Discussion éclair sur les droits économiques, sociaux et culturels des autochtones au Canada 2018

Type de publication
Rapports de recherche
Sujet
Droits de la personne

 

Résumé et principales conclusions des experts

Recours et réparations :

  • Il est impératif que les droits économiques, sociaux et culturels (droits ESC) soient reconnus comme justiciables et qu’ils puissent faire l’objet d’une réparation ou d’un recours.
  • Il est essentiel que les solutions visant à faire respecter les droits ESC des Autochtones ne reposent pas sur une approche universelle.
  • En tant qu’alliés, les non-Autochtones au Canada ont la responsabilité d’éradiquer le racisme persistant dans la société canadienne et de lutter contre le racisme systémique qui perdure dans les lois, les politiques et les pratiques.
  • Les peuples autochtones ont le droit et la compétence de concevoir, d’offrir et de mettre en œuvre les types de services les plus adaptés à leurs collectivités et qui entraînent des résultats positifs. La société canadienne doit établir des partenariats avec les peuples autochtones et s’inspirer de leur définition des droits ancestraux et issus de traités.
  • Investir davantage dans les compétences et la formation des Autochtones, comme l’ont déterminé les collectivités autochtones, aiderait à rompre le cycle des problèmes sociaux auxquels celles-ci continuent de faire face en raison du colonialisme.

Autres cadres et mécanismes :

  • Il est souvent peu probable que la traduction des questions liées aux droits ESC en revendications juridiques donne des résultats incluant le type de changement transformationnel nécessaire pour régler le problème.
  • Les droits – notamment les droits ESC – sont prédéfinis comme étant des concepts individualistes, hétéronormatifs, capitalistes et fondés sur des notions comme la famille nucléaire – c’est à dire des cadres dans lesquels les peuples autochtones ne s’inscrivent pas nécessairement.
  • De nombreux peuples autochtones évoluent dans un cadre communautaire et de responsabilité collective.

Langue et identité autochtones :

  • La langue et l’identité sont inextricablement liées et, pour une bonne part, la préservation de l’identité autochtone s’inscrit dans la conservation et le rétablissement des langues autochtones.
  • Il faut instaurer un système d’éducation solide et inclusif axé sur la protection, la préservation et la promotion des langues autochtones; de plus, les programmes d’enseignement – de la maternelle à la 12e année, tant pour les jeunes autochtones que non-autochtones – devraient présenter l’histoire des Autochtones et faire place aux discussions sur les questions courantes liées au colonialisme à l’égard des peuples autochtones. Il est également essentiel, pour l’élaboration et la prestation d’un tel système d’éducation, que les dirigeants autochtones jouent un rôle de premier plan à toutes les étapes.
  • Pour que les droits linguistiques autochtones soient reconnus par une Loi sur les langues autochtones, il faut un cadre correctif et des mesures plus concrètes en matière de protection.

Organismes et mécanismes internationaux et régionaux :

  • Des groupes nationaux et internationaux ont, à maintes reprises, exhorté le gouvernement du Canada à créer un organe de surveillance fédéral-provincial-territorial conjoint qui compte parmi ses membres des organisations non gouvernementales (ONG) et des Autochtones. Cet organe serait principalement chargé de veiller au respect par le Canada de ses obligations relatives aux droits internationaux de la personne, en particulier en ce qui a trait aux droits ESC, et d’en rendre compte.
  • Des comptes rendus sur les conclusions des organismes de suivi des traités internationaux demeureront inutiles tant qu’on n’aura pas instauré un processus cohérent et continu de surveillance de la mise en œuvre des recommandations.
  • La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones doit devenir un document d’orientation de base pour la définition des droits ancestraux et issus de traités au Canada.
  • La participation des ONG aux mécanismes internationaux de protection des droits de la personne offre une perspective importante et unique, et c’est pourquoi il est impératif que les ONG reçoivent un financement adéquat des activités qu’elles mènent à l’échelle internationale en matière de droits de la personne.

Objectifs à court, moyen et long terme de la CCDP :

  • On a proposé un certain nombre d’objectifs à court, moyen et long terme. Les objectifs à court terme consistent notamment à veiller à ce que l’inventaire des plaintes de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) soit bien géré, à mener des activités de sensibilisation du public et à assurer la collaboration de la CCDP avec des mécanismes de protection des droits et des institutions semblables qui existent déjà. Les objectifs à moyen terme comprennent la réalisation d’études et la production de rapports, la représentation des Autochtones au sein de la CCDP et la correction des lacunes à l’aide des mécanismes de réparation de la CCDP. Les objectifs à long terme ont trait à la présence des ONG au sein des instances régionales et internationales des droits de la personne, à la formation socioéconomique et au renforcement des compétences des jeunes autochtones, ainsi qu’à la coordination fédérale-provinciale-territoriale.

Contexte

La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) considère que les droits économiques, sociaux et culturels (droits ESC) sont un sujet de préoccupation majeure qui montre la nécessité d’approfondir les connaissances. Dans le cadre de cet exercice, la CCDP a organisé une discussion éclair (Fast Talk) sur les droits ESC des Autochtones au Canada afin de mieux encadrer, explorer et actualiser sa réflexion sur cette question.

Une « discussion éclair » est une mini table ronde sur un sujet donné qui réunit par téléconférence un petit groupe de spécialistes ciblés.

Les experts invités à la discussion éclair sur les droits économiques, sociaux et culturels des Autochtones au Canada ont été priés de répondre, par écrit, à l’avance, aux quatre questions suivantes :

  1. Quels sont les changements systémiques, les mesures de réparation ou les solutions dont nous avons le plus besoin à l’heure actuelle pour améliorer les droits économiques, sociaux et culturels des peuples autochtones au Canada?
  2. Selon vous, quel est le rôle de la CCDP dans ces solutions? À votre avis, quels outils ou stratégies pratiques seraient les plus utiles?
  3. Quel rôle la CCDP peut-elle jouer pour s’assurer que le Canada respecte ses obligations internationales en matière de droits de la personne à l’égard des peuples autochtones, notamment les droits économiques, sociaux et culturels enchâssés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones?
  4. Pour la suite des choses, quelles approches ou stratégies sont essentielles pour assurer la réussite des échanges de la CCDP avec les peuples autochtones qui sont désavantagés sur les plans économique et social au Canada?

