Consultation éclair sur la haine dans le contexte des droits de la personne au Canada

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Rapports de recherche
Sujet
Droits de la personne

RÉSUMÉ ET PRINCIPAUX POINTS À RETENIR DES EXPERTS

Indifférence et inaction

  • Il existe chez les institutions une réticence à prendre au sérieux les problèmes liés à la haine. Ces problèmes sont souvent minimisés en tant que cas isolés, et ne font l’objet d’aucun suivi. 
  • Les institutions et, dans une certaine mesure, le public, affichent une indifférence face à la montée des discours haineux, des incidents haineux et de l’extrême droite.

Montée de l’extrémisme

  • Les discours de division tenus par des dirigeants politiques au Canada et à l’étranger ont eu pour effet d’alimenter l’extrémisme. 
  • On assiste de plus en plus à une légitimation et à une normalisation, dans le discours public, de points de vue pouvant être considérés comme haineux. Ce phénomène a été amplifié par l’utilisation croissante d’Internet dans toute la société. 
  • En raison de l’utilisation toujours croissante des médias sociaux, de nombreux groupes extrémistes sont en mesure de transmettre leurs messages de haine rapidement et à un public bien plus vaste que jamais; c’est pourquoi il pourrait être utile que les fournisseurs de services Internet (FSI) jouent un rôle dans la résolution de ces problèmes.

Connaissances et sensibilisation :

  • Le public et la classe politique sont peu sensibilisés aux questions liées à la haine, y compris en ce qui a trait au contenu de la législation canadienne sur les crimes haineux. 
  • En raison d’une absence de sensibilisation et d’information, les communautés ignorent quoi faire lorsqu’elles sont la cible de crimes ou d’incidents haineux, et où et comment les signaler.
  • Il existe de graves lacunes en ce qui concerne l’information et les données officielles existantes au sujet des crimes haineux. Ces lacunes vont des limites dans les signalements publics aux méthodes non uniformes et insuffisantes utilisées par les organismes d’application de la loi pour consigner les données.

Services de police :

  • Il y a un manque d’uniformité entre les mesures d’intervention employées par les forces policières pour faire face aux crimes haineux, de même qu’une méconnaissance, par celles-ci, des cadres juridiques sur lesquels elles pourraient s’appuyer pour lutter contre les crimes haineux.
  • On constate un manque de ressources et de formations de qualité en ce qui a trait aux crimes haineux et aux activités policières de lutte contre la haine. Il y a également lieu de se demander si les forces de l’ordre ont fait de ces enjeux une priorité. 
  • En l’absence de liens de confiance entre les collectivités et les forces de l’ordre, la mise au point de mécanismes de signalement d’incidents par des tiers ou en ligne aiderait à faire en sorte que ces incidents soient documentés.
  • Il est important de tenir compte de l’intersectionnalité dans le signalement des crimes haineux.

Législation

  • On craint que les textes de loi et les politiques visant à lutter efficacement contre la haine au Canada ne soient pas appliqués. Le rôle que les lois en vigueur peuvent remplir dans la lutte contre les diverses formes de discours haineux et d’opinions haineuses suscite également des inquiétudes. 
  • L’utilité de rétablir l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne demeure une question controversée. 

Services et mesures de soutien

  • À l’heure actuelle, les communautés et les personnes ciblées par la haine disposent de très peu de services et de mesures de soutien. De plus, les services et mesures qui existent n’apportent pas une aide adéquate aux victimes de crimes haineux.
  • On compte peu, voire pas de programmes ou d’initiatives visant à « déprogrammer » les personnes qui font la promotion de la haine ou à s’attaquer concrètement aux idéologies et aux discours ayant inspiré un tel comportement.

Débat sur la liberté d’expression et la propagande haineuse :

  • La question du rapport qui existe entre les discours haineux et la liberté d’expression est litigieuse. 
  • Les militants d’extrême droite font un amalgame entre les discours haineux et la liberté d’expression et s’en servent comme stratégie pour se défendre et pour défendre leurs discours.
  • Au Canada, la capacité de tenir les plateformes de médias sociaux responsables du retrait des discours et contenus haineux de leurs plateformes demeure un défi, au même titre que la nécessité de veiller à ce que ce retrait n’entraîne pas de censure excessive.

Étude nationale ou parlementaire :

  • Il y a un manque important de recherches rigoureuses sur l’extrême droite et la haine, notamment en ce qui concerne les répercussions de la haine sur les collectivités.
  • Une étude ciblée portant précisément sur le problème croissant de la haine au Canada aiderait à cerner les lacunes qui existent actuellement, ainsi que les mesures nécessaires pour régler ce problème à l’avenir. 

Coordination et mobilisation

  • Toute stratégie visant à réduire les comportements haineux devrait être multidimensionnelle et multisectorielle, ce qui signifie qu’elle ne toucherait pas seulement les forces de l’ordre et le système de justice pénale, mais aussi les secteurs de l’éducation et de la santé et d’autres intervenants des secteurs privé et public.

Objectifs à court et à long terme

  • La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) devrait établir un certain nombre d’objectifs à court et à long terme. Les objectifs à court terme pourraient comprendre l’élaboration de ressources en éducation aux médias et à la culture numérique; une sensibilisation accrue du public aux problèmes associés à la haine; des travaux menés en partenariat avec d’autres commissions provinciales et territoriales des droits de la personne, et la mise à l’avant-plan des questions liées à la haine sur Internet dans ses échanges avec la communauté internationale. Les objectifs à long terme pourraient inclure la mise à l’essai de contre discours pour en déterminer l’efficacité et l’organisation d’une rencontre des fournisseurs de services Internet (FSI) afin de trouver des solutions pour contrer la haine en ligne. 

CONTEXTE

La CCDP a désigné la haine et l’intolérance en tant que sujets de préoccupation majeurs nécessitant un approfondissement des connaissances à leur égard. Dans le cadre du présent exercice, la CCDP a tenu une discussion éclair sur la haine dans le contexte des droits de la personne au Canada afin d’orienter, d’explorer et de rafraîchir sa pensée sur la question. 

Une « consultation éclair » est une mini-consultation en table ronde réunissant un petit groupe d’experts par téléconférence pour discuter d’un sujet donné. 

