nous pensons qu’il est temps que le Canada donne suite aux engagements qu’il a pris au niveau national et international. En outre, l’ensemble du bilan du Canada en matière de droits de la personne sera passé en revue lors de l’Examen périodique universel du Canada devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, en novembre prochain. Ce sera donc l’occasion de faire le point sur les progrès accomplis par le Canada dans ce domaine. La ratification de l’OPCAT serait une démonstration sans équivoque de l’engagement du Canada en matière de droits de la personne et enverrait un signal fort à la communauté des droits de la personne, tant au Canada qu’à l’étranger, comme quoi le Canada prend ces engagements au sérieux et qu’il reste déterminé à renforcer la protection des droits de la personne pour tous.

Nous vous recommandons fortement à engager la conversation avec le SPT. Nous serions également heureux de vous rencontrer, vous ou des hauts fonctionnaires de votre cabinet, afin de discuter de cette question plus en profondeur, notamment pour déterminer comment unir nos efforts pour faire avancer le dossier de la ratification et assurer la pleine mise en œuvre de cet important instrument des droits de la personne.

Nous vous prions d’agréer, mesdames et messieurs les ministres, l’expression de nos salutations distinguées,

Charlotte-Anne Malischewski
Présidente intérimaire

Ivan Zinger, J.D., Ph.D.
Enquêteur correctionnel