Les réponses écrites des experts ont été compilées et transmises aux experts et au personnel de la CCDP avant la discussion éclair. La CCDP et les experts ont ensuite participé à une téléconférence de trois heures, le 18 juin 2018, afin de discuter plus profondément des réponses écrites. La téléconférence a été animée par Sherri Helgason, directrice de la Division de l’égalité d’accès à la CCDP, et Tabatha Tranquilla, conseillère principale en politiques à la CCDP. Des membres clés du personnel de la CCDP qui s’occupent des questions liées aux droits ESC étaient présents à titre d’observateurs pendant la discussion éclair, en personne et par téléconférence.

Expert participants 

Les experts suivants ont participé à la discussion éclair (voir les biographies en annexe) :

  • Will David, conseiller juridique, Inuit Tapiriit Kanatami (ITK)
  • Teresa Edwards, directrice exécutive et conseillère juridique interne, Fondation autochtone de l’espoir
  • Niigaan Sinclair, professeur en études autochtones, Université du Manitoba
  • Maggie Wente, associée, Olthuis, Kleer, Townshend s.r.l.
  • Margot Young, professeure, Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique

Discussion éclair

Réflexions préliminaires et points clés

Droits de second rang :
De nombreux experts ont été ébranlés par le discours entourant les droits ESC et la tendance à les considérer comme des droits de « second rang ». On a laissé entendre que les gouvernements sont enclins à considérer les droits ESC comme plus « discrétionnaires » que d’autres, les droits civils et politiques par exemple. En outre, de nombreux experts ont souligné que si les droits ESC doivent être traités comme des droits conférés par la loi, ils doivent aussi pouvoir faire l’objet de mesures de réparation d’une manière ou d’une autre.

Interdépendance des droits :
Les experts ont fait valoir l’importance de reconnaître que les droits de la personne sont interreliés, interdépendants et indivisibles. En outre, certains ont affirmé que, pour bien comprendre la relation d’interdépendance entre ces droits – dans leur application et en matière de réparation – il est impératif d’avoir accès à un important groupe de spécialistes des droits ESC et des droits autochtones.

Solutions :
Il est essentiel que les solutions visant à faire respecter les droits ESC des Autochtones ne reposent pas sur une approche universelle. Les experts ont discuté de la façon dont les problèmes et les solutions varient d’une nation à l’autre et peuvent être très différents selon qu’il s’agit des collectivités inuites, métisses ou des Premières Nations. On a laissé entendre qu’un seul expert ne pouvait prétendre avoir toutes les solutions ou mesures nécessaires pour corriger ou mettre en œuvre pleinement les droits ESC de tous les peuples autochtones. Autrement dit, dans la défense des droits ancestraux et issus de traités il faut prendre en considération les spécificités culturelles et géographiques.

De plus, toutes les solutions envisagées doivent tenir compte des nombreuses difficultés avec lesquelles les Autochtones ont été et continuent d’être aux prises, en particulier, avec les répercussions permanentes et intergénérationnelles du système des pensionnats.

Un expert a également souligné l’importance de tenir compte de la situation des femmes autochtones au Canada lorsqu’on envisage différentes solutions. Les femmes autochtones sont souvent plus marginalisées que les hommes autochtones, une réalité encore plus exacerbée si elles vivent dans des collectivités éloignées. En outre, un fort pourcentage de jeunes femmes autochtones sont mères de familles monoparentales vivant dans la pauvreté. Par conséquent, s’attaquer aux inégalités socioéconomiques de ce groupe exige une approche intersectionnelle complexe qui reconnaît l’interaction de nombreuses dimensions de l’identité, comme l’indigénéité, le sexe, la situation familiale et, souvent, l’âge.

Un expert est d’avis que, dans le cadre de la lutte contre la violence envers les femmes et les filles autochtones, il est essentiel que les jeunes hommes autochtones aient les moyens d’agir. On a fait valoir que, souvent, les hommes autochtones sont oubliés et privés de leurs droits; toutefois, s’ils étaient véritablement soutenus de manière saine, on pourrait éviter qu’un grand nombre d’entre eux ne finissent en prison lorsqu’ils se retrouvent enfermés dans les cycles de la honte, de la violence et de la pauvreté – des problèmes qui les suivent fréquemment jusqu’à la maison et qu’ils introduisent au sein des familles et dans les collectivités.

Les experts ont également discuté de l’importance d’examiner des solutions qui mettent à contribution des Canadiens non autochtones et des mesures qu’ils peuvent prendre pour devenir de meilleurs alliés des peuples autochtones au Canada, notamment en contribuant à la mise en œuvre des droits ESC de ces derniers. D’aucuns ont souligné qu’à titre d’alliés, les non-Autochtones au Canada ont la responsabilité d’éradiquer le racisme persistant dans la société canadienne et de lutter contre le racisme systémique qui perdure dans les lois, les politiques et les pratiques. Par exemple, certains experts ont déclaré que le racisme systémique est toujours ancré dans les systèmes canadiens d’éducation, de justice pénale et de protection de l’enfance, ainsi que dans des dispositions particulières de la Loi sur les Indiens.

Droits ancestraux et issus de traités :

« Nous pouvons avoir tous les droits ancestraux et toutes les terres du monde, si nous ne vivons pas dans des collectivités saines et s’il n’y a pas de gens pour habiter ces terres et exercer leurs droits, le projet n’est que théorique. » – Un expert participant

Plusieurs experts ont discuté de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de ce que la reconnaissance des droits ancestraux et issus de traités prévue dès le départ est somme toute assez vide de sens. Un expert a déclaré que ses collègues et lui sont sans cesse outrés de voir à quel point les notions de terre et de territoire – des principes qui incarnent les systèmes autochtones fondés sur les collectivités et les clans – sont difficilement reconnaissables et mal comprises par les tribunaux canadiens et les systèmes fédéraux. Il existe une incommensurabilité des concepts entourant les droits qui sont utilisés dans les principales lois canadiennes relatives aux colons, et ces concepts ne sont pas toujours adaptés sur le plan de la culture ou suffisamment étoffés pour saisir le point de vue que les peuples autochtones eux-mêmes seraient en mesure d’apporter à cette discussion. Ce sont là des d’éléments cruciaux dont il faut tenir compte dans l’énoncé de l’article 35 et ils doivent faire partie de toute modification législative, particulièrement dans le projet de loi sur les droits des Autochtones proposé par le gouvernement fédéral.

Un autre expert a fait remarquer qu’il existe un lien entre les droits ancestraux et issus de traités et les droits à l’égalité prévus dans les programmes et les services. De plus, depuis la décision à l’encontre de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations (ci-après la Société de soutien), le gouvernement canadien ne s’est pas empressé d’intégrer les droits à l’égalité dans d’autres programmes sociaux dans le cadre desquels les Premières Nations sont traitées de manière inéquitable. On a souligné que cette situation ne s’est pas encore produite dans le cadre d’un autre programme et que, selon toute vraisemblance, ce n’était pas non plus le cas dans les services de protection de l’enfance.     