Les experts invités à la consultation éclair ont été priés de répondre à l’avance et par écrit aux questions de politique suivantes : 

  1. Quels types de comportements, d’activités ou d’incidents haineux sont les plus préoccupants?
  2. Quels sont les conditions préexistantes ou les éléments précurseurs qui ont pour effet d’encourager ou d’appuyer les activités motivées par la haine, et comment pouvons nous en mesurer les signes annonciateurs? Quelles interventions précoces pourraient permettre de s’attaquer avec succès aux comportements précurseurs et empêcher la croissance, la propagation ou l’escalade des cycles de haine? 
  3. Quelles sont les ramifications de la haine, et quels en sont les effets sur les victimes et les groupes marginalisés au Canada? Comment pouvons-nous reconnaître et mesurer ces effets? Qu’est-ce qui permettrait de réduire ou d’atténuer les préjudices causés?
  4. Que peut apprendre le Canada des débats, des pratiques et des programmes internationaux et régionaux passés et actuels sur les questions liées à la haine? 
  5. Quels sont vos points de vue sur des enjeux complexes et émergents tels que :
    1. Les différentes formes de médias en évolution et l’essor des communautés en ligne, dont les médias sociaux;
    2. Les répercussions sur la liberté d’expression, y compris la liberté de parole;
    3. L’intersectionnalité – en quoi les comportements motivés par la haine peuvent-ils avoir une incidence différente sur certaines personnes ou communautés? 
  6. Selon vous, quels outils pratiques ou quelles stratégies seraient les plus utiles pour protéger la population contre la haine et pour promouvoir l’inclusion et l’appartenance à la société canadienne? Qui devrait diriger ces stratégies, et qui devrait y participer (p. ex., entreprises technologiques, fournisseurs de services Internet, Parlement, médias, etc.)? Quel rôle la CCDP pourrait-elle jouer? 

Les réponses écrites reçues des experts ont été compilées et transmises aussi bien à chacun d’entre eux qu’au personnel de la CCDP avant la tenue de la consultation éclair. La CCDP et les experts ont ensuite participé à une téléconférence de trois heures le 23 novembre 2018 afin de discuter des réponses écrites et d’élaborer à leur sujet. La consultation éclair était animée par Mme Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale de la CCDP, et Mme Valerie Phillips, directrice de la Division des services juridiques et avocate générale de la CCDP. Pendant la consultation éclair, des employés de la CCDP étaient présents à titre d’observateurs, tant en personne que par téléconférence. 

EXPERTS PARTICIPANTS 

Les experts suivants ont participé à la consultation éclair (voir leurs biographies en annexe) : 

  • Amira Elghawaby, défenseure des droits de la personne et journaliste; membre du conseil d’administration, Réseau canadien anti-haine
  • Bernie Farber, président, Réseau canadien anti-haine
  • Richard Moon, professeur de droit, Université de Windsor
  • Fo Niemi, directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales
  • Barbara Perry, professeure, Institut de technologie de l’Université de l’Ontario
  • Cara Zwibel, directrice, Programme des libertés fondamentales, Association canadienne des libertés civiles; membre du conseil consultatif, Centre for Free Expression 

CONSULTATION ÉCLAIR

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES ET POINTS CLÉS

« Nous chérissons tous le sentiment général de bien-être que nous avons au Canada. Mais c’est dans les moments où nous sommes confrontés à la haine et à la discrimination flagrantes […] que nous nous tournons vers nos institutions pour qu’elles nous protègent et fassent en sorte que nous ne sentions pas cette menace et que nos enfants soient en sécurité. » – Expert participant

Indifférence et inaction : 

Les experts estiment qu’il y a un vide lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux problèmes de haine au Canada. Un expert a indiqué qu’au cours des dernières années, les personnes ciblées par diverses formes de haine — y compris des menaces de mort, du vandalisme, des agressions ou du harcèlement au travail — ont généralement eu l’impression d’une réticence institutionnelle à prendre ces problèmes au sérieux. Selon les experts, ces problèmes sont souvent minimisés en tant que cas isolés, sans qu’il y ait de suivi à leur égard, et il y a souvent un manque d’information sur ce en quoi consistent exactement les crimes haineux et la manière de les traiter. Par exemple, même des acteurs comme les policiers, qui seraient censés connaître les moyens légaux de s’attaquer aux problèmes liés à la haine, ne sont pas toujours au fait des recours dont dispose la population. Par conséquent, de nombreuses personnes qui sont la cible de haine se sentent abandonnées par les diverses institutions de leur collectivité. 

Un autre expert est allé plus loin et a parlé de l’indifférence des institutions et du public à l’égard de la montée des discours haineux et des activités motivées par la haine, notamment la présence désormais plus visible de groupes haineux en ligne et sur le terrain, en temps réel. L’expert a affirmé qu’une telle indifférence se traduit par un manque d’actions proactives et de réactions, une absence d’application de la loi, une prévention lacunaire et une absence de liens de communication et de coopération entre les communautés et les intervenants institutionnels. Il a également déclaré que cette indifférence peut s’expliquer en partie par les compressions dans les services publics, qui ont obligé les intervenants institutionnels à cesser leurs activités ayant permis de réaliser des gains dans la lutte contre la haine et la discrimination au Canada. 

Un autre expert a fait remarquer qu’on pouvait aussi constater une indifférence envers la montée de l’extrême droite. À titre d’exemple, il a parlé du fait que, dans les évaluations des menaces qu’il a réalisées au cours des dernières années, le ministère de la Sécurité publique a écarté l’idée d’un risque réel associé à l’extrême droite. L’expert a dit s’inquiéter de ce qu’une telle tendance à nier le caractère problématique de l’extrême droite puisse légitimer la haine véhiculée par ses tenants. 

Montée de l’extrémisme : 

Au fil des ans, les discours de haine et d’extrémisme et ceux de la mouvance suprémaciste blanche ont pris diverses formes. Un expert a déclaré que, par le passé, différents groupes racialisées et progressistes se sont alliés aux autorités pour ériger une « barrière de protection » contre la haine. Or, bien que ceux-ci aient réussi à éliminer les groupes d’extrême-droite du paysage public, la menace de l’extrémisme n’a pas été éradiquée, mais elle a continué de bouillonner sous la surface. Un autre expert a fait remarquer que le monde d’aujourd’hui est bien plus complexe qu’autrefois, ce qui donne lieu à des situations jamais rencontrées auparavant. Ainsi, l’importante et dangereuse montée de l’extrémisme observée au cours des trois ou quatre dernières années pourrait s’expliquer en partie par des facteurs propres au contexte actuel. 

Selon l’un des experts, des dirigeants politiques actuels au Canada et à l’étranger ont alimenté l’extrémisme, ce qui a entraîné un nombre d’actes de violence physique plus important que ce que nous avions connu dans un passé récent. Il a ajouté que, par exemple, l’essor du « trumpisme » aux États-Unis et le discours de division que le président continuait de promouvoir permettaient aux extrémistes de se manifester au grand jour et de se sentir tout à fait confortés et légitimés dans leur cause. Toutefois, on a fait remarquer que ces effets n’étaient pas particuliers aux États-Unis et qu’ils s’infiltraient également dans le paysage canadien. 

