Mémoire de la Commission canadienne des droits de la personne à l'intention du Groupe de travail sur la révision de la Loi sur l’équité en matière d’emploi

Type de publication
Rapports de recherche
Sujet
Droits de la personne

GC Catalogue : HR4-92/2023F-PDF
ISBN : 978-0-660-47739-8

« La recherche véritable de l'égalité est un test permettant d'évaluer notre réussite en tant que démocratie libérale. »
-    L’honorable juge Rosalie Silberman Abella, Rapport de la Commission royale sur l'égalité en matière d'emploi

Introduction

La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) se réjouit de l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). Elle exhorte donc le Groupe de travail à faire des changements audacieux et progressifs à la LEE, afin de créer un régime moderne d’équité en matière d’emploi qui puisse à la fois redresser les torts et les iniquités marquant l’histoire du Canada et inspirer le reste du monde grâce à une conception dynamisée de l’inclusion.

La CCDP est l’institution nationale des droits de la personne au Canada. Établie en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), elle a le vaste mandat de promouvoir et de protéger les droits de la personne. Ce mandat comprend la tâche de mener des vérifications de l’équité en matière d’emploi en vertu de la LEE.

En 1984, l’honorable juge Rosalie S. Abella a présenté le Rapport de la Commission royale sur l'égalité en matière d'emploi qui a ouvert la voie à l’adoption de la LEE en 1986. À cette époque, la LEE visait à accroître la représentation des membres de quatre groupes désignés – soit les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes racisées1 – dans les milieux de travail sous réglementation fédérale et à éliminer les obstacles systémiques au recrutement, à l'avancement et au maintien en fonction des membres de ces groupes. Par cette loi, on reconnaissait donc les fondements structurels et systémiques des inégalités en matière d’emploi et la nécessité de mettre en place des mesures correctives systémiques, faisant ainsi du Canada un chef de file à cette époque dans le domaine des politiques.

En 1995, le Parlement a modifié la LEE pour donner à la CCDP le mandat d’effectuer des vérifications de conformité auprès des employeurs sous réglementation fédérale ayant un effectif d'au moins 100 personnes et étendre la portée de cette loi à la fonction publique fédérale.

Depuis l'adoption de la LEE, des progrès ont été réalisés sur le plan de l’augmentation de la représentation des membres des groupes désignés. Toutefois, il est encore difficile d'atteindre une représentation équitable dans beaucoup d’organisations et de secteurs d'activités, et ces groupes se heurtent encore à d’importants obstacles à l’emploi. Les groupes méritant l’équité qui ne sont pas actuellement désignés dans la LEE cherchent à être reconnus, puisque les données démographiques varient et que le concept de l’égalité évolue.

L’examen actuel de la LEE par le Groupe de travail constitue une occasion unique d’entreprendre une discussion plus approfondie sur l’équité et l’emploi. Ces dernières années, d’autres mesures législatives proactives fondées sur les droits de la personne ont permis d’établir des régimes renforcés concernant l’accessibilité et l’équité salariale au moyen de la Loi canadienne sur l’accessibilité (LCA) et de la Loi sur l’équité salariale (LES). En plus des mandats qui lui ont été confiés dans le cadre de ces régimes, la CCDP s’est également vue confier des responsabilités en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement et a été désignée comme organisme chargé de faire le suivi de l'application, par le gouvernement du Canada, de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. En ajoutant ces nombreuses responsabilités aux mandats assumés par la CCDP en vertu de la LCDP et de la LEE, on a donné à l’organisation un rôle de premier plan en matière de vérification de la conformité, d’application et de surveillance associées à plusieurs pans importants du cadre législatif canadien des droits de la personne.

L'examen de la LEE permet d'analyser les avantages d’une harmonisation dans l'ensemble des pans de la législation relative aux droits de la personne – plus particulièrement des régimes établis par la LEE, la LCA et la LES – et d’un cadre législatif harmonisé des droits de la personne en vue d'atteindre l'objectif de concrétiser l'égalité réelle pour tous les groupes méritant l’équité.

Recommandations

Recommandation 1a)

La LEE modifiée devrait faire clairement référence aux dispositions concernant l’égalité dans la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois relatives aux droits de la personne, dont la Loi canadienne sur l'accessibilité et la Loi sur l'équité salariale.

Recommandation 1b)

La LEE modifiée devrait reconnaître explicitement que le Canada a l'obligation de protéger, de respecter et de réaliser les droits à l’égalité garantis par les instruments internationaux de protection des droits de la personne qu’il a signés. Il s’agit principalement la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la Déclaration), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRDPH) et la Convention concernant la discrimination (emploi et profession) de l’Organisation internationale du Travail, surtout dans les domaines concernant le travail et l'emploi. 