Un expert a affirmé que les droits des Autochtones et les droits de la personne (tels qu’ils sont définis dans la société canadienne) ne signifient pas la même chose. On a fait valoir que les lois sur les droits de la personne au Canada peuvent parfois être diamétralement opposées à la conception qu’en ont les Autochtones ou aller à l’encontre de ces concepts et de ce qui est considéré comme les droits ancestraux et issus de traités.

Recours et réparations

Commission des droits des personnes autochtones :
Un expert a proposé la création d’une Commission des droits des personnes autochtones, qui ferait office d’institution nationale des droits de la personne et dont les activités seraient conformes aux Principes de Paris. Une telle institution serait donc en mesure d’offrir réparation, de déposer des plaintes ou de mener des enquêtes et, surtout, elle serait sous le plein contrôle des peuples autochtones.

Justiciabilité des droits ESC et autonomie gouvernementale :
Il est impératif que les droits économiques, sociaux et culturels (droits ESC) soient reconnus comme justiciables et qu’ils puissent faire l’objet d’une réparation ou d’un recours. Cependant, des participants ont fait remarquer qu’il ne peut pas s’agir d’une forme de réparation visant simplement à souligner un écart de financement pour la prestation de services ou de programmes gouvernementaux destinés aux Autochtones au Canada et aux Canadiens non autochtones. Afin de garantir la justiciabilité des droits ESC, on a proposé d’établir un lien clair entre les droits ESC et la dignité de l’être humain. Par conséquent, le seul fait de combler les lacunes en matière de financement était considéré comme une solution ou une réparation incomplète; une solution ou une réparation plus complète consisterait à examiner les résultats des mesures mises en place dans la vie des peuples autochtones et à s’en servir comme base pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits ESC.

De plus, en ce qui concerne le financement, les experts ont souligné que ce serait un échec et une erreur de fournir des fonds supplémentaires pour des programmes et des services qui ne sont pas adaptés à la culture ou qui, de toute évidence, ne répondent pas aux besoins des peuples autochtones. On a fait valoir que les peuples autochtones ont le droit et la compétence de concevoir, d’offrir et de mettre en œuvre les types de services les plus adaptés à leurs collectivités et qui entraînent des résultats positifs. Par exemple, de nombreuses collectivités autochtones affirment qu’elles n’ont pas besoin d’organismes de protection de l’enfance créés par le gouvernement ou qu’elles n’en veulent pas et qu’elles souhaitent plutôt résoudre ces questions à leur manière. Cependant, la façon dont elles font face à ces enjeux n’est pas nécessairement recevable pour les systèmes traditionnels, ce qui est un concept très difficile à comprendre pour les non-Autochtones. En vertu de diverses ententes conclues entre le gouvernement et quelques-unes des collectivités ou nations autochtones au pays, certaines d’entre elles exercent un contrôle accru dans certains domaines sociaux ou de programmes et de services. Cependant, le Canada n’a qu’une idée limitée de ce qu’il en est dans la pratique. D’aucuns affirment que les gouvernements fédéral et provinciaux ne souhaitent pas nécessairement financer des nations autonomes qui assumeraient de telles responsabilités et que la majorité des peuples autochtones – ceux qui sont visés par certains traités ou sont assujettis à la Loi sur les Indiens – doivent s’en remettre aux gouvernements fédéral et provinciaux pour céder les rênes en vertu d’ententes d’autonomie gouvernementale.

Investissements dans le perfectionnement des compétences et la formation :
Un expert a laissé entendre qu’un meilleur investissement dans les compétences et la formation des Autochtones, tel que déterminé par les collectivités autochtones, aiderait à briser le cycle des problèmes sociaux, comme la pauvreté ou le chômage, auquel les collectivités autochtones continuent de faire face en raison du colonialisme persistant. Par exemple, une experte a déclaré que les investissements en faveur des femmes autochtones, en particulier, se sont révélés très rentables pour la collectivité et la société dans son ensemble. Il importe aussi d’effectuer des investissements proactifs en appuyant les femmes autochtones au sein de leurs collectivités avant que des situations d’urgence ne surviennent. Certains participants ont souligné que même si l’on a fait des progrès pour ce qui est de l’éducation des femmes autochtones, ces investissements ne se sont pas traduits par des résultats sur le plan économique et que la crise sociale qui maintient les collectivités autochtones dans la pauvreté continuera jusqu’à ce que les femmes autochtones commencent à profiter des investissements économiques. Dans le même ordre d’idées, mais qu’il faudrait préciser, on a également laissé entendre qu’il faut investir aussi en faveur des hommes autochtones.

On a aussi proposé qu’au lieu de fournir des prestations sociales aux jeunes autochtones – ce qui conduit à un sentiment d’impuissance et de dépendance – il serait plus profitable d’investir dans des programmes de perfectionnement des compétences et de formation susceptibles d’offrir aux jeunes autochtones le soutien et la motivation dont ils ont besoin pour entrer sur le marché du travail. Ces compétences et cette formation doivent tenir compte du contenu culturel et de la spécificité communautaire qui sont essentiels pour assurer le bien-être mental et des identités saines au sein de la société canadienne.

Un expert a fait remarquer qu’il est important de ne pas instaurer explicitement ou implicitement des programmes qui font porter le blâme aux Autochtones pour leurs désavantages actuels. Il a déclaré qu’il faut bien préciser que ces programmes sont mis en place en réaction à des situations causées et entretenues par le colonialisme et que, par conséquent, la cause ne peut pas être attribuée aux peuples autochtones eux-mêmes, mais aux systèmes dans lesquels ils ont été de tout temps et sont actuellement intégrés.

Système de protection de l’enfance :
Les experts ont souligné la nature et la structure complètement rétrogrades du système actuel de protection de l’enfance. Les nombreux enfants autochtones qui sont retirés de leur famille finissent par se retrouver dans des familles non autochtones ou des familles autochtones qui ne font pas partie de leur propre nation ou collectivité. En même temps, les familles autochtones n’ont pas le soutien proactif nécessaire pour s’assurer que leurs enfants ne sont pas pris en charge par le système de protection de l’enfance. On a souligné plutôt que les familles qui accueillent des enfants autochtones reçoivent des milliers de dollars et diverses formes d’aide. De plus, la philosophie et la structure occidentalisées de ce qui constitue une famille et de ce qui est acceptable comme famille sont intégrées aux politiques de protection de l’enfance actuellement en vigueur. Ce qui a pour effet d’imposer encore plus les idéologies occidentales aux peuples autochtones et contribue aux décisions qui donnent lieu au retrait des enfants autochtones de leur foyer. Offrir d’autres voies de recours pour régler ce genre de problème systémique très actuel entraînerait un changement important dans la vie des familles autochtones.

Autres cadres et mécanismes

Égalité réelle :
Un expert a fait valoir l’importance de l’égalité réelle et souligné que ce cadre est impératif pour saisir ce qui est véritablement au cœur des droits ESC. On a laissé entendre qu’il faut consacrer plus de temps à définir exactement ce qu’on entend par égalité réelle et en quoi consistent ses éléments distinctifs. On indique que le terme est utilisé fréquemment, mais qu’on passe très peu de temps à l’analyser. Cela donne lieu à de beaux discours dans lesquels le Canada s’engage à assurer l’égalité réelle, mais à très peu de résultats concrets. Les participants ont fait valoir que la CCDP pourrait jouer un rôle important en informant la population de ce que signifie véritablement l’égalité réelle.

Droit et contrôle judiciaire :
On a souligné que le système judiciaire actuel est l’un des principaux mécanismes de reddition de comptes dont nous sommes exagérément tributaires au Canada pour faire respecter les droits ESC. Il a également été mentionné que la traduction des questions liées aux droits ESC en langage juridique et en réclamations fondées en droit dilue souvent les questions contextuelles complexes et réduit les plaintes à une simple formule gagnant-perdant. Toutefois, on a fait mention des réticences à abandonner le droit et le contrôle judiciaire comme mécanisme de reddition de comptes pour diverses raisons. Par exemple, les militants pour les droits ESC ou la justice sociale n’ont guère d’autres recours que les tribunaux en raison du type de contrôle qu’ils représentent pour le pouvoir politique dans notre système de démocratie constitutionnelle. On a également affirmé qu’il importe de comprendre qu’il est souvent peu probable que la traduction des questions liées aux droits ESC en revendications juridiques donne des résultats incluant le type de changement transformationnel nécessaire pour régler le problème.

Surveillance et production de rapports :
Des groupes nationaux et internationaux ont à maintes reprises exhorté le gouvernement du Canada à créer un organe de surveillance fédéral-provincial-territorial conjoint, comptant parmi ses membres des ONG et des Autochtones, qui serait principalement chargé de surveiller le respect par le Canada des obligations relatives aux droits internationaux de la personne, en particulier en ce qui a trait aux droits ESC, et d’en rendre compte. On a fait valoir en outre que la participation des ONG autochtones au processus de surveillance serait essentielle et que le financement adéquat de ces ONG par l’État devrait être une condition préalable à un tel processus pour qu’il ait une quelconque légitimité. Ainsi, les organisations n’auraient pas à faire face aux obstacles logistiques causés par le manque de ressources insuffisantes et qui empêchent souvent de nombreuses ONG – dont les ONG autochtones – de participer à ce genre de processus.

Droits et cadres prédéfinis :

« Les Autochtones doivent entrer dans un moule. Ces droits sont déjà définis et sont toujours individualistes, toujours fondés sur le capitalisme, toujours fondés sur des unités comme la famille nucléaire, et les peuples autochtones ne s’inscrivent pas nécessairement dans ces cadres. » – Un expert participant

Certains experts ont souligné que les droits – notamment les droits ESC – sont prédéfinis comme étant des concepts individualistes, hétéronormatifs, capitalistes et fondés sur des notions comme la famille nucléaire – c’est à dire des cadres dans lesquels les peuples autochtones ne s’inscrivent pas nécessairement. Les experts ont fait remarquer que ce n’est pas que les Autochtones soient fermés à ces concepts, mais qu’il ne semble pas y avoir de place pour un dialogue sur d’autres cadres plus conformes aux concepts qui sont les leurs. On a souligné aussi que de nombreux peuples autochtones évoluent dans un cadre communautaire et de responsabilité collective. Le concept de responsabilité est, en fin de compte, ce qui témoigne du rôle et du genre d’une personne et de sa capacité de vivre en harmonie avec le monde qui l’entoure. Un expert est d’avis que les concepts autochtones sont davantage liés aux responsabilités et souvent pas du tout aux droits (de la façon dont le Canada les positionne).

Un autre a fait valoir que les allégations de violations des droits de la personne sont essentiellement anthropocentriques, faisant de l’humanité la seule chose qui compte. Il s’agit peut-être là d’un concept étranger aux peuples autochtones. Par exemple, un expert a expliqué qu’en Nouvelle-Zélande, lors des discussions entourant de nombreuses décisions gouvernementales concernant les terres et le territoire, on s’assure de la présence de quelqu’un qui puisse se porter à la défense de ces terres et de ce territoire. Toutefois, les terres et le territoire en tant qu’entités dont il faut tenir compte ne représentent pas un concept pris en considération ou inclus dans les décisions au Canada. Par conséquent, un expert a comparé la façon dont les échanges sur les droits de la personne sont amorcés au Canada à des pierres d’assise, en précisant que le tout premier élément mis en place pour entamer la conversation n’inclut pas les Autochtones. En effet, les précédents juridiques – selon lesquels, dans la plupart des cas, les terres étaient considérées comme terra nullius et les peuples autochtones non comme des nations ou même des êtres humains – continuent de suivre le même modèle. Aux yeux des participants, il s’agit du problème le plus fondamental en ce qui concerne les discussions sur les droits avec les peuples autochtones au Canada.

Langue et identité autochtones

« Je peux vous dire que la meilleure façon de permettre aux jeunes de surmonter les sentiments d’atrophie et de perte est de leur enseigner la langue. » – Un expert participant

Préservation de la langue et de l’identité :
Les experts ont souligné que la langue et l’identité sont inextricablement liées et que la préservation de l’identité autochtone tient en bonne part au rétablissement et à la préservation des langues autochtones. Ils ont fait valoir aussi qu’au fur et à mesure que l’on commence à comprendre les langues autochtones et le sens des mots, notre relation avec la terre elle-même se transforme et commence à se développer, si bien que, dans certains cas, ce rapport peut influer sur notre interaction avec la terre. Les participants sont d’avis que les langues autochtones définissent un certain nombre de systèmes autochtones complexes, tels que les systèmes juridiques, d’échanges commerciaux, de gouvernance, d’élaboration de stratégies et de règlement. Les langues autochtones sont étroitement liées à la façon dont les Autochtones pensent, vivent et agissent, et sont souvent associées à un sentiment d’autonomie. Un expert a laissé entendre que, par conséquent, dans les collectivités autochtones où la langue autochtone est très présente, il y a moins de chances que les gens aient un sentiment d’atrophie et de perte dans leur relation avec la terre, avec les personnes qui les entourent et avec la vie elle-même. Cet expert a affirmé que la préservation et le rétablissement de la langue font en sorte qu’il y a moins de violence, de pauvreté et de suicides chez les jeunes; ce pourrait donc être la clé de voûte du bien-être des collectivités autochtones à l’avenir.

Éducation :
D’aucuns ont fait remarquer que, de toute évidence, le fait de forcer une collectivité autochtone à adopter le système d’éducation d’une province n’a rien donné et qu’il devrait appartenir aux collectivités autochtones de suivre elles-mêmes de près la situation de leurs jeunes et de décider des mesures à prendre pour leur donner les moyens d’agir. Par exemple, les séquelles des pensionnats montrent clairement l’inefficacité de l’imposition d’un système d’éducation aux peuples autochtones. Pour la suite des choses, on a mis en relief l’inutilité d’un système dans lequel les langues autochtones ne sont pas protégées ou qui rend l’enseignement des langues autochtones très improbable dans les écoles qui accueillent les enfants autochtones. La mise en œuvre d’un système d’éducation solide et inclusif, axé sur la protection, la préservation et la promotion des langues autochtones garantira également la protection, la préservation et la promotion des identités autochtones. Toutefois, même si cela peut se produire dans les collectivités autochtones, la responsabilité de la revitalisation des langues autochtones ne devrait pas incomber uniquement aux autorités scolaires autochtones, qui doivent déjà composer avec des systèmes d’éducation chroniquement mal soutenus et sous-financés. La société canadienne doit jouer un rôle dans la revitalisation des langues autochtones.

On a aussi fait valoir que les programmes d’enseignement – de la maternelle à la 12e année, tant pour les jeunes autochtones que non autochtones au Canada – devraient inclure l’histoire des Autochtones et une discussion sur les enjeux actuels du colonialisme pour les peuples autochtones au Canada. On a déclaré que la présence des dirigeants autochtones, à toutes les étapes, serait essentielle à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un tel système d’éducation. Il est important pour les jeunes d’en apprendre davantage sur les traités qui ont été signés entre les peuples autochtones et la Couronne, sur leur signification et sur les droits et les responsabilités qui en découlent. Il est également essentiel que les jeunes non autochtones comprennent comment leur identité et leur société sont façonnées par les contributions passées et présentes des peuples autochtones. Un expert a laissé entendre que cet enseignement est particulièrement nécessaire au Québec, étant donné l’importance qu’il accorde à la protection de la langue française et de la culture québécoise et où, par conséquent, la promotion des langues et de l’histoire autochtones peut être perçue comme une menace. Il est d’avis qu’il faut enseigner, promouvoir et protéger à la fois la langue française et les langues autochtones.

Article 35 :
Un expert a fait valoir qu’il est difficile de comprendre que les langues autochtones ne soient pas au cœur même de l’article 35, car les droits ancestraux et issus de traités n’auraient pu être énoncés qu’en langues autochtones. D’aucuns ont souligné toutefois que les langues autochtones sont continuellement laissées pour compte au Canada et que les partis politiques les prennent en considération à leur guise, sans produire de résultats à long terme. Par exemple, les langues autochtones au Canada ne relèvent d’aucune d’infrastructure permanente et n’ont pas leur place au sein des assemblées législatives ou du Parlement. On a proposé que la CCDP adopte une position ferme à l’égard de la protection des langues autochtones.

Loi sur les langues autochtones :
Plusieurs experts ont fait allusion à un projet de Loi sur les langues autochtones. Un expert a fait remarquer qu’en ce qui concerne la protection linguistique au fédéral, il faut dépasser l’idée du financement par le gouvernement fédéral de programmes et de services de revitalisation de l’ensemble des langues autochtones ou d’enseignement de chacune d’elles. Cela ne signifie nullement que ces programmes et services ne seraient pas des éléments nécessaires de la loi, mais plutôt que ce n’est pas la panacée. Cela nous ramène à la notion selon laquelle si un droit doit être reconnu – les droits linguistiques, par exemple –, il faut prévoir un cadre correctif, voire des mesures plus énergiques en matière de protection. Il a également été suggéré que la CCDP appuie la Loi sur les langues autochtones en menant des consultations sur la Loi et en faisant valoir l’importance de la langue au regard de concepts clés comme l’égalité et la justice.

Organismes/mécanismes internationaux et régionaux

Multiplicité des mécanismes :
Les participants ont souligné qu’il est extrêmement utile de disposer d’un grand nombre de moyens ou de mécanismes pour intenter des poursuites, en particulier lorsque les droits ESC sont en jeu, et que cela offre également des occasions de préciser davantage en quoi consistent les droits ESC, en particulier dans un contexte autochtone. Le fait de se familiariser avec d’autres mécanismes et ce qu’ils signifient ou comment ils déterminent les décisions sur certaines questions peut aussi être extrêmement avantageux pour la réforme du droit.

Surveillance intérieure :
Il y a très peu de surveillance et de rapports à l’échelle nationale qui permettraient de colliger les recommandations formulées par les différents organismes de suivi des traités internationaux, de faire en sorte que le Canada donne suite à ces recommandations et d’assurer la participation de la société civile et des Autochtones au processus. On a laissé entendre qu’il serait extrêmement utile de disposer d’un quelconque procédé méthodique et indépendant du gouvernement pour faciliter cet objectif et que, en tant qu’institution nationale des droits de la personne au Canada, la CCDP serait l’organe tout désigné pour assumer ce rôle. On a également proposé que la CCDP joue un rôle dans la définition des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, ainsi que dans la sensibilisation du public au processus de surveillance des organismes de suivi des traités internationaux.

Un expert s’est dit frustré de devoir retourner devant les organismes de suivi des traités internationaux avec les mêmes recommandations à chaque cycle. On a fait valoir toutefois que cela s’impose puisqu’il n’existe actuellement aucun moyen cohérent de donner suite à ces recommandations au Canada. D’aucuns ont fait valoir qu’une telle mesure serait particulièrement importante en ce qui concerne les droits ESC parce qu’une grande partie des rapports qui portent sur ces questions ont trait au financement gouvernemental dans ces domaines. Par conséquent, il est essentiel de faire un suivi des dépenses du gouvernement pour voir exactement où les fonds ont été affectés ou réaffectés et si l’argent dépensé était suffisant pour régler le problème.

Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Les experts ont proposé que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) devienne un document de base pour la définition des droits ancestraux et issus de traités au Canada. En outre, ils ont souligné que bon nombre des droits et normes énoncés dans la DNUDPA pourraient être classés comme droits ESC, conformément au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Participation des ONG :
Un expert a dit que pour les groupes locaux, le fait de pouvoir dénoncer les injustices qui perdurent dans le libellé des dispositions de protection des droits de la personne et dans la sphère internationale constitue une expérience à la fois éducative et stimulante. Ces groupes estiment que les systèmes internationaux de protection des droits de la personne leur permettent de revendiquer leurs droits et d’exprimer leurs préoccupations et d’en faire valoir la légitimité et la gravité grâce à un cadre et une portée vraiment efficaces. Certains sont d’avis qu’étant donné que la participation des ONG à ces systèmes fournit un point de vue important et unique, il est impératif de leur accorder un financement adéquat pour le travail qu’elles accomplissent à l’échelle internationale en matière de droits de la personne.

Cependant, un expert a fait état de la complexité croissante de la participation des ONG sur la scène internationale. Cet expert a déclaré qu’une multitude d’ONG font désormais partie de ces organes internationaux de protection des droits de la personne et qu’elles ont souvent des plans d’action très distincts et importants, ce qui donne lieu à des discussions animées et épineuses qui apportent une diversité de points de vue et de perspectives. Bien que cette participation soit importante et témoigne du succès des ONG canadiennes en particulier aux Nations Unies, la coordination entre les groupes peut poser problème. Si le financement leur était accordé, cela faciliterait la coordination entre les groupes afin de déterminer les enjeux et les priorités et, en fin de compte, comment ces enjeux et ces priorités devraient être définis. De même, le financement est nécessaire pour veiller à ce que les groupes les plus marginalisés, qui ont grand besoin d’accéder à ces importants mécanismes de protection des droits de la personne, aient les moyens de le faire.

Objectifs à court, moyen et long terme de la CCDP

Objectifs à court terme :

Point de vue de la CCDP
Un expert a dit qu’il aimerait connaître le point de vue de la CCDP sur la possibilité d’étendre les pouvoirs conférés par la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) afin qu’elle soit pertinente pour les peuples autochtones et permette de redresser les injustices sociales et économiques auxquelles ils continuent de faire face. Il a été proposé que la LCDP prévoie l’élargissement dans une certaine mesure des motifs de distinction illicite pour inclure la condition sociale, comme le recommandait le rapport La Forest en 2000.

Inventaire des plaintes
On a laissé entendre que, si ce n’est déjà fait, la CCDP devrait s’occuper de son inventaire de plaintes et s’assurer qu’il est bien géré. Il s’agit de veiller à ce que les cas très graves et complexes de violation des droits de la personne, comme ceux qui ont trait aux droits ESC des Autochtones, ne soient pas laissés au bas de la liste des plaintes compte tenu de la quantité de ressources nécessaires pour traiter ce genre de plaintes. Les experts ont indiqué qu’il est essentiel de disposer d’un inventaire de plaintes bien géré afin de prendre en compte les plaintes formulées par les Autochtones en particulier en ce qui a trait aux droits ESC, d’en établir l’ordre de priorité dans la mesure du possible et d’affecter les ressources nécessaires à leur analyse.

Décolonisation
On a fait valoir que la décolonisation consiste en fait à éliminer les mesures prises par l’État et à prévoir assez de marge de manœuvre pour assurer la mise en application du droit autochtone. Même si le droit autochtone peut parfois être incompatible avec les points de vue traditionnels sur les droits de la personne, les systèmes de droits de la personne comportent des mécanismes qui peuvent servir à combler cette lacune. Selon les participants, il est essentiel que la CCDP reconnaisse que la décolonisation a de profondes répercussions sur les droits des personnes autochtones, voire sur les droits ESC au Canada, en soulignant qu’elle devrait sans doute analyser les lacunes à cet égard.

Le principe de Jordan
On a laissé entendre que la CCDP devrait rappeler continuellement au gouvernement fédéral la nécessité de respecter le principe de Jordan. D’aucuns ont fait valoir que la situation des jeunes autochtones qui se fait jour ne peut plus être niée et que, bien que l’on constate une lente amélioration, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Étant donné qu’il a été démontré à maintes reprises que le gouvernement fédéral contrevenait aux ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne au sujet des services de protection de l’enfance, les experts ont proposé que la CCDP exerce des pressions pour que ces ordonnances soient respectées.

Rôle proactif
On a proposé que la CCDP joue un rôle plus proactif ou de chef de file en évitant de se contenter d’attendre que les violations des droits se produisent ou que des plaintes soient portées à son attention avant d’agir. La CCDP devrait plutôt participer à la création et à la définition des droits ancestraux ou à la détermination de ce que la réconciliation et la justice pour les peuples autochtones impliquent. Ainsi, les peuples autochtones pourraient percevoir la CCDP comme un endroit où ils peuvent faire valoir leurs droits et, dans un sens plus large, définir qui ils sont.

Dénonciation
Il a été proposé que la CCDP continue de dénoncer les disparités et les problèmes liés aux services et aux programmes gouvernementaux offerts aux Autochtones, en particulier pour ce qui est des systèmes actuels d’éducation et de protection de l’enfance, ainsi que le peu de contrôle que les peuples autochtones exercent sur ces différents services et systèmes.

Éducation

« J’aime à croire – et j’y reviens toujours – que si les Canadiens connaissaient la vérité ou les faits en ce qui concerne les inégalités et la discrimination que les peuples autochtones continuent de subir, ils se comporteraient différemment et je pense que le résultat serait tout autre. » – Un expert participant

On a fait remarquer que la CCDP pourrait informer le public du caractère des droits ESC et de leur indivisibilité par rapport aux droits plus traditionnels que les gens ont moins de difficulté à reconnaître, comme les droits civils et politiques. Il a en outre été déclaré que la pleine reconnaissance des droits ESC, qui se distinguent des droits civils et politiques, est nécessaire non seulement en ce qui concerne les peuples autochtones, mais pour toute personne qui subit des injustices sociales. Des questions comme les services de garde, le logement adéquat et l’accès à l’eau potable sont autant d’aspects d’un État juste sur le plan social qui profitera non seulement aux Autochtones, mais à un grand nombre de personnes marginalisées au Canada.

On a également proposé que la CCDP détermine l’objectif à court et à moyen terme de sensibiliser la population au rôle clé que joue l’autonomie linguistique. La CCDP ferait ainsi office de chien de garde ou de mécanisme de reddition de comptes en ce qui a trait à la manière dont le gouvernement aborde la question des langues autochtones. En particulier, il a été suggéré que la CCDP fasse ressortir le lien entre le caractère fondamental de la langue et les notions plus traditionnelles entourant les droits de la personne afin d’inciter davantage le gouvernement à agir.

On a proposé en outre que la CCDP fasse mieux connaître aux Autochtones le rôle de la Commission et de quelle façon elle peut les aider. Elle pourrait, pour ce faire, lancer une campagne d’information et de sensibilisation du public. Les participants ont souligné, toutefois, que la CCDP devrait consulter d’abord les peuples autochtones et être à leur écoute pour savoir comment ils veulent que la CCDP les aide. La CCDP doit reconnaître la possibilité que les types d’aide demandés soient divers et variés, compte tenu de la diversité des peuples autochtones et de leur situation, et être prête à s’y adapter.

Au chapitre de l’éducation, on a proposé de mieux faire connaître les peuples autochtones et leur histoire à l’ensemble de la population. L’information porterait entre autres sur l’inappréciable contribution des Autochtones, ainsi que sur les traumatismes qu’ils ont vécus et qu’ils continuent de subir dans toutes les facettes de leur vie. Les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation – dont la plupart définissent l’éducation comme la clé de la réconciliation – sont essentiels à cet égard. La CCDP devrait préconiser l’adoption et l’intégration complètes de ces appels. On a fait valoir que cette recommandation aiderait la population à reconnaître les faits et à faire preuve d’empathie et favoriserait la modification des mesures et des décisions prises par les forces policières, les juges, les éducateurs, les fonctionnaires et les prestataires d’autres services. Cela pourrait, dans un très proche avenir, avoir une incidence notable sur les services que les Autochtones reçoivent des gouvernements à l’échelle du Canada. De plus, à long terme, la formation offerte aux policiers et aux juges pourrait réduire le racisme au sein de l’appareil de justice pénale, ce qui pourrait entraîner une réduction de l’incarcération et de la représentation des Autochtones dans le système pénal.

Accroître la compréhension
On a proposé que la CCDP augmente ses connaissances et sa compréhension des collectivités qu’elle dessert. Cela comprendrait l’accroissement de la sensibilité de la CCDP aux aspirations et aux préoccupations des gens ainsi qu’aux problèmes des personnes dans toutes les régions du Canada.

Collaboration
Il a été proposé que la CCDP détermine et collabore avec des institutions et des mécanismes de protection des droits qui existent déjà et dont la vocation est semblable à la sienne. Par exemple, les participants ont fait remarquer que la CCDP est bien placée pour fournir de l’information à l’Enquêteur correctionnel auprès des délinquants sous responsabilité fédérale, qui peut ou non posséder une grande expertise en matière de droits de la personne, en particulier, en ce qui a trait aux droits des peuples autochtones. De plus, on a souligné que l’Enquêteur correctionnel était peut-être au courant de la déclaration du Comité contre la torture au sujet du traitement des détenus autochtones par le Canada et que la CCDP pourrait aussi fournir de plus amples renseignements à ce chapitre.

On a proposé également que la CCDP collabore avec les comités compétents du Sénat et de la Chambre des communes afin de déterminer s’ils ont besoin d’aide. Certains ont fait valoir que, dans la plupart des cas, les députés ne disposent pas d’une solide connaissance sur la situation des droits de la personne à l’échelle nationale ou internationale, en particulier en ce qui concerne les Autochtones, et lorsqu’ils sont disposés à aborder de telles questions, il leur serait avantageux de recevoir un soutien sous une forme ou une autre.

Objectifs à moyen terme :

Représentation des Autochtones
On a proposé que la CCDP veille à ce que les peuples autochtones soient présents au sein de la Commission et, plus précisément, qu’ils le soient lors de la prise de décisions à laquelle prennent part les hautes instances de l’organisme.

Études et rapports
Les participants ont proposé que l’on veille à produire régulièrement des études et des rapports, que ce soit pour le Parlement, les peuples autochtones ou l’ensemble de la population, dans lesquels on examine, sous l’angle des droits de la personne, les divers aspects du racisme à l’encontre des Autochtones au Canada ou encore dans lesquels on se penche sur la question du respect des droits ESC au pays.

Surveillance intérieure
On a proposé de mettre en place, à moyenne échéance, un moyen cohérent de suivi des recommandations faites au Canada par les organismes de suivi des traités internationaux.

Mécanismes de réparation
Entre autres objectifs à moyen terme, on a proposé que la CCDP corrige les lacunes dans ses mécanismes de réparation disponibles en vertu de son processus de traitement des plaintes. En d’autres termes, la portée des pouvoirs conférés en vertu de la LCDP devrait être considérablement élargie, tout comme les possibilités de réparation à cet égard. Ainsi, le Tribunal canadien des droits de la personne aurait plus de latitude pour obliger le gouvernement à prendre des mesures et à apporter des changements.

Objectifs à long terme :

Reconnaissance
Il a été suggéré que la CCDP joue un rôle de chef de file en reconnaissant les contributions importantes et fondamentales des peuples autochtones au Canada de même que l’apport des cultures autochtones dont notre pays profite. De la sorte, les discussions relatives aux peuples autochtones pourraient dépasser la simple question de la pertinence pour reconnaître que les peuples autochtones sont les fondements de ce pays.

Présence des ONG
On a laissé entendre qu’il serait important d’assurer la présence des ONG au sein des instances régionales et internationales des droits de la personne.

Compétences et formation
Selon les participants, des investissements à long terme dans la formation socioéconomique et le renforcement des compétences des jeunes autochtones garantiraient leur participation à l’économie et réduiraient les effets à long terme de l’emprisonnement et de l’incarcération.

Coordination fédérale-provinciale-territoriale
En ce qui concerne les objectifs à long terme, on a proposé la mise en place d’un système uniforme de protection des droits de la personne au sein d’entités fédérales et sous-nationales. On a proposé d’améliorer la collaboration par l’entremise de l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne ou de mettre en place des ententes relativement normalisées et des mécanismes de réparation uniformes ou intégrés aux échelons fédéral, provincial et territorial. Cela garantirait que les droits de la personne sont reconnus et mis en œuvre de façon uniforme dans les différentes collectivités autochtones du pays.

Conclusion 

La discussion éclair sur les droits économiques, sociaux et culturels des Autochtones au Canada a permis d’acquérir une connaissance approfondie qui continuera d’appuyer le travail de la CCDP. Les diverses idées présentées par les experts éclaireront la CCDP dans la planification de ses objectifs à court, à moyen et à long terme pour faire face à la situation actuelle des droits économiques, sociaux et culturels des peuples autochtones au Canada. Les experts invités à la conférence éclair ont fourni de nombreux points de vue utiles dont la CCDP peut s’inspirer afin de renforcer son rôle dans l’examen de cette question à l’avenir.

Annexe

Biographies des experts

Will David – conseiller juridique, Inuit Tapiriit Kanatami

Will David – conseiller juridique, Inuit Tapiriit Kanatami 

William David (membre des Mohawks d’Akwesasne) est actuellement conseiller juridique auprès de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Auparavant, il a occupé des postes à l’Assemblée des Premières Nations, au ministère de la Justice, au Indian Law Resource Centre et au Conseil des Mohawks d’Akwesasne. Fondateur du Indigenous Rights Centre, un organisme sans but lucratif de défense des droits des peuples autochtones, M. David est aujourd’hui professeur de droit à temps partiel à l’Université d’Ottawa. Ses domaines d’expertise comprennent la réforme du droit, les politiques publiques et les recoupements entre les droits de la personne et les droits des Autochtones. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en génie de l’environnement du Massachusetts Institute of Technology, d’un baccalauréat en droit de l’Université d’Ottawa et d’un certificat d’études supérieures en droit minier de l’école de droit Osgoode Hall. M. David est autorisé à pratiquer le droit en Ontario et à New York.

Teresa Edwards – directrice générale et conseillère juridique interne, Fondation autochtone de l’espoir

Teresa Edwards – directrice générale et conseillère juridique interne, Fondation autochtone de l’espoir

Teresa Edwards est membre des Premières Nations Mi’gmaq et son nom traditionnel est jeune femme de feu. Mme Edwards se consacre depuis 30 ans à l’amélioration des conditions socioéconomiques des peuples autochtones au Canada, luttant pour l’égalité grâce à la recherche et en travaillant à changer les lois et les politiques, notamment en essayant d’éliminer l’exploitation sexuelle et la traite des femmes et des filles autochtones. Avocate de renommée internationale en matière de droits de la personne, auteure, chercheuse et militante, elle a travaillé au sein du gouvernement et des organisations autochtones nationales, en sus de sa propre pratique juridique. Teresa Edwards est directrice générale et conseillère juridique interne de la Fondation autochtone de l’espoir, un organisme caritatif national dirigé par des Autochtones et dont le but est d’éduquer et de sensibiliser la population au sujet de l’histoire et des nombreuses séquelles du régime des pensionnats. La Fondation a pour mission de favoriser, par l’éducation, des relations justes et équitables de réconciliation et de guérison pour tous les Canadiens et Canadiennes. Mme Edwards œuvre également auprès de la Société Elizabeth Fry, où elle aide les femmes autochtones qui sortent de prison à développer leurs aptitudes à la vie quotidienne et leurs liens culturels et à promouvoir leur guérison et leur bien-être.

Niigaan Sinclair – Professeur en études autochtones, Université du Manitoba

Niigaan Sinclair – Professeur en études autochtones, Université du Manitoba 

Niigaanwewidam James Sinclair, de la nation Anishinaabe (St. Peter’s/Little Peguis), est professeur agrégé et titulaire d’une chaire d’études supérieures au Département des études autochtones de l’Université du Manitoba. Auteur primé, rédacteur en chef et militant, M. Sinclair figure parmi les 20 personnalités les plus influentes nommées par Monocle Magazine; il est actuellement chroniqueur au Winnipeg Free Press. Ancien professeur d’école secondaire qui a formé des éducateurs et des élèves partout au Canada, il a rédigé des programmes d’études nationaux pour l’organisme de bienfaisance Indspire et l’Assemblée des Premières Nations. Il est également corédacteur de Manitowapow : Aboriginal writings from the Land of Water (Highwater Press, 2011), ouvrage primé, et de Centering Anishinaabeg Studies : Understanding the World Through Stories (Michigan State University Press, 2013). Son premier livre sur les traditions littéraires anishinaabee sera publié par les presses de l’Université du Minnesota en 2019.

Maggie Wente – associée, Olthuis, Kleer, Townshend, s.r.l.

Maggie Wente – associée, Olthuis, Kleer, Townshend, s.r.l.

Maggie Wente, membre de la Première Nation de Serpent River, de descendance anishinaabe et pionnière, travaille exclusivement auprès des Premières Nations et leurs personnes habilitées, leur donnant des conseils sur les droits ancestraux et issus de traités dans le cadre de litiges et de négociations, les questions relatives à la Loi sur les Indiens, la gestion des terres de réserve, les droits à l’égalité et la gouvernance des Premières Nations. Mme Wente fournit également des conseils en matière d’emploi, de travail et de droits de la personne aux clients du cabinet. Elle souhaite principalement aider les Premières Nations à établir et à maintenir des gouvernements solides qui reflètent leurs traditions et leurs structures juridiques et à faire progresser les droits à l’égalité des Premières Nations. Elle a plaidé devant les tribunaux de première instance et d’appel de l’Ontario, de Terre-Neuve-et-Labrador, devant la Cour fédérale, ainsi que des causes d’arbitrage commercial, de différends en matière d’emploi et en Cour du coroner. Mme Wente est la présidente sortante du conseil d’administration de  Aboriginal Legal Services de Toronto, et a été commissaire à la Commission ontarienne des droits de la personne de 2006 à 2015. Elle a été admise au Barreau de l’Ontario en 2003 et au Barreau de Terre-Neuve-et-Labrador en 2015. Twitter : @maggie_wente

Margot Young – professeure, Allard School of Law – Université de la Colombie-Britannique.

Margot Young – professeure, Allard School of Law – Université de la Colombie-Britannique. 

Margot Young est professeure à la faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique (Allard School of Law). Elle enseigne et fait des recherches dans les domaines du droit constitutionnel, du droit et de la théorie de l’égalité et de la justice sociale. Elle est active au sein de plusieurs groupes communautaires et siège actuellement aux conseils d’administration de la Fondation David Suzuki et de Justice for Girls. Margot Young est corédactrice de la Law and Society Review et participe activement à l’étude d’un certain nombre de questions de politique sur l’équité en matière d’emploi en milieu universitaire.