Un autre expert a souligné qu’on assistait de plus en plus à une légitimation et à une normalisation, dans le discours public, de points de vue pouvant être considérés comme haineux. Ce phénomène de légitimation a été favorisé par Internet, qui permet aux gens de s’abreuver uniquement à des sources d’information confirmant leurs opinions sans être nécessairement exposés à un plus large éventail de perspectives. Cette situation, à son tour, contribue encore davantage à la radicalisation des positions. Avec la prolifération des propos haineux en ligne, rares sont les endroits ou les plateformes où il est possible d’échapper à ce genre de discours. En raison de l’utilisation toujours croissante des médias sociaux, de nombreux groupes extrémistes sont en mesure de transmettre leurs messages de haine rapidement et à un public bien plus vaste que jamais. À ce titre, un expert a souligné qu’il pourrait être utile que les FSI jouent un rôle dans la résolution de ces problèmes. Par contre, le même expert a fait remarquer qu’il pourrait y avoir des risques à se fier uniquement à ces acteurs privés pour supprimer le contenu haineux d’Internet. On a également souligné l’importance, pour les intervenants du secteur public — y compris les législateurs et les forces de l’ordre —, de travailler avec les joueurs du secteur privé pour résoudre ces problèmes. 

Le rôle du droit :

Un expert a fait remarquer que le droit comme forme de contrôle restrictif pourrait avoir un rôle limité à jouer pour remédier à certains problèmes liés à la haine. On a déclaré que, s’il est vrai que les dispositions législatives (p. ex., les interdictions relatives aux discours haineux prévues au Code criminel) ont un certain rôle à jouer, plus le problème est répandu, ou plus certaines opinions extrêmes deviennent courantes, moins les textes de loi peuvent être utiles pour y remédier. 

La recherche : 

Un expert a souligné le manque important de recherches rigoureuses sur l’extrême droite et la haine, notamment en ce qui concerne les répercussions de la haine sur les communautés. Il a indiqué qu’une telle insuffisance exacerbait certaines tendances, car il est plus facile de nier l’existence d’un problème en l’absence de preuves à l’appui. Donc, du point de vue universitaire, il y a encore beaucoup de travail à réaliser dans ce domaine.

SITUATION ACTUELLE 

« [D]ans ce pays, nous jouissons de la liberté d’expression; mais même cette liberté a des limites, et si tant est que nous vivions dans une société libre et démocratique, cette part de la liberté d’expression qui est la plus répugnante — la plus grave, la plus haineuse — doit être combattue […]. J’ai autant — ou mon ami noir a autant le droit que n’importe qui d’autre de marcher dans la rue à l’abri du harcèlement, de la calomnie et de la peur. » – Expert participant 

Connaissance et sensibilisation : 

D’après les experts, le public et la classe politique sont peu sensibilisés aux questions liées à la haine, y compris en ce qui a trait au contenu de la législation canadienne sur les crimes haineux. En raison d’une absence de sensibilisation et d’information, les communautés ignorent quoi faire lorsqu’elles sont la cible de crimes ou d’incidents haineux, et où et comment les signaler. De plus, l’un des experts a fait remarquer que même les journalistes ne sont pas au courant des recherches sur la haine, et qu’ils sont souvent surpris par les dimensions quantitatives et qualitatives du problème. Cet expert a avancé que si les journalistes — les yeux et les oreilles de la population — ne sont pas pleinement au fait du problème, il est facile d’imaginer à quel point la sensibilisation du public à cette question est limitée. On a insisté sur le fait que, sans conscientisation de la population, aucune pression ne se fera sentir pour ceux d’entre les politiciens qui sont susceptibles de contribuer à la propagation de fausses informations. 

Les experts ont également indiqué qu’il y a de graves problèmes avec l’information et les données officielles qui existent au sujet des crimes haineux, notamment en ce qui a trait aux limites des rapports publics et aux méthodes incohérentes et insuffisantes utilisées par les organismes d’application de la loi pour consigner les données. 

Services de police :

Plusieurs experts ont affirmé que les services de police ne répondaient pas adéquatement et avec sensibilité aux personnes et aux communautés victimes de haine. Certains experts ont parlé du manque d’uniformité entre les mesures d’intervention employées par les forces policières pour faire face aux crimes haineux, ainsi que d’une méconnaissance, par celles-ci, des cadres juridiques sur lesquels elles pourraient s’appuyer pour lutter contre les crimes haineux. De plus, la différence entre la définition d’un incident motivé par la haine et celle d’un crime motivé par la haine n’est pas claire, et les définitions semblent diverger d’un endroit à l’autre, si bien qu’il est difficile de savoir quelles données exactement la police est chargée de consigner, et que l’on constate des incohérences lorsqu’on essaie de prendre la pleine mesure du problème. Certains experts ont ajouté ne même pas être certains que les corps de police soient l’organisme approprié pour s’occuper des cas d’incidents haineux. Un autre expert a déclaré que le manque de compréhension de la police quant à la façon d’appliquer les dispositions législatives sur les crimes haineux pouvait s’expliquer en partie par la nature subjective et difficile de ces questions. On a souligné que c’était la raison pour laquelle la présence d’unités de lutte contre la haine au sein de la police était si importante, dans la mesure où les spécialistes au sein de ces unités acquièrent l’expertise et la compréhension nécessaires pour assurer la mise en application efficace des dispositions législatives contre la haine. Un expert a signalé que certains services de police au Canada avaient créé de telles unités pour s’occuper des enquêtes sur les discours et les crimes haineux, et ajouté qu’il serait utile de mener une étude sur leur efficacité. 

L’un des experts a déclaré qu’il y avait non seulement un manque de ressources et de formations de qualité en ce qui a trait aux crimes haineux et aux activités policières de lutte contre la haine, mais qu’il y avait également lieu de se demander si les forces de l’ordre avaient fait de ces enjeux une priorité. Par exemple, ce même expert a déclaré que, s’ils pouvaient être une priorité pour les personnes concernées par les questions liées à la diversité ou aux crimes haineux, ces enjeux n’intéressaient pas nécessairement les intervenants de première ligne. Par conséquent, selon lui, il était impératif d’insister sur la priorisation des crimes haineux dans tous les secteurs des forces policières. On a avancé l’idée que des recherches soient menées pour déterminer les raisons d’une telle résistance institutionnelle et d’une telle indifférence envers la question, et pour savoir pourquoi certains policiers demeurent réticents à assumer les obligations pertinentes que leur impose la loi l’égard des crimes haineux. On a indiqué qu’un autre aspect à l’égard duquel les organismes d’application de la loi et de renseignement affichaient une attitude d’indifférence ou de déni était celui des problèmes posés par l’extrême droite et l’extrémisme de droite. On a ajouté que l’inaction ou le refus d’agir proactivement à l’égard ces questions en attendant que quelque chose de grave se produise pourrait causer davantage de problèmes. 

Pour ce qui est de résoudre les questions liées à la déclaration des crimes haineux à la police, un expert a fait valoir que de véritables efforts d’engagement et de communication menés auprès de communautés ciblées permettraient d’améliorer la confiance envers les forces de l’ordre et augmenteraient la probabilité que les personnes et les communautés signalent les incidents. Toutefois, en attendant que des liens de confiance et de communication soient effectivement établis entre les communautés et les forces de l’ordre, des experts ont suggéré que l’on instaure des mécanismes de signalement par des tiers, une stratégie de plus en plus utilisée en Europe. Par ailleurs, grâce à la création de mécanismes en ligne de déclaration des incidents aux forces de l’ordre, les individus pourraient signaler ce dont ils ont été victimes sans devoir interagir directement avec la police, car c’est là parfois le seul obstacle à un tel signalement. On pourrait ainsi faire en sorte que les incidents soient consignés, et permettre aux collectivités, aux organismes d’application de la loi et à la société en général de mieux cerner les tendances susceptibles de se manifester. 

Les experts ont également discuté de l’importance de l’intersectionnalité dans le signalement des crimes haineux. Cependant, à l’heure actuelle, lorsque les victimes d’un crime motivé par la haine signalent ce crime, elles n’ont le droit de « cocher » qu’un seul aspect de leur identité. Un expert a mentionné, par exemple, que si une personne est noire et queer, et qu’elle est ciblée pour ces deux raisons, les procédures de collecte de données actuellement utilisées ne tiennent compte que d’une seule de ces identités. Par conséquent, ces données ne reflètent pas l’ensemble de la situation ou de ce que les gens ressentent. Aux dires d’un des experts, les membres de communautés continuent de dire qu’ils veulent que toute la portée de ce qu’ils ont vécu soit documentée et que toutes les caractéristiques pour lesquelles ils ont été ciblés soient prises en compte. 

Législation :

Certains experts ont déclaré que l’abrogation de l’article 13 de la LCDP a créé un vide sur les plans de la protection contre les discours haineux et de la lutte contre la diffamation de certaines communautés. Ce constat a amené certains experts à faire valoir la nécessité d’améliorer la législation pour combler ce manque, ou de rétablir — ou peut être refaçonner légèrement — l’article 13. Toutefois, un autre expert a rejeté l’idée que l’élimination de l’article 13 ait entraîné une lacune en matière de protection. Selon cet expert, l’article 13 n’était pas un moyen efficace de régler le problème, et il a placé le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») dans une position difficile et embarrassante à de nombreuses reprises. Un autre expert était d’avis qu’une interdiction des discours haineux qui met l’accent sur les discours extrêmes n’a pas sa place dans un code, un texte de loi ou un processus en matière de droits de la personne qui vise à lutter contre la discrimination de façon plus générale. De plus, cet expert s’est dit préoccupé par le fait que l’article 13 imposait un fardeau incroyablement lourd aux parties privées, car la plupart des affaires portées devant le Tribunal en vertu de cet article avaient été présentées par des personnes seules, qui avaient dû pour ce faire assumer des coûts personnels ahurissants. Par conséquent, le même expert a laissé entendre qu’il fallait explorer d’autres options pour s’attaquer à la forme de haine auparavant visée par l’article 13. 

Parmi les experts, certains se sont dits préoccupés de ce que les textes de loi et les politiques mis en place pour lutter efficacement contre la haine au Canada ne soient pas appliqués. On a laissé entendre qu’il fallait une discussion beaucoup plus étendue sur le nombre limité de poursuites intentées pour des infractions liées à la haine, ainsi que sur la réticence apparente des bureaux des procureurs généraux à introduire de telles poursuites. Un expert a indiqué que le fait de traiter les crimes haineux comme des crimes ordinaires prive les personnes et les collectivités ciblées par la haine du droit au même bénéfice de la loi. En outre, on a laissé entendre qu’il faut mettre davantage l’accent sur la magistrature, et qu’il est impératif que les juges reçoivent une formation adéquate sur les questions liées à la haine et soient représentatifs des collectivités qu’ils servent. 

Services et mesures de soutien : 

Les experts ont dit qu’il y avait actuellement très peu de services et de mesures de soutien — y compris au sein des services de police — offerts aux personnes et aux communautés ciblées par la haine. De plus, les services et les mesures de soutien existants n’apportent pas une aide adéquate aux victimes de crimes haineux. On a laissé entendre qu’il était impératif que les personnes qui en assurent la prestation aient la formation nécessaire pour composer avec la dynamique particulière associée aux crimes haineux. Qui plus est, on compte peu, voire pas de programmes ou d’initiatives visant à « déprogrammer » les personnes faisant la promotion de la haine ou à s’attaquer concrètement aux idéologies et aux discours ayant inspiré un tel comportement. 

Un expert a mentionné que, selon les récentes statistiques sur les crimes haineux, un nombre important d’attaques contre des communautés religieuses avaient été commises par des personnes de moins de 18 ans. Ces attaques soulèvent plusieurs préoccupations quant aux influences auxquelles les jeunes Canadiens sont actuellement exposés, ainsi qu’aux genres de stratégies mises en œuvre pour promouvoir dès le plus jeune âge des perspectives allant à l’encontre du racisme et de la haine. On a insisté sur le fait que la mise en œuvre de ce type de stratégies était très importante, car plus récemment, il semble y avoir eu une « résistance » au concept de multiculturalisme au Canada. Or une telle résistance constitue une menace très grave pour la sécurité publique des communautés marginalisées, mais plusieurs experts ont observé qu’elle ne semblait pas susciter autant d’inquiétude qu’elle le méritait chez la population. 

Inclusion du français : 

Un expert a fait remarquer qu’en ce moment, au Canada, la discussion sur les crimes haineux et la lutte contre ceux-ci se déroulaient actuellement en anglais seulement, et non en français, si bien que les messages concernant les questions d’égalité, de droits et de non discrimination n’étaient pas accessibles à tous au pays. Par conséquent, on a fait valoir l’importance que les médias et les décideurs francophones participent à ce processus à l’avenir.

Débat sur la liberté d’expression et la propagande haineuse : 

Un expert a déclaré que les discours haineux ne sont pas synonymes de liberté d’expression, et que faire l’amalgame de ces deux notions est une ruse typique des militants d’extrême droite pour se défendre et pour défendre leurs discours. Il a également été souligné que les extrémistes de droite se servent de toute restriction à la liberté de parole comme d’un moyen de renforcer une mentalité de victimisation. Cependant, un autre expert n’était pas d’accord pour dire que les discours haineux ne sont pas synonymes de liberté d’expression. Il a affirmé que la liberté d’expression, en tant que principe constitutionnel, protégeait toutes les formes d’expression, tout en faisant remarquer que les tribunaux avaient jugé raisonnable le fait de restreindre les discours haineux dans certaines circonstances. Selon l’expert, les tribunaux ne faisaient pas ainsi référence au genre de discours haineux auquel pense le commun des mortels lorsqu’il utilise le terme, mais plutôt aux formes vraiment extrêmes de discours haineux, c.-à-d. ceux qui calomnient les membres d’un groupe particulier. Dans l’ensemble, cet expert a dit ne pas être convaincu que la voie législative soit une bonne façon de contrer certaines formes moins graves de discours haineux. Il a également émis des réserves au sujet de l’idée courante selon laquelle la liberté d’expression permet de tenir impunément des propos haineux. Tout en reconnaissant qu’il est devenu à la mode, chez les tenants de l’extrême droite, de se présenter comme de grands défenseurs et protecteurs de la liberté d’expression, et que toute tentative de réduire ces derniers au silence ou de les priver de tribune est un affront à la liberté d’expression, l’expert a aussi fait valoir l’importance de reconnaître qu’il y a des gens qui croient sincèrement au principe de la liberté d’expression et qui estiment que les tentatives de criminaliser toute forme de discours posent un réel problème. Pour prévenir cette situation, les ardents défenseurs de la liberté d’expression savent qu’il leur incombe de contrecarrer les discours haineux plutôt que de les censurer. 

Un autre expert a convenu que, bien qu’il soit important de faire sienne, d’encourager et d’appuyer la notion de liberté d’expression, il est tout aussi important de prendre acte du fait que les tribunaux reconnaissent depuis de nombreuses années que la haine est devenue un facteur prévalent et grave, et qu’ils ont établi une distinction entre les discours haineux et la liberté d’expression. 

Aux dires d’un expert, deux concepts permettent de mieux comprendre la thèse selon laquelle certaines personnes confondent liberté d’expression et discours haineux. Premièrement, cette thèse peut porter sur l’étendue et les limites de la liberté d’expression; c’est-à-dire la question de savoir si le discours haineux est une forme d’expression qui revêt une certaine valeur, mais qui devrait néanmoins être limitée parce qu’elle cause aussi du tort, ou s’il s’agit plutôt d’une catégorie d’« expression » dénuée de valeur qui, par conséquent, n’exige pas de protection à première vue. Deuxièmement, au lieu de servir à défendre directement les propos haineux, cette thèse peut s’appliquer aux groupes haineux qui font valoir leur droit — et celui des autres — de faire de telles affirmations odieuses au nom de la liberté d’expression. 

Un expert a déclaré qu’il était important de savoir en quels termes parler de liberté d’expression et de discours haineux. À titre d’exemple, on accorde parfois trop d’importance aux opposants aux dispositions législatives sur les discours haineux, qui présentent ces dispositions comme des instruments restreignant les discours qui offensent d’autres personnes. Cet expert jugeait l’expression « offenser » trop subjective et estimait que la terminologie utilisée devrait être davantage axée sur les préjudices causés . 

Dans toute discussion au sujet des plateformes en ligne et des discours haineux, la principale question qui revient est celle de la façon de s’attaquer au problème et de veiller à ce que les plateformes en ligne ne deviennent pas des moyens de propager la peur et la haine. On a affirmé que, bien que certaines améliorations aient été observées, notamment en Allemagne, l’idée de tenir les médias sociaux responsables de supprimer les discours et le contenu haineux de leurs plateformes demeure un défi au Canada. Un expert a fait remarquer que l’article 320.1 du Code criminel, qui permet à la police de s’adresser à un juge pour demander une ordonnance visant le retrait de matériel haineux en ligne, est sous-utilisé. Quelqu’un a avancé que, si l’on examine le droit dans ce domaine, il vaut la peine de s’interroger sur les raisons de cette situation, par exemple en se demandant si le processus est trop lourd; s’il y a confusion sur le plan des compétences; et si le fait de demander une ordonnance dans ce contexte est un moyen efficace de régler le problème. Cet exercice pourrait aider à améliorer l’article du Code criminel en question. 

REGARD VERS L’AVENIR 

« […] à moins de trouver un moyen de réunir les citoyens, les entreprises, les médias et le gouvernement pour que tous travaillent en collaboration, je pense que la haine gagnera. Et ce n’est pas ce que nous voulons. Je pense que nous pouvons trouver une façon de l’éviter. […] Je crois que c’est l’objectif que nous devons essayer d’atteindre. » – Expert participant 

Médias :

On a laissé entendre que, compte tenu de l’expansion de la radio dite « poubelle » et du rôle joué par les médias traditionnels à cet égard, il serait important d’établir un dialogue avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour déterminer comment l’organisme traite les questions liées à la haine dans le domaine de la radiodiffusion et dans d’autres domaines relevant de sa compétence. On a affirmé qu’au fil des ans, le CRTC a délégué une part trop importante de son pouvoir de réglementation au secteur privé, ce qui s’est avéré inefficace, car ce dernier n’a pas les mêmes pouvoirs que le CRTC pour traiter les plaintes déposées en vertu des règlements sur la radiodiffusion et les télécommunications. 

Une autre question à examiner est celle des commentaires des lecteurs sur les articles des médias affichés en ligne. Souvent, la section des commentaires accompagnant ces articles tient d’une mêlée générale où les commentateurs incitent ouvertement à la haine et à la discrimination à l’égard de groupes protégés. Il serait utile d’examiner la possibilité, pour l’industrie ou le CRTC, de publier des lignes directrices plus rigoureuses concernant les sections de commentaires en ligne. 

Un expert a déclaré qu’il y avait actuellement peu de transparence au sujet des mesures prises par les plateformes de médias sociaux pour surveiller les contenus et donner suite aux signalements des violations des conditions de service ou de la loi. On a avancé qu’étant donné que ces plateformes continuent d’évoluer et d’innover dans le domaine, il serait utile et important et  d’examiner leurs pratiques actuelles et éventuelles. Puisqu’Internet est devenu un outil important pour les semeurs de haine dans le monde, le gouvernement devrait prendre l’initiative de rassembler les FSI — en particulier les grands groupes d’entre eux qui fournissent une plateforme aux semeurs de haine et autres — afin qu’ils élaborent ce qu’on a appelé une « déclaration de responsabilité ». Car même si les FSI prétendent déjà avoir ce type de mécanisme en place, ils ne l’appliquent pas, et c’est pourquoi les gens continuent de se radicaliser en ligne. On a insisté sur l’importance que ces fournisseurs et plateformes prennent au sérieux leurs responsabilités d’entreprise et trouvent des moyens de lutter contre la haine, avant qu’elle ne devienne problématique au point de conduire aux tragédies bien réelles que l’on continue de voir. 

Un autre expert a posé des questions et exprimé des préoccupations au sujet du rôle, des droits et des responsabilités des diverses plateformes et FSI. Bien qu’ils soient des acteurs privés, ils jouent un rôle hautement public comportant des obligations. Par conséquent, on a dit qu’il serait peut-être approprié que les législateurs et les acteurs gouvernementaux prennent des mesures pour s’assurer que ces plateformes et fournisseurs n’appliquent pas de censure excessive et fournissent des indications sur le type de matériel qui devrait être retiré. 

Outils et ressources :

Un expert a émis l’opinion qu’il serait utile de disposer d’un dépôt central de renseignements, de ressources et de recherches sur les questions liées à la haine afin que les défenseurs des droits des communautés puissent avoir une meilleure idée de la nature et de l’étendue du problème et des outils et ressources déjà offerts. 

Certains experts étaient d’avis que les technologies d’intelligence artificielle pourraient devenir un outil très efficace à l’avenir pour filtrer le contenu en ligne, à condition qu’elles ne finissent pas par ratisser plus large qu’elles le devraient, ce qui causerait une censure excessive. 

On a également affirmé qu’à mesure que des outils continuent d’être créés, il serait important de veiller à ce que certains d’entre eux le soient aussi en français, étant donné que certains discours haineux émanant du Québec sont particulièrement préoccupants. 

Étude nationale ou parlementaire : 

Certains des experts ont dit qu’une étude ciblée portant précisément sur le problème croissant de la haine au Canada aiderait à cerner les lacunes qui existent actuellement, ainsi que les mesures nécessaires pour régler ce problème dans l’avenir. On a également laissé entendre que, comme nous vivons dans un monde de plus en plus numérique, il serait impératif qu’une telle étude porte sur la façon de s’attaquer à la haine et aux discours haineux en ligne. Un expert a déclaré qu’une telle étude pourrait avoir comme point de départ une méta-analyse visant à déterminer les faits connus ou inconnus au sujet de la haine et des crimes haineux sous toutes leurs formes. Il a ajouté que ce type d’analyse pourrait comporter deux volets; le premier prendrait la forme de multiples études connexes concernant les formes les plus banales de haine, les micro agressions, les propos haineux en ligne, les crimes haineux et les organisations motivées par la haine; et le deuxième volet pourrait consister à examiner la façon dont un régime législatif de lutte contre les crimes motivés par la haine pourrait fonctionner dans la pratique — de la législation aux activités policières, en passant par les expériences respectives des auteurs et des victimes des crimes, les poursuites et la détermination de la peine. Selon cet expert, l’examen du deuxième volet est en cours de réalisation par le Centre sur la haine, les préjugés et l’extrémisme, et s’intitule « Life Cycle of a Hate Crime » (ou, en français : « Le cycle de vie du crime motivé par la haine ») . Un expert a laissé entendre que, même si une étude nationale sur la haine pourrait permettre d’ouvrir un débat public plus vaste sur ces questions, elle ne serait peut-être pas utile pour déboucher sur des mesures concrètes. Par conséquent, on a suggéré d’entreprendre des micro-projets en parallèle pour produire des résultats tangibles et durables. 

On a également affirmé qu’il faudrait exercer davantage de pressions sur le gouvernement fédéral pour qu’il lance ou réinvente un plan d’action national contre le racisme, qui viserait non seulement le racisme, mais aussi toutes les formes de xénophobie, d’homophobie et de misogynie. 

Le rôle des lois existantes :

Il a été suggéré d’examiner le rôle des dispositions législatives existantes et la façon de mieux les utiliser. Car, bien qu’une part importante d’entre elles aient une fonction symbolique — c.-à-d. qu’il s’agit de déclarations selon lesquelles certaines choses sont inacceptables —, si la loi n’est jamais appliquée, cette fonction symbolique devient insignifiante et vide de sens. En outre, on a fait valoir que l’exigence d’obtenir le consentement du procureur général avant d’intenter toute poursuite en vertu de l’article 319 du Code criminel soit réexaminée pour en évaluer la signification et l’importance, ou les façons dont elle pourrait constituer un obstacle. Un expert a dit que la loi devrait être le dernier recours pour réagir à la haine. 

Commission canadienne des droits de la personne : 

On a laissé entendre que, même si sa compétence et ses pouvoirs en vertu de la LCDP sont limités, la CCDP a un rôle important à jouer au sein de l’Association canadienne des commissions des droits de la personne (ACCDP), dans le cadre de laquelle les commissions des droits de la personne des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent travailler ensemble pour aider à combattre la haine et autres formes de discrimination dans les divers ordres de gouvernement partout au pays. 

Il a également été proposé qu’à la faveur de ses échanges avec la communauté internationale, notamment les institutions nationales des droits de la personne d’autres pays ou les Nations Unies, la CCDP pourrait discuter des zones grises des lois et politiques en la matière au Canada et recenser les pratiques prometteuses appliquées ailleurs. 

Coordination et mobilisation :

Il a été déclaré que toute stratégie visant à réduire les comportements haineux devrait être multidimensionnelle et multisectorielle, ce qui signifie qu’elle ne toucherait pas seulement les forces de l’ordre et le système de justice pénale, mais aussi les secteurs de l’éducation et de la santé et d’autres intervenants des secteurs privé et public. De plus, pour remédier à l’indifférence et à la résistance institutionnelles à l’égard de cette question, un expert a fait valoir qu’il serait utile de trouver des moyens de mobiliser également les dirigeants de divers organismes, comme les organismes de réglementation ou d’application de la loi. 

Un autre expert a souligné que, bien qu’il soit impératif de réduire les comportements haineux chez les jeunes — et une grande partie des stratégies d’intervention actuelles sont axées sur les jeunes —, cela est également vrai pour les adultes. On a indiqué que bon nombre des personnes impliquées dans les mouvements d’extrême droite, et en particulier le mouvement de droite alternative, étaient des adultes, et qu’il était donc important de réfléchir à des stratégies les ciblant expressément. On a évoqué la possibilité que le mouvement syndical joue un rôle important à cet égard. 

Un expert a également mentionné l’importance de tenir compte des différentes dynamiques de la haine et des réactions à la haine dans les diverses communautés touchées — plus précisément, la dynamique urbaine-rurale et les formes que la haine peut prendre dans les régions rurales. Il a relevé que l’on comptait de nombreux forums et activités sur les questions liées à la haine destinés aux adolescents et aux jeunes adultes en régions urbaines, alors que les adolescents et les adultes des régions rurales étaient plus isolés et n’avaient donc pas accès au genre de mesures de soutien et de services de lutte contre la haine qui sont visibles et actifs dans les collectivités urbaines. Par conséquent, on a affirmé qu’à l’avenir, il était important de continuer de tenir compte des collectivités rurales et de dialoguer avec elles. 

Organisations de la société civile :

De nombreuses organisations de la société civile font actuellement de l’excellent travail pour lutter contre la haine. Par exemple, à l’heure actuelle, le Réseau canadien anti haine surveille et étudie l’extrémisme afin de le comprendre et de l’enrayer. Il est composé d’un petit groupe de chercheurs, de conseillers et d’universitaires qui ont une expertise universitaire ou de recherche dans la lutte contre les crimes haineux, la mouvance suprémaciste blanche et l’extrémisme. On a dit qu’il était essentiel de travailler avec des organisations comparables, c.-à-d. composées de personnes ayant ce genre d’expérience. 

Messages contre la haine : 

La répétition de propos haineux, qu’ils proviennent de politiciens ou d’Internet, pénètre la conscience du public. Même si l’on peut en dire autant de la répétition des messages contre la haine, ces types de messages sont moins visibles et moins bruyants, et ne semblent pas avoir autant de résonance dans la sphère publique. Un expert a laissé entendre qu’il fallait s’efforcer davantage pour amplifier les messages et les récits contre la haine de la même façon que le mouvement d’extrême droite a amplifié ses propres messages et récits. 

OBJECTIFS À COURT ET À LONG TERME POUR LA CCDP

« Il est d’une importance capitale, pour les collectivités qui s’estiment vraiment à risque d’être victimes, ou qui l’ont été, d’entendre dire haut et clair […] que ces comportements et attitudes promus en ligne ou hors ligne dans nos communautés ne sont pas acceptables, et que nous cherchons à mettre en place des stratégies concrètes pour y faire face. » – Expert participant 

Objectifs à court terme : 

Éducation aux médias et à la culture numérique
On a proposé que la CCDP élabore des ressources en éducation aux médias et à la culture numérique, qui porteraient par exemple sur la façon de reconnaître de l’extrémisme qui n’en a peut-être pas l’air, ou de déterminer la crédibilité des différentes sources. 

Sensibilisation accrue
Il a été suggéré que la CCDP, en partenariat avec des intervenants des secteurs privé et public, des défenseurs des droits et des organismes communautaires, participe à une série d’importantes consultations sur les problèmes associés à la haine afin d’accroître la sensibilisation de la classe politique, des institutions et du public. 

On a également indiqué que la réalisation d’une méta-analyse sur la haine visant à mieux comprendre la « situation sur le terrain » et à savoir quels sont les faits connus ou inconnus au sujet des crimes haineux aiderait non seulement ceux qui sont déjà désireux d’étudier et de comprendre la haine, mais permettrait aussi d’accroître la sensibilisation et la compréhension du public. La CCDP pourrait jouer un rôle crucial en contribuant à diffuser les résultats de l’analyse de façon accessible à tous, notamment grâce à des documents de discussion destinés à des communautés élargies et par l’intermédiaire des médias sociaux, des médias grand public et des médias associés à des collectivités particulières, entre autres moyens. 

Article 13
Bien que les experts ne soient pas tous d’accord avec la suggestion suivante, l’un d’entre eux a laissé entendre qu’il était essentiel pour la CCDP de disposer d’outils comme l’article 13 pour aider à lutter contre le racisme, le sectarisme et la haine au Canada. Cet expert a laissé entendre qu’avec un peu d’épuration et de remaniement, l’article 13 pourrait redevenir un excellent et efficace outil de lutte contre les discours haineux. Par exemple, si l’article 13 prévoyait un moyen, pour la CCDP, de porter elle même une affaire devant le Tribunal, cela éliminerait l’un des problèmes antérieurs liés à l’article 13, à savoir qu’il imposait un fardeau trop lourd aux parties privées. 

Coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires
On a déclaré qu’il fallait assurer une plus grande coordination du travail entre les organismes à l’échelle du Canada ou des provinces et territoires sur les questions liées à la haine. On a ajouté que la CCDP devrait travailler sur ces questions en partenariat avec d’autres commissions provinciales et territoriales. Un expert a dit qu’il serait utile que la CCDP inscrive la haine à l’ordre du jour de la réunion de l’ACCDP de l’an prochain. 

Forums internationaux
On a émis l’idée que, dans le cadre de son rôle au sein des forums internationaux, la CCDP puisse contribuer à mettre à l’avant-plan certains enjeux émergents liés à la haine sur Internet à l’ère de la démocratie numérique. 

Objectifs à long terme : 

Contre-discours
D’après l’un des objectifs à long terme suggérés, la CCDP pourrait, aussi bien seule qu’en collaboration avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, mettre à l’essai des contre-discours pour en mesurer l’efficacité, et réfléchir à des moyens de mobiliser les collectivités pour pouvoir lutter efficacement contre la haine et l’extrémisme. 

Fournisseurs de services Internet
Même si les FSI ont le droit de refuser des services à des sites Web qui contreviennent à leurs normes, dans la plupart des cas, ils tendent à s’en abstenir. On a proposé que la CCDP travaille en étroite collaboration avec eux pour examiner les moyens d’améliorer la mise en application de  leurs conditions d’utilisation. Un expert a émis l’idée que la CCDP convoque une réunion des FSI qui viserait à déterminer s’il existe des façons plus efficaces de bloquer l’accès aux réseaux lorsque l’on a affaire aux formes de haine les plus extrêmes. Certains experts ont aussi fait valoir qu’il pourrait être utile de voir comment les fournisseurs ont déjà réussi à s’entendre au sujet du repérage et du blocage de la pornographie juvénile. En effet, bien qu’il s’agisse là d’une question très différente — et peut-être plus facile à distinguer et à exclure que les discours haineux —, les méthodes utilisées pourraient s’avérer utiles et transposables au problème ici en cause. 

Un expert a également laissé entendre que la CCDP pourrait assumer très efficacement un rôle de coordinatrice et de rassembleuse auprès de différents acteurs fédéraux comme le ministère de l’Industrie, la GRC, le SCRS et le CRTC, ainsi qu’auprès de l’industrie d’Internet et des médias sociaux. On a souligné qu’il serait difficile d’engager des discussions sur les façons d’obtenir des résultats durables en matière de lutte contre la haine et les groupes haineux sans la participation tous les intervenants clés, et c’est pourquoi ce rôle de rassembleuse est si important. 

CONCLUSION 

La consultation éclair sur la haine dans le contexte des droits de la personne au Canada a permis un apport de connaissances approfondies qui continueront d’appuyer les travaux de la CCDP. Les idées exprimées par les experts éclaireront la CCDP dans la planification de ses objectifs à court et à long terme pour contrer la haine et l’intolérance au Canada. Les experts invités à la consultation éclair ont fourni de nombreux points de vue précieux, et la CCDP pourra s’en inspirer à l’avenir pour renforcer le rôle qu’elle a à jouer dans la lutte contre ces problèmes. 

ANNEXE 

BIOGRAPHIES DES EXPERTS 

Amira Elghawaby – Défenseure des droits de la personne et journaliste; membre du conseil d’administration, Réseau canadien anti-haine

Amira Elghawaby est journaliste primée et défenseure des droits de la personne. En plus de ses apparitions fréquentes sur les réseaux de nouvelles canadiens et internationaux, Amira a écrit et produit des articles et des commentaires pour divers médias, notamment CBC/Radio-Canada, l’Ottawa Citizen, le Toronto Star et le Globe and Mail. Amira a passé cinq ans à promouvoir les libertés civiles des musulmans canadiens à titre d’agente des droits de la personne et, plus tard, de directrice des communications au Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) de 2012 à l’automne 2017. Elle participe actuellement à plusieurs initiatives visant à promouvoir l’engagement civique dans des collectivités diversifiées, ainsi qu’à des initiatives de lutte contre le racisme et la xénophobie, notamment comme membre fondatrice du conseil d’administration du Réseau canadien anti-haine, membre du conseil d’administration du Silk Road Institute et conseillère de la Muslim Youth Fellowship à Toronto. Amira a obtenu en 2001 un baccalauréat spécialisé en journalisme et en droit de l’Université Carleton. 

Amira Elghawaby

 

Bernie Farber – Président, Réseau canadien anti-haine 

Reconnu comme l’un des PDG d’ONG les plus accomplis au Canada, Bernie Farber a mené une carrière de plus d’un quart de siècle axée sur les droits de la personne, le pluralisme et les relations interethniques, interconfessionnelles et interraciales. Également reconnu et sollicité par les tribunaux, les médias et les organismes d’application de la loi comme expert en matière de droits de la personne et de droits civils, il est l’un des rares dans le domaine à être accepté par les tribunaux canadiens comme expert sur les crimes haineux, l’idéologie suprémaciste blanche et la lutte contre le racisme. Ses efforts ont été documentés dans de nombreuses publications canadiennes sur les droits de la personne, ainsi que dans des livres, des journaux, des films documentaires et des magazines. En regard de son expertise, son travail a également été cité dans un certain nombre de publications universitaires. M. Farber a dirigé avec succès de grandes ONG et fondations comme le Congrès juif canadien, la Fondation Paloma et le Mosaic Institute, qui sont toutes vouées à la justice sociale et aux droits de la personne. M. Farber a également travaillé en étroite collaboration avec les communautés autochtones canadiennes à la réparation des torts historiques. Aujourd’hui, plutôt que d’être « retraité », M. Farber est « rebranché ». Il agit comme consultant qualifié en matière de justice sociale, en plus d’être un conférencier acclamé et recherché. Il écrit pour divers journaux au Canada et aux États-Unis. Il siège au conseil d’administration de Human Rights Watch, préside le comité des droits et de l’éthique de Community Living Toronto et est coprésident de la Direction générale de l’action contre le racisme de l’Ontario.

Bernie Farber

 

Richard Moon – Professeur de droit, Université de Windsor 

Richard Moon est professeur émérite à l’Université de Windsor. Il est l’auteur des ouvrages Putting Faith in Hate: When Religion is the Source or Target of Hate Speech (Cambridge Univ. Press, 2018), Freedom of Conscience and Religion (Irwin Law, 2014), et The Constitutional Protection of Freedom of Expression (U of T Press, 2000). Il agit aussi comme rédacteur en chef de Law and Religious Pluralism in Canada (UBC Press, 2008), en plus d’être corédacteur en chef des publications Religion and the Exercise of Public Authority (Hart/Bloomsbury, 2016) et Indigenous Spirituality and Freedom of Religion (University of Toronto Press, à paraître) et collaborateur à la rédaction du livre Canadian Constitutional Law (3e, 4e et 5e éditions) (Emond-Montgomery, 2006, 2010, 2016). Il a reçu des prix d’enseignement de la faculté de droit et à l’échelle de l’université, ainsi que le prix Mary Lou Dietz pour sa contribution à l’avancement de l’équité à l’université et dans la collectivité. Il a occupé plusieurs postes universitaires, dont celui de président de l’Association canadienne du droit et de la société. En 2008, il a rédigé pour la Commission canadienne des droits de la personne un rapport concernant l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et la réglementation des discours haineux sur Internet. 

Richard Moon

 

Fo Niemi – Directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales

Bilingue et multiculturel, Fo Niemi détient un diplôme en travail social de l’Université McGill. Il a également étudié les sciences politiques à l’Université Concordia, avec une spécialisation dans l’activisme judiciaire et le mouvement des droits civiques aux États-Unis et au Canada.
Sa vaste expérience englobe l’examen, la conception et l’élaboration de politiques; l’examen du système d’emploi et l’élaboration de politiques d’équité en matière d’emploi; l’analyse critique des questions liées à la race, au genre et à l’orientation sexuelle; la formation sur la discrimination systémique, les préjugés raciaux implicites et inconscients et le profilage racial (dans les contextes de l’application de la loi et du service à la clientèle); l’aide et le soutien aux victimes de discrimination; et l’intervention et la prévention en matière de droits civils. Il a travaillé auprès de petites et grandes organisations des secteurs public, privé et communautaire partout au Canada.

En plus de son poste à temps plein de directeur général du CRARR, M. Niemi a occupé de nombreux postes à temps partiel, dont celui de président du Comité d’examen des plaintes de la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal (1990-1991) et de commissaire à la Commission des droits de la personne du Québec (1991-2003). Au cours de son mandat à la Commission des droits de la personne, il a présidé les audiences publiques historiques tenues par la Commission en 1993 sur la discrimination et la violence dirigées contre les gais et lesbiennes.

Fo Niemi

 

Barbara Perry – Professeure, Institut de technologie de l’Université de l’Ontario 

Barbara Perry est professeure à la faculté des sciences sociales et humaines à l’Institut de technologie de l’Université de l’Ontario et directrice du Centre sur la haine, les préjugés et l’extrémisme. Elle compte à son actif de nombreux écrits sur la justice sociale en général, et sur les crimes haineux en particulier. Elle a publié plusieurs livres sur ces deux sujets, notamment Diversity, Crime and Justice in Canada, et In the Name of Hate: Understanding Hate Crime. Elle a également fait paraître des écrits dans le domaine de la victimisation et du contrôle social chez les Autochtones d’Amérique, y compris un livre intitulé The Silent Victims: Native American Victims of Hate Crime, et Policing Race and Place: Under- and Over-enforcement in Indian Country, tous deux basés sur des entrevues avec des Autochtones d’Amérique (University of Arizona Press). Elle a été rédactrice en chef d’une série de cinq volumes sur les crimes haineux (Praeger), et rédactrice du 3e volume de la série : Victims of Hate Crime. Ses travaux ont été publiés dans des revues représentant diverses disciplines : Theoretical Criminology, Studies in Conflict and Terrorism, Journal of History and Politics, et American Indian Quarterly. Mme Perry poursuit ses travaux dans le domaine des crimes haineux et a abondamment contribué aux rares études sur le sujet au Canada, notamment en ce qui concerne la violence antimusulmane, les crimes haineux contre les communautés LGBTQ, les répercussions des crimes haineux pour les communautés et le mouvement d’extrême droite au Canada. Les médias locaux, nationaux et internationaux font régulièrement appel à ses services à titre d’experte en matière de crimes haineux et de mouvements d’extrême droite.

Barbara Perry

 

Cara Zwibel – Directrice, Programme des libertés fondamentales, Association canadienne des libertés civiles; conseil consultatif, Centre for Free Expression

Cara Zwibel est avocate et directrice du Programme des libertés fondamentales de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC). Son travail à l’ACLC est axé sur la liberté d’expression, la liberté de religion et les droits démocratiques. Avant de se joindre à l’ACLC, Cara a travaillé comme auxiliaire juridique pour l’honorable juge Binnie à la Cour suprême du Canada et a pratiqué le droit dans un grand cabinet national. Elle a obtenu son diplôme en droit d’Osgoode Hall en 2004 et détient une maîtrise en droit de l’Université de New York (2008).  

Cara Zibwel