Recommandation 2a)

Dans la version modifiée de la LEE, les approches de conformité, de vérification et de sensibilisation devraient être harmonisées aux exigences semblables inscrites dans la Loi canadienne sur l'accessibilité et la Loi sur l'équité salariale pour réduire le fardeau réglementaire en matière de production de rapports, parvenir à une efficacité administrative et appuyer la production de rapports destinés au public ainsi que l’éducation et la sensibilisation du public dans l'ensemble des trois régimes proactifs.

Recommandation 2b)

La LEE modifiée devrait prévoir la nomination d’une personne au poste de commissaire à l’équité en matière d’emploi.

Recommandation 2c)

La LEE modifiée devrait prévoir des attributions plus adaptables concernant la conformité et l'application inspirées de celles inscrites dans la Loi canadienne sur l'accessibilité et ses règlements et donner à l’organe de surveillance compétent une gamme complète de pouvoirs correctifs lui permettant d'imposer des sanctions en cas de non-conformité. Il faudrait donc des dispositions permettant ce qui suit :

  1. exiger que les employeurs inscrivent des mesures spéciales dans leurs plans d’équité en matière d’emploi pour combler les grands écarts de représentation selon les groupes professionnels et réagir aux difficultés particulières vécues par des sous-ensembles des groupes désignés;
  2. exiger que les employeurs mettent en place des mécanismes de reddition de compte à l’intention des cadres supérieurs, y compris des objectifs de rendement relatifs à la mise en œuvre de leur plan d’équité en matière d’emploi et aux progrès réalisés;
  3. faire en sorte que les administrateurs généraux, soit les personnes occupant une fonction définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, reçoivent une rémunération au rendement seulement si leur organisation se conforme à la LEE;
  4. donner à l’organe de surveillance compétent le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires qui seront établies en fonction du degré de non-conformité et de la taille de l’employeur;
  5. permettre ou exiger la publication d’une liste des employeurs qui ne se conforment pas à la LEE;
  6. permettre la publication d’une liste des dirigeants qui se conforment entièrement à la LEE dans leur domaine. 

Recommandation 3a)

La LEE modifiée devrait redéfinir et subdiviser les quatre (4) groupes désignés existants pour mieux refléter : 

  1. les groupes particulièrement touchés, comme la communauté noire;
  2. une approche fondée sur les distinctions relativement aux peuples autochtones (en constituant des groupes distincts pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits);
  3. la variété des expériences vécues par les personnes handicapées, en concordance avec le degré de détails relevé dans l’Enquête canadienne sur l'incapacité;
  4. la diversité et les identités intersectionnelles des personnes qui forment les groupes existants.

En plus ou en lieu et place, l’article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (programmes de promotion sociale) pourrait être intégré par renvoi à la LEE modifiée pour tenir compte des circonstances et besoins des groupes particulièrement touchés. 

Recommandation 3b)

La LEE modifiée devrait inclure d’autres groupes désignés de manière à refléter l’évolution démographique au Canada et à reconnaître les travailleuses et travailleurs en sous-représentation. 

En plus ou en lieu et place, l’article 16 de la LCDP (programmes de promotion sociale) pourrait être intégré par renvoi à la LEE modifiée pour tenir compte des circonstances et besoins des groupes particulièrement touchés.

Recommandation 4

La LEE modifiée devrait avoir une portée élargie afin de couvrir le plus grand nombre possible de personnes travaillant au Canada et devrait :

  1. avoir un champ d’application plus large pour inclure les employeurs sous réglementation fédérale comptant au moins 10 employés, en imposant des obligations de base pour les effectifs de 10 à 99 employés;
  2. avoir une disposition qui consacre un engagement du gouvernement fédéral à soutenir les provinces qui mettent en œuvre leurs propres initiatives d’équité en matière d’emploi;
  3. faire à nouveau mention du Programme de contrats fédéraux (PCF) dans la LEE et abaisser le seuil pour les contrats de biens et de services couverts par le PCF;  
  4. rétablir les exigences en vigueur avant 2013 pour les employeurs dont les contrats sont couverts par le PCF et décréter que le renouvellement d'un contrat ou l'inscription d'un employeur au PCF dépend du respect des exigences établies pour l’équité en matière d’emploi;
  5. couvrir le personnel du Sénat, de la Chambre des communes et de la Bibliothèque du Parlement;
  6. décréter que l'accès à des fonds fédéraux et aux programmes de subvention dépend du respect des normes établies d'équité en matière d'emploi.

Recommandation 5a)

La LEE modifiée devrait exiger une collecte de données renforcée et moderne nécessitant :

  1. l'intégration de méthodes et d'outils de collecte visant à recueillir des données qualitatives sur les expériences en emploi des membres des groupes désignés;
  2. le renforcement des méthodes visant à recueillir des données quantitatives qui reflètent la diversité et l’intersectionnalité dans les groupes désignés;
  3. l'adaptation des méthodes de collecte afin que les données utilisées tiennent compte de prévisions raisonnables des changements démographiques plutôt que d'être fondées ou calquées sur des chiffres non à jour provenant de données désuètes;
  4. collecte de données sur la représentation et les expériences des groupes non désignés, ce qui pourrait guider de futurs examens de la LEE et soutenir d’autres programmes ou initiatives visant l’équité.

Recommandation 5b)

La LEE modifiée devrait renforcer les obligations des employeurs relatives à la production annuelle de rapports publics sur les progrès réalisés (soit la réduction ou l'élimination des écarts de représentation) au cours de l’année précédente.

Recommandation 5c)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à faire rapport sur les données relatives aux expériences vécues en emploi par leurs employés qui font partie des groupes méritant l’équité, faisant de ces données un élément essentiel de l'étude de leurs systèmes d'emploi.

Recommandation 5d)

La LEE modifiée devrait exiger la création officielle de comités d’équité en matière d’emploi – qui comprendraient des membres des communautés méritant l’équité – et prévoir leur rôle concernant les obligations de production de rapports.

Recommandation 5e)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à périodiquement consulter ou questionner des membres des groupes sous-représentés qui ne font pas partie de leur effectif pour se renseigner sur les obstacles à l'emploi dans leur organisation afin de guider la mise en œuvre et l'évaluation de leurs mesures spéciales.

Recommandation 5f)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à mesurer la progression professionnelle des membres des groupes désignés divisés en sous-groupes et à faire rapport sur ce sujet.

Recommandation 6a)

La LEE modifiée devrait renforcer les dispositions concernant la promotion de l’équité en matière d’emploi ainsi que la recherche et la sensibilisation à ce sujet.

Recommandation 6b)

La LEE modifiée devrait contenir des dispositions obligeant les employeurs à élaborer des programmes et des stratégies de mentorat, de parrainage et de développement professionnel pour les groupes méritant l’équité et permettre à un employeur de donner de la formation préalable à l’emploi à des membres des groupes méritant l'équité. 

Recommandation 6c)

La LEE modifiée devrait consacrer les engagements du gouvernement fédéral à allouer certains niveaux de financement ou de subvention pour les mettre à la disposition des employeurs sous réglementation fédérale, en soutien aux programmes de mentorat, de parrainage et de développement professionnel et à la formation préalable à l'emploi.

Recommandation 6d)

La LEE modifiée devrait avoir une disposition garantissant de la formation périodique et actualisée sur la LEE, ses règlements et les meilleures pratiques, à l'intention des gestionnaires et des membres du personnel des ressources humaines qui s'occupent de la mise en œuvre et de l’application du plan d’équité en matière d’emploi d'un employeur.

Recommandation 6e)

La LEE modifiée devrait avoir une disposition qui oblige le gouvernement fédéral à aider les intervenants à avoir un accès équitable aux processus décisionnels ayant des répercussions sur les travailleurs et travailleuses méritant l’équité.  

Recommandation 6f)

Durant l'examen de la LEE, il faut envisager la nécessité d'allouer des ressources supplémentaires destinées à l’application d’une LEE élargie. 

Contexte

Importance de l’équité en matière d’emploi dans une ère moderne pour les droits de la personne

« Les lois concrétisent les engagements. Elles fixent des objectifs et proclament une ferme intention d'empêcher ou d'encourager certains comportements. Elles définissent les limites d'un comportement acceptable. […] La loi s'apparente ainsi à la promulgation d'une politique publique et devient, par l'entremise du Parlement, l'expression d'un idéal social. Une collectivité s'épanouit et se définit par les lois qu'elle se donne; à la longue le respect de ces lois projette l'image que la société veut se donner.

On juge souvent de la sincérité de quelqu'un par sa volonté d'agir selon ses convictions. C'est donc par le truchement des lois que les gouvernements peuvent démontrer la sincérité de leurs engagements. »

— L’honorable juge Rosalie Silberman Abella, Rapport de la Commission royale sur l'égalité en matière d’emploi

Nous vivons dans une ère nouvelle pour les droits de la personne, tant à l'échelle internationale que nationale, mais la législation canadienne sur l’équité en matière d’emploi accuse un retard considérable.

L’équité en matière d’emploi a toujours reposé sur l'idée de prendre conscience des erreurs de notre passé pour créer un avenir plus juste. En 2017 de même qu'en 2021, le gouvernement du Canada s’est engagé publiquement à faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones, à lutter contre le racisme et la discrimination systémiques qui existent dans les institutions et les milieux de travail au Canada, à garantir l’équité salariale pour les personnes de tous les genres et à éliminer les obstacles à l’emploi pour les personnes handicapées. Le Canada se voit comme un chef de file parmi les nations quand il est question de diversité et d’inclusion. Pourtant, les groupes méritant l’équité se heurtent encore à des obstacles à l'emploi, il existe encore des écarts de représentation dans de nombreux secteurs d'activités et la LEE canadienne en vigueur ne reconnaît pas convenablement bon nombre de groupes méritant l'équité.

Il faut examiner et modifier la LEE, mais ce n'est pas seulement pour entrer dans la modernité d'un point de vue technique. C'est aussi pour la mettre en phase avec l'évolution de notre compréhension des droits de la personne, de la diversité et de l’inclusion. Une LEE moderne et efficace aidera le Canada en tant que pays à reconnaître et à admettre que notre histoire est entachée de colonisation, de racisme et d’exclusion systémiques, de quelle façon cette histoire a façonné notre société; ce que nous pouvons faire concrètement pour commencer la décolonisation et faire en sorte que nos institutions deviennent antiracistes et anticapacitistes. Une LEE modifiée enverra un signal à la population canadienne et au monde entier que le gouvernement prend un engagement sincère en faveur des principes de réconciliation, d'antiracisme, de diversité et d’inclusion.

Le processus d'examen lui-même doit s’appuyer sur une approche fondée sur les droits de la personne dans laquelle sont enchâssés les principes de décolonisation, d'antiracisme et d'intersectionnalité. C’est seulement dans cette optique que le désavantage historique élargi, impossible à cerner par nos méthodes actuelles de collecte et d’analyse de données, pourra être compris et intégré dans une LEE moderne, adaptée et efficace.

Cadre législatif des droits de la personne au Canada

La LEE ne représente qu’un volet du cadre législatif des droits de la personne au Canada.

Le Canada a signé certains instruments internationaux de protection des droits de la personne, dont bon nombre ont guidé l'élaboration de son cadre national visant à promouvoir et à protéger les droits de la personne en général, et en particulier le droit à l’égalité. Certains de ces instruments garantissent précisément le droit de travailler dans un milieu exempt de discrimination2.

Sur le plan national, en plus des dispositions en matière d’égalité contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés; le droit à l’égalité et le droit d’être libre de toute discrimination dans tout ce qui a trait à l’emploi sont reconnus par la LCDP, la LCA, la LES ainsi que d’autres mesures législatives nationales.

Il est important que ces engagements figurent explicitement dans la LEE modifiée puisqu’ils placent le texte législatif dans le contexte élargi du droit à l'égalité au Canada et servent de fondement aux liens à établir entre tous les droits de la personne qui sont fondamentaux et inaliénables.

RECOMMANDATION 1a)

La LEE modifiée devrait faire clairement référence aux dispositions concernant l’égalité dans la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois relatives aux droits de la personne, dont la Loi canadienne sur l'accessibilité et la Loi sur l'équité salariale.

RECOMMANDATION 1b)

La LEE modifiée devrait reconnaître explicitement que le Canada a l'obligation de protéger, de respecter et de réaliser les droits à l’égalité garantis par les instruments internationaux de protection des droits de la personne qu’il a signés, notamment la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRDPH) et la Convention concernant la discrimination (emploi et profession) de l’Organisation internationale du Travail, surtout dans les domaines concernant le travail et l'emploi.

Obstacles à l’équité en matière d’emploi d’hier à aujourd’hui

Malgré les droits à l’égalité et à la non-discrimination garantis par les instruments juridiques nationaux et internationaux, il subsiste un grand nombre des obstacles à l’égalité en matière d’emploi qui existaient au moment de l’entrée en vigueur de la LEE en 1986. Ces obstacles persistants alimentent un cycle de marginalisation et d'entraves systémiques à la réalisation des droits à l’égalité.

Le régime actuel de la LEE n’a pas réussi à combler les besoins de certains groupes. Il n’est pas adapté à la démographie canadienne en évolution. Il ne tient pas compte d’un grand nombre de personnes sous-représentées dans les effectifs. Il ne garantit pas le droit à l'égalité des chances pour les promotions ou l'avancement de carrière. Il ne représente pas une approche intersectionnelle visant à éliminer les obstacles systémiques que rencontrent les groupes méritant l’équité. Des lacunes de la LEE en vigueur existaient déjà au moment de sa création, alors que d’autres sont devenues évidentes au fil des ans, au gré d'une prise de conscience graduelle des obstacles rencontrés par les groupes méritant l’équité.

À elle seule, la LEE ne peut pas agir directement sur les causes profondes de la marginalisation sociale et économique ni fournir des solutions. On pourrait devoir éliminer de nombreux obstacles à l’emploi sous-jacents et persistants sans avoir recours à la LEE. Cependant, il importe que ces obstacles soