Document de réflexion sur le racisme systémique

Type de publication
Le travail de lutte contre le racisme
Sujet
Milieu de travail

Introduction

Il est indiscutable que le racisme est une violation des droits de la personne. Qu’il soit conscient ou inconscient, subtil ou évident, il bafoue la dignité humaine et érode la démocratie. À cause du racisme et de la discrimination raciale qui sont historiques et persistants, les personnes autochtones, les personnes noires et les autres personnes raciséesNote de bas de page 1 vivent davantage de situations de pauvreté, de chômage, de logement inadéquat, d’itinérance et d’insécurité alimentaire. Ces personnes sont aussi plus à risque que les personnes blanches d’être atteintes de maladies chroniquesNote de bas de page 2. De telles iniquités aussi largement répandues ne découlent pas de gestes et de croyances racistes des individus, mais d’un racisme systémique profondément enraciné.

Le Canada a l’obligation de lutter contre le racisme systémique, tant sur le plan national qu’international. Le droit à une vie exempte de discrimination raciale est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le Canada a aussi ratifié ou adopté un certain nombre d’instruments internationaux relatifs aux droits de la personne visant à combattre la discrimination fondée sur la race, comme la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, cette dernière ayant aussi été intégrée dans le droit canadien.

Le racisme systémique est profondément ancré dans la société canadienne. On le retrouve dans nos politiques écrites et non écrites, nos lois, nos pratiques publiques, nos croyances et nos systèmes qui « produisent, tolèrent et perpétuent un traitement injuste et une oppression généralisée » des personnes raciséesNote de bas de page 3. Le racisme systémique, et les répercussions négatives qui en découlent, a maintes fois été confirmée par de nombreuses personnes qui en ont souffert, par des mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits de la personne, par des organisations de la société civile et des communautés autochtones, par des institutions nationales de protection des droits de la personne et, bien souvent, par différents ordres de gouvernement. Cependant, les avancées vers l’élimination du racisme et de la discrimination systémiques de manière marquée demeurent très difficiles à cerner. Cette situation perdurera tant qu’on remettra en cause la définition — ou même l’existence — du racisme systémique au Canada.

Comme on l’a souvent dit, personne n’est libre tant que nous ne sommes pas tous et toutes libres. Beaucoup de sociétés, dont la nôtre, ont été construites de manière à accorder plus de valeur à certaines caractéristiques ou identités et à en exclure d’autres — par exemple, avoir la peau blanche, être un homme, être de confession chrétienne, être anglophone, être mince ou en forme, ne pas avoir de handicap, être hétérosexuel, être conforme au genre. Par conséquent, plusieurs personnes et communautés au Canada et ailleurs subissent une certaine forme de discrimination, et beaucoup subissent des formes multiples et intersectionnelles de discrimination.

L’objectif de ce document de travail est d’explorer le concept de racisme systémique, y compris le contexte historique du colonialisme canadien. Ce document donne un aperçu des différents niveaux de racisme dans la société canadienne et examine les mécanismes qui le perpétuent. Le document de travail souligne l’importance de se renseigner sur le racisme systémique au Canada et propose des outils pour devenir des champions de la lutte contre le racisme.

Qu’est-ce que la race?

Bien qu’elle figure dans la liste des motifs illicites de discrimination, la race n’est pas définie dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission considère que la race est une « construction sociale » et non une caractéristique innée ou biologique des personnes. Comme l’explique la Stratégie de lutte contre le racisme du gouvernement canadien, « la société crée des idées de race en fonction de facteurs géographiques, historiques, politiques, économiques, sociaux et culturels ainsi que de traits physiques, bien qu’aucun de ces éléments ne puisse légitimement être utilisé pour classer les groupes de personnesNote de bas de page 4. »

Le processus par lequel la société construit des groupes de personnes en fonction de caractéristiques comme la couleur de la peau, l’ethnicité, la langue, la situation économique, la religion, la culture, les convictions politiques, etc. est appelé « racialisation » ou « racisationNote de bas de page 5 ». D’après des travaux de recherche modernes, ces identités raciales construites par la société sont souvent créées par les groupes dominants et impliquent l’asservissement de groupes jugés racialement inférieurs. Selon la Fondation canadienne des relations raciales, ces identités raciales sont le reflet des attitudes culturelles des pouvoirs impérialistes qui étaient dominants à l’époque de l’expansion des empires coloniaux européensNote de bas de page 6. Pour d’autres renseignements à ce sujet, on peut consulter la section intitulée « Colonialisme et racisme au Canada ».

Depuis toujours, ces liens très étroits entre la religion et la culture ont mené à des cas de racisation des minorités religieuses. Mentionnons par exemple l’antisémitisme, considéré par de nombreuses personnes comme étant la plus ancienne forme de haine à l’échelle mondiale et qui a été reconnu comme une forme de discrimination à la fois raciale et religieuseNote de bas de page 7. Le gouvernement du Canada a tenu compte de cette interprétation globale et inclusive de ce que sont la race et le racisme dans sa stratégie de lutte contre le racisme de 2019-2022, laquelle aborde l’antisémitisme, de même que l’islamophobie, dans la section portant sur la terminologie utilisée.

Qu’est-ce que le racisme? Qu’est-ce que la discrimination raciale?

Pour s’attaquer au racisme systémique, il faut tout d’abord être à même de comprendre de quoi il s’agit et de l’identifier. De manière générale, le racisme est la croyance qu’un groupe racisé est supérieur à un autre groupe racisé, précisément en raison de sa race. Le racisme peut être un ensemble de croyances qui sont entretenues consciemment ou inconsciemment par des personnes ou des groupes de personnes. Il peut aussi se manifester dans des processus et des structures complexes (politiques, économiques, judiciaires, etc.) pour créer des désavantages d’ordre systémique qui sont liés à la race. Ces processus et structures peuvent être tant actuels qu’historiques, s’influencer les uns les autres, façonner les croyances racistes de personnes ou de groupes de personnes et être façonnés par ces croyances.

Colonialisme et racisme au Canada

Le colonialisme est la politique ou le processus qu’une nation ou un groupe de personnes utilise pour asservir une autre nation ou un autre groupe de personnes. Il se manifeste par la revendication d’un contrôle politique total ou partiel sur un autre peuple, et par l’établissement de colonies de colons du groupe dominant. Cette pratique a généralement pour but l’exploitation économique (du territoire, des ressources ou des personnes ou de tous ces éléments). Le processus de colonisation peut aussi signifier l’imposition de sa langue, sa religion, sa vision du monde, ses institutions et d’autres pratiques culturelles à la nation ou au groupe de personnes qu’il asservit. En règle générale, ce processus est intentionnellement violent et destructeur envers la nation ou le groupe de personnes asservies. Il a pour effet de les marginaliser, de les opprimer et de les traumatiser en plus de mettre en péril ou de leur faire perdre leur langue, leur religion, leur vision du monde, leurs institutions, leurs autres pratiques culturelles et leur vie.

Le colonialisme et la racialisation se renforcent mutuellement. Ce sont des outils qui ont été utilisés tout au long de l’histoire par les pouvoirs impérialistes européens pour imposer, justifier et maintenir leur domination en tant que « personnes blanches » sur des groupes qu’ils jugeaient racialement inférieurs à eux. La racialisation et son idéologie affirmant la supériorité des personnes blanches, ce qu’on appelle la « suprématie blanche », se sont répandues partout dans le monde au moment où les pouvoirs impérialistes européens ont colonisé de vastes parties de la planète et ont usé de violence pour établir les systèmes qui assuraient leur domination. Ces systèmes sont encore présents à ce jour, à l’échelle mondiale.

Le Canada est un État colonial. Son existence est fondée sur la colonisation des peuples autochtones. Ces peuples ont été considérés par les Européens comme étant racialement inférieurs à eux. Les terres et ressources des peuples autochtones étant par conséquent automatiquement jugées propres à une prise de possession par les pouvoirs européens (suivant les doctrines de la découverte et de territoire nullius ou territoire sans maître). La présence continue des peuples autochtones était vue comme un obstacle à la prise de possession de ces terres par les Européens ainsi qu’à l’établissement et à l’essor de l’État canadien. Les institutions, les politiques et les pratiques ont donc été mises en place sur la base de cette vision raciste des peuples autochtones. Cette dynamique colonialiste aux racines profondes continue d’influencer les relations entre le Canada, la population canadienne non autochtone et les peuples autochtones.

Le colonialisme européen a créé un système de hiérarchie sociale fondé sur la couleur de peau, ce qui a mené à une discrimination raciale contre les personnes noires et les autres personnes racisées ayant un teint foncé. Le racisme visant les personnes noires est profondément enraciné dans les institutions, politiques et pratiques canadiennes. Il repose sur l’historique du Canada en matière d’esclavage, de ségrégation et de marginalisation, lequel façonne les interactions avec les personnes d’ascendance africaine et avec les personnes d’autres groupes racisés et les privent de l’égalité d’accès aux emplois, aux services et aux occasions.

Le racisme dépend des systèmes de pouvoir sociétaux, et il renforce les systèmes d’oppression existants ou est renforcé par eux. En conséquence, le groupe racisé qui a historiquement été jugé supérieur dispose également d’un pouvoir sociétal, politique et économique sur les autres groupes racisés. La suprématie blanche est ce genre de système de pouvoir. Il s’agit à la fois d’une idéologie et d’un système politique historique. C’est la croyance que les personnes blanches, en raison de leur race, sont supérieures à toutes les autres personnes et devraient donc être le groupe dominant.

Cette croyance s’implante très tôt dans la vie : selon des études, les enfants peuvent développer des stéréotypes et à avoir des comportements racistes à un très jeune âgeNote de bas de page 8. Les enfants ont la capacité d’observer de quelle manière la notion de race structure le monde qui les entoure. Ils remarqueront qui sont les héros dans les spectacles et les films qu’ils regardent et dans les livres qu’ils lisent — dans lesquels les personnes autochtones, noires et membres d’autres groupes racisés sont encore sous-représentées; les personnages féminins sont le plus souvent représentés comme des personnes minces et sont plus susceptibles d’être sexualisés; et très peu de personnages ont visiblement des handicaps physiques ou des maladies chroniquesNote de bas de page 9. Les enfants remarqueront que les dirigeants politiques sont généralement des hommes blancs et que les familles et les personnes les plus riches dans leur communauté et dans la société sont généralement des Blancs, ce qui amènera ces enfants, comme le démontrent les études, à faire le lien entre les personnes blanches et la richesse et le prestigeNote de bas de page 10.

Ces idéologies et processus racistes peuvent se manifester dans le traitement réservé aux personnes en fonction de la race ou dans les décisions prises concernant ces personnes. Ces comportements constituent de la discrimination raciale et sont interdits en vertu du droit canadien.

La race figure dans la liste des motifs de distinction illicite au paragraphe 3(1) de Loi canadienne sur les droits de la personne. Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés consacre aussi le droit de toute personne à une vie exempte de toute discrimination fondée sur la race.

Bien qu’il n’existe pas de définition établie du terme « discrimination raciale », la jurisprudence canadienne la considère comme étant « toute distinction, conduite ou acte, intentionnel ou non, mais fondé sur la race, qui a pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe des fardeaux particuliers et qui entrave ou restreint l’accès à des avantages dont peuvent se prévaloir les autres membres de la sociétéNote de bas de page 11. »

Le racisme et la discrimination raciale peuvent se manifester explicitement ou implicitement, directement ou indirectement, sur les plans individuel, institutionnel, structurel et systémique.

Ce que le Tribunal canadien des droits de la personne a statué

Les allégations de discrimination raciale peuvent être notoirement difficiles à prouver puisque, dans la plupart des cas, la discrimination fondée sur la race n’est pas manifeste et se produit de façons subtilesNote de bas de page 12. Dans sa décision rendue en 1988 dans l’affaire Basi, le Tribunal canadien des droits de la personne parle de « subtiles odeurs de discriminationNote de bas de page 13 » qui doivent souvent être décelées par l’évaluation de preuves circonstanciellesNote de bas de page 14, comme le Tribunal l’a expliqué plus tard dans sa décision rendue dans l’affaire Grover.

Les tribunaux ont aussi admis qu’ils peuvent conclure à une discrimination raciale sans qu’il y ait eu un mobile ou une intention discriminatoiresNote de bas de page 15. Il suffit qu’il y ait eu un effet discriminatoire. De plus, on peut considérer quelque chose comme étant discriminatoire même si la discrimination raciale n’est qu’une raison parmi d’autres expliquant un acte ou une décisionNote de bas de page 16. Cela signifie que, selon la jurisprudence canadienne, des personnes peuvent faire de la discrimination raciale sans s’en rendre compte ou le faire consciemment, même lorsqu’elles ont d’autres raisons pour justifier leur décision ou leur comportement. Par exemple, on pourrait avoir plusieurs raisons de mettre fin à l’emploi d’une personne, comme de véritables problèmes de rendement qui sont documentés. Toutefois, l’existence de ces autres facteurs en soi ne veut pas dire qu’il n’y a eu aucune discrimination raciale. Si la décision de congédier cette personne a été, au moins en partie, fondée sur sa race, que ce soit consciemment ou inconsciemment, elle constituerait une discrimination raciale.

Qu’est-ce que le racisme systémique?

« La discrimination fondée sur la race peut être considérée comme systémique lorsqu’il y a plus que des actes répréhensibles individuels et isolés, de sorte qu’elle englobe des tendances élargies à l’inégalité racialeNote de bas de page 17. »

Selon la Fondation canadienne des relations raciales, le racisme systémique est une relation de dépendance mutuelle et de réciprocité entre les niveaux individuel, institutionnel et structurel, se comportant comme un système de racisme. Ces différents niveaux de racisme agissent ensemble dans un modèle synchronisé jusqu’à fonctionner ensemble comme un système global [Traduction libre]Note de bas de page 18. Dans les sections précédentes du présent document, nous avons abordé brièvement ces formes de racisme, mais nous en parlerons en détail et analyserons les liens qui existent entre elles dans les prochaines sections.

Racisme individuel (interactions entre les personnes)

Pour beaucoup de personnes, le racisme individuel est probablement la forme de racisme entre personnes la plus facile à déceler. Il s’exprime en fonction de valeurs, d’idées toutes faites et de croyances négatives fondées sur la race, conscientes ou inconscientes, qu’entretiennent les personnes. Le racisme individuel peut se traduire directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, par des mots, des attitudes, des idées reçues, des comportements et des actes. Parmi les formes les plus évidentes de racisme individuel, il y a les propos racistes et les autres commentaires méprisants, les messages haineux et les attaques directes. Dans ses formes moins évidentes, le racisme individuel peut se traduire notamment par des blagues, des microagressions, des préjugés sur les personnes racisées, des gestes inconscients ou des expressions faciales.

Les microagressions – ou des actes subtils d’exclusion - se caractérisent par des affronts, des outrages, des dénigrements et des insultes, qui sont sommaires, indirects et quotidiens et qui expriment des attitudes discriminatoires envers des membres de groupes méritant l’équité. Ces affronts peuvent être comportementaux, verbaux ou environnementaux et être commis volontairement ou involontairement. Les personnes visées par ces microagressions peuvent se sentir inconfortables, rejetées, insultées ou exclues et sentir avec douleur le poids des stéréotypes associés à leur identité. Parmi de nombreux autres exemples de microagressions racistes, mentionnons le fait de demander avec insistance à une personne d'où elle vient vraiment, de complimenter une personne racisée sur sa bonne connaissance de la langue française ou de serrer son sac plus fort en présence d’un homme noir. Même quand on n'a aucune intention consciente de blesser, les microagressions causent tout de même des préjudices, et leurs conséquences préjudiciables sont cumulatives puisque les personnes racisées subissent souvent ces microagressions dans leur quotidien.

Racisme institutionnel (dans les institutions et les systèmes de pouvoir)

Il est généralement admis que le racisme institutionnel est ancré dans les politiques, pratiques et règlements d’une institution. Ces politiques, pratiques et règlements sont ensuite développés, mis en œuvre et appliqués par des personnes conscientes ou non du racisme qui les sous-tend. Le problème est que ces politiques, pratiques et règlements peuvent sembler neutres à première vue. Et pourtant, ils peuvent tout de même entraîner un traitement discriminatoire ou différentiel pour des personnes en fonction de la race. Cela s’explique par le fait que ces politiques, pratiques et réglementations sont ancrées dans un ensemble de valeurs, de principes et de normes qui perpétuent l’inégalité raciale. Par exemple, de tels systèmes institutionnels peuvent inclure le système d’éducation (y compris les écoles et les commissions ou conseils scolaires), le système de justice pénale (y compris les services de police, les tribunaux, les processus de détermination de la peine et les prisons), le système de soins de santé (y compris les hôpitaux et les autres fournisseurs de services de santé mentale ou physique), les ministères gouvernementaux et d’autres employeurs et fournisseurs de services.

Racisme structurel, sociétal et culturel (au sein de la société)

Ce type de racisme se produit à l’échelle de la société et représente les manières dont les inégalités enracinées dans notre société entraînent la différenciation, la catégorisation et la stratification de ses membres en fonction de leur race et influencent par conséquent leur participation dans nos institutions économiques, politiques, sociales, culturelles, judiciaires et scolairesNote de bas de page 19. Autrement dit, ce type de racisme se voit dans les façons utilisées par la culture dominante pour définir la réalité de manière à avantager les personnes blanches et à désavantager les personnes racisées.

On appelle cette idéologie la suprématie blanche. Il s’agit d’un système complet de pouvoir qui a été inventé pour justifier l’établissement de codes et d’institutions clairement racistes qui protègent la domination des BlancsNote de bas de page 20. Elle s’est manifestée tout au long de l’histoire du Canada, notamment en servant à justifier l’esclavage, la dépossession et le génocide des peuples autochtones, l’oppression des femmes, l’internement des Japonais dans des camps et les politiques d’immigration discriminatoires, comme la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, les politiques d’immigration antisémites et les restrictions imposées aux personnes handicapées voulant immigrer au Canada. Souvent, de telles politiques visaient à protéger les systèmes de pouvoir mis en place pour privilégier la race dominante. Ainsi, la suprématie blanche est le noyau dur du pouvoir qui protège et maintientNote de bas de page 21 l’oppression systémique fondée sur la race.

Les systèmes politiques prônant la suprématie blanche utilisent depuis toujours des lois et des politiques pour exclure les personnes non blanches d’une pleine participation à la société et de la citoyenneté, en limitant leur droit de voter, leur droit à la propriété, d’autres droits civils et politiques, ainsi que leurs droits économiques, sociaux et culturels. Ces systèmes représentaient la codification de l’idéologie de la suprématie blanche et ont par conséquent servi à renforcer la suprématie blanche.

Racisme intériorisé

« Étant donné que nous baignons dans la culture suprémaciste blanche, nous intériorisons inévitablement les messages concernant ce que cette culture croit, valorise et estime normal. Nous absorbons ces messages, que ce soit en tant qu’individu ou en tant que membre d’une collectivité. Ainsi, la culture suprémaciste blanche façonne nos façons de penser et d’agir, nos façons de prendre des décisions et nos façons de nous comporterNote de bas de page 22. »

Le racisme intériorisé désigne les croyances, les idées, les stéréotypes, les valeurs et les images qui sont perpétués par la société blanche dominante à propos de son propre groupe racialNote de bas de page 23.

Ceux-ci peuvent mener à des sentiments de doute de soi, de mépris et de dégoût pour sa race ou pour soi-même en tant que personne racisée. Cette situation se manifeste notamment par le colorisme dans et entre des communautés de couleur, où on valorise la peau plus claire et où les teintes de peau plus foncées sont perçues de manière négative ou comme étant non souhaitables. Des personnes autochtones, des personnes noires et d’autres personnes racisées peuvent aussi modifier leurs façons de parler et de s’habiller, décider de se coiffer autrement, ou adopter ou exprimer certaines idées reçues sur elles-mêmes ou d’autres groupes racisés. Elles présument qu’elles auront des avantages, des accès et des opportunités si elles adoptent la blanchité (ou blanchitude). Dans les communautés de couleur, bien des gens cherchent à se conformer et à s’assimiler à la société blanche pour avancer et progresser. La « proximité blanche» (« white adjacency » en anglais) exprime l’idée que la proximité par rapport à la blanchité procure des avantages. Cependant, n’oublions pas que le système est conçu pour opprimerNote de bas de page 24.

Interactions entre ces niveaux de racisme

Parce que notre société a été construite sur ces bases, le racisme systémique et l’idéologie de la suprématie blanche se perpétuent, même si les personnes qui font partie de ces systèmes n’en sont pas conscientes et n’ont aucune intention d’y contribuer. Le fait de s’occuper seulement d’un niveau de racisme, comme les incidents isolés de discrimination fondée sur la race signifie qu’on ne se préoccupe pas des manières dont le racisme est si profondément enraciné dans nos institutions et nos sociétés qu’il est devenu normal et souvent invisible pour les groupes dominants de la société.

De plus, le fait de mettre l’accent sur le racisme individuel ne tient pas compte des façons dont le racisme et la discrimination raciale dans un milieu peut exacerber ou être exacerbé par l’inégalité raciale dans un autre milieu.

« Le racisme systémique est un concept bien établi et enraciné dans notre passé colonial. Il est inscrit dans notre législation, permis dans nos pratiques institutionnelles et soutenu dans notre culture organisationnelleNote de bas de page 25.

Une idée fausse, mais répandue, au sujet du racisme est qu’il est le fait de quelques "brebis galeuses" qui sanctionnent des pensées et des comportements racistes. Ce n’est pas la vérité parce que des personnes, qui ont le cœur à la bonne place, peuvent, par leurs manquements, permettre aux racistes individuels de survivre et même de prospérer au sein d’organisations. Celles-ci peuvent aussi, consciemment ou inconsciemment, permettre aux systèmes de créer et de perpétuer des politiques et des pratiques qui fonctionnent à l’avantage de certains groupes et au désavantage d’autres. »

Les personnes autochtones, les personnes noires, les autres personnes racisées et leurs communautés respectives vivent des situations beaucoup plus négatives que les personnes blanches et les communautés blanches dans de nombreux domaines clés, notamment en ce qui a trait à la santé, l’éducation, les taux de pauvreté, l’accès à un logement adéquat, l’emploi, l’avancement professionnel, ainsi que dans bien d’autres domaines. Ces situations négatives, qui s’ajoutent les uns aux autres et sont le reflet de la nature systémique du racisme dans la société. En voici quelques exemples :

  • Situations inégales sur le plan des soins de santé : les personnes autochtones, les personnes noires et les autres personnes racisées du Canada déclarent régulièrement vivre des situations nuisant à leur santé, puisque les femmes autochtones vivent les pires situations parmi tous les groupes démographiques du Canada. Mentionnons les taux plus élevés d’hypertension artérielle, de maladies cardiaques, de diabète, de cancer du col utérin ou de la vésicule biliaire, de VIH/sida, d’alcoolisme et de toxicomanie, de maladie mentale et de suicide. De fait, « des études suggèrent qu’un certain nombre de facteurs ont une incidence négative sur la santé des peuples autochtones et des personnes de couleur au Canada, notamment : le stress psychologique de vivre dans un environnement raciste; des opportunités économiques inégales; un habitat misérable; un manque de sécurité alimentaire; un accès inéquitable à l’éducation et aux autres ressources sociales; une exposition disproportionnée aux toxines environnementales; [un] emploi dans des travaux dangereux et précaires; la méfiance envers le système de santé; et la sous-utilisation des programmes de dépistageNote de bas de page 26 ».
  • De plus, une faible proportion des médecins du Canada sont des personnes autochtones, des personnes noires et des autres personnes racisées. Cela peut contribuer à l’existence de stéréotypes et de préjugés dans l’ensemble du système de soins de santé. Cette sous-représentation découle elle-même du racisme systémique. Elle est enracinée dans le racisme systémique présent dans le système d’éducation, et ce, dès les toutes premières années d’école, combiné à d’autres facteurs comme la pauvretéNote de bas de page 27, les besoins non comblés en matière de logementNote de bas de page 28 et l’insécurité alimentaire — tous produits par le racisme systémique. Cela mène à des niveaux de scolarité inférieurs dans l’ensemble chez les personnes autochtones, les personnes noires et les autres personnes raciséesNote de bas de page 29. Cela peut se traduire par un plus faible nombre d’inscriptions dans les facultés de médecine. De plus, parmi les personnes autochtones, les personnes noires et les autres personnes racisées qui s’inscrivent dans les facultés de médecine ou dans des programmes connexes et qui deviennent fournisseurs de soins de santé, beaucoup déclarent vivre du racisme à l’école et dans les établissements de soins de santé. Tous ces facteurs interagissent, ce qui produit des situations de persistantes inégalités en matière de santé.
  • Surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale : les peuples autochtones, de façon constante, font l’objet d’une surveillance policière excessive et sont surreprésentés dans les prisons canadiennes. Divers facteurs influencent cette situation, y compris ce que de nombreux militants appellent le « corridor entre l’école et la prison » (« school to prison pipeline » en anglais).

    Parallèlement, la recherche montre que le racisme anti-Noirs existant dans le système d’éducation mène au recours excessif à des mesures disciplinaires contre les jeunes de la communauté noire et à la criminalisation de ce groupe, lequel subit alors un nombre disproportionné d’interactions avec la police. Les personnes noires sont surreprésentées dans les prisons et dans le système de justice pénale. Les personnes autochtones sont, elles aussi, très largement surreprésentées dans les prisons, puisqu’elles représentent le tiers de la population carcérale dans l’ensemble du Canada, même si elles représentent moins de 5 % de la population généraleNote de bas de page 30. Selon des études, il existe un lien entre le sous-financement discriminatoire alloué par le gouvernement fédéral aux services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, le nombre grandement disproportionné d’enfants autochtones pris en charge par l’État et le taux trop élevé d’incarcération — un phénomène surnommé le corridor entre la prise en charge et la prison (« care-to-prison pipeline »)Note de bas de page 31 ou encore le corridor entre les services à l’enfance et la prison (« child-welfare-to-prison pipeline »)Note de bas de page 32.
  • Accès inégal à un environnement propre et sain : Les personnes autochtones, les personnes noires, les autres personnes racisées et leurs communautés tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur les impacts du racisme environnemental et jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre ce phénomène. Le racisme environnemental peut être attribué en partie à l’implantation ciblée d’activités et d’industries dangereuses pour l’environnement, à des politiques discriminatoires, à l’exclusion des personnes autochtones, des personnes noires et des autres personnes racisées du Canada des organes de réglementation et de décision, et à un manque de protection des droits de la personne. Or, la dynamique intersectionnelle des politiques discriminatoires et des héritages coloniaux ont menacé la capacité des communautés les plus vulnérables à exercer leurs droits inhérents et constitutionnels.

    L’exposition à des activités dangereuses pour l’environnement comporte de risques importants pour la santé, et ce risque atteint des sommets pour les personnes vivant dans des communautés où les activités dangereuses pour l’environnement sont disproportionnées. Les produits chimiques et les toxines provenant de ces activités contaminent l’air, l’eau et la terre où vivent ces communautés, et l’exposition constante à ces substances qui en résulte peut avoir des répercussions négatives sur la santé et, dans certains cas, entraîner des maladies potentiellement mortelles.

Discrimination intersectionnelle ou intersectionnalité

Le racisme systémique peut aussi interagir avec d’autres formes de discrimination.

Le concept d’intersectionnalité reconnaît que différents types de discrimination se renforcent et s’influencent mutuellement. Les diverses catégories sociales auxquelles une personne appartient, comme sa religion, son origine ethnique, sa classe sociale, son sexe, ses capacités physiques ou mentales ou son orientation sexuelle, peuvent déterminer la nature de la discrimination à laquelle elle est confrontée dans sa vie.

Kimberlé Crenshaw, l’universitaire qui a inventé le terme « intersectionnalité », décrit ce concept en expliquant qu’une femme noire, qui subit à la fois le racisme et le sexisme, subit un racisme différent de celui d’un homme noir, et un sexisme différent de celui d’une femme blanche, parce que ses deux identités se croisent (d’où l’intersectionnalité). Les deux identités se combinent face à la discrimination. Cela signifie que la femme est confrontée à des stéréotypes et à un harcèlement qui sont exclusifs aux femmes noiresNote de bas de page 33.

Appliquer une approche intersectionnelle signifie prendre en compte le fait qu’une personne possède plus d’une catégorie sociale ou d’une identité, et que ses expériences et sa vie sont influencées par ces autres catégories ou identités.

Il est important de reconnaître que les effets combinés de plusieurs motifs de discrimination peuvent avoir un impact plus important que la discrimination fondée sur un seul motif.

Possibles choses à faire

Le racisme systémique nous déshumanise tous. Que ce soit consciemment ou inconsciemment, le fait de ne pas défendre la lutte contre le racisme rend complice de l’oppression des personnes victimes de l’injustice raciale. Pour parvenir à une société véritablement équitable, il faudra démanteler les systèmes qui accordent intrinsèquement une plus grande valeur à certaines identités qu’à d’autres, comme ceux énumérés dans l’introduction. La lutte contre le racisme systémique exige une prise de conscience et, surtout, une action à tous les niveaux - individuel, institutionnel et structurel.

Au moment de se renseigner sur le racisme systémique et de s’y attaquer, nous devons écouter et amplifier les voixNote de bas de page 34 et les expériences vécues des personnes autochtones, des personnes noires et des autres personnes racisées. Ce sont ces personnes qui luttent depuis plus longtemps en faveur d’un changement systémique. Ce sont ces personnes qui sont les mieux placées pour clairement énoncer ce qu’il faut faire pour tirer un trait sur le racisme systémique. De nombreuses ressources proposent des mesures réelles et concrètes que nous pouvons tous entreprendre. Ces actions s’appliquent à tous, aussi bien à l’échelle d’une personne ou d’une famille qu’à l’échelle des institutions et des gouvernements. Cette section fournit quelques exemples, mais elle est loin d’être exhaustive. Réfléchissez à ce que vous pouvez faire!

  • La mise au point d’outils pour comprendre et reconnaître de quelle manière le racisme systémique et la suprématie blanche agissent en chaque personne et au quotidien est une étape cruciale. Il est nécessaire d’avoir des conversations constructives sur la race parce que la propagande de la suprématie blanche est inévitable. Selon une chercheuse, le racisme culturel — c’est-à-dire les images et les messages culturels qui affirment la supposée supériorité blanche [sic] et la supposée infériorité des personnes de couleur — agit comme le smog dans l’air. Dans certains cas, il est si dense qu’on peut le voir, et dans d’autres cas, il est moins apparent, mais quoi qu’il en soit, jour après jour, il s’infiltre en nousNote de bas de page 35. Nous devons tous prêter attention aux manières dont la suprématie blanche se manifeste, qu’il s’agisse d’examiner nos préjugés ou d'en apprendre davantage sur le colorisme et ses répercussions. Il appartient à chacun d’entre nous d’en apprendre davantage sur l’histoire coloniale du Canada.
  • Le fait de changer la façon d’enseigner aux enfants blancs ce qu’est le racisme est un important pas dans la bonne direction. Même si on peut contrer ces messages, la recherche a montré que les parents blancs ne parlent pas aussi souvent du racisme à leurs enfants, ou de la même manière, que les parents autochtones, noirs ou d’autres groupes racisés, qui le font en sachant que le racisme systémique aura des conséquences négatives sur la vie de leurs enfantsNote de bas de page 36. Les parents blancs sont aussi plus susceptibles d’aborder les conversations sur la race de façons qui se sont avérées inefficaces pour lutter contre le racisme, comme en mettant l’accent sur le daltonisme racial et en disant à leurs enfants que la race n’a pas d’importance et que tout le monde est pareil à l’intérieurNote de bas de page 37. Il est essentiel que les parents blancs aient des conversations plus profondes et plus nuancées sur la race et l’histoire du racisme et du colonialisme au Canada avec leurs enfants.
  • Les employeurs et les fournisseurs de services ont aussi un important rôle à jouer dans la lutte contre le racisme systémique et la suprématie blanche dans leur organisation, et ils peuvent adopter un éventail de politiques et de pratiques pour y parvenir. Les organisations qui valorisent d’elles-mêmes la diversité et l’inclusion obtiennent de meilleurs résultats que les organisations analogues non diversifiées. Selon des études, les entreprises se situant dans le premier quartile pour la diversité en matière de genre ou de race et d’origine ethnique sont plus susceptibles d’avoir des rendements supérieurs aux rendements médians dans leur secteur d’activités à l’échelle nationale.

    Les entreprises qui se situent dans le dernier quartile concernant ces aspects ont statistiquement moins susceptibles d’obtenir un rendement supérieur à la moyenneNote de bas de page 38.

    Une façon d’aborder le racisme systémique au sein des organisations est d’adopter des programmes de promotion sociale ou des mesures spécialesNote de bas de page 39. De telles initiatives permettent non seulement de lutter contre les inégalités dans la société, mais aussi de favoriser un milieu de travail globalement plus sain et plus efficace.
  • Il est essentiel de veiller à ce que l’organisme soit diversifié et ouvert à tous. Des employés provenant d’un vaste éventail d’horizons apportent des points de vue uniques qui favorisent l’innovation et la créativité, en plus de permettre aux organisations de mieux comprendre la communauté qu’elles servent. Par contre, la représentation n’est que la première étape. Les employeurs devraient aussi veiller à ce que les personnes autochtones, les personnes noires et les autres personnes racisées dans son effectif aient les outils, le soutien et les occasions dont elles ont besoin pour réussir au sein leur organisation.

Conclusion

Comme l’indique le présent document, l’une des clés pour combattre le racisme systémique et en venir à bout au Canada est de commencer par apprendre à le définir correctement, à le cerner et à le considérer comme une structure intégrée à la société canadienne.

Bien que les mesures individuelles et les politiques organisationnelles soient elles aussi nécessaires pour la suite des choses, des avancées marquées et durables vers l’élimination du racisme systémique ne pourront pas se faire sans des transformations sociétales et culturelles. À leur tour, ces transformations conduiront à des changements, des réactions et du soutien de la part des gouvernements et des institutions nationales et internationales.

Il n’en reste pas moins que le racisme systémique continue d’influencer nos façons de structurer nos communautés et nos systèmes, de déterminer la valeur des êtres et des choses et de percevoir la réalité. Ce sont des problèmes systémiques qui exigent une réponse urgente, des solutions systémiques, un dialogue permanent et des mesures concrètes.

Nous ne sommes pas libres tant que nous ne sommes pas tous et toutes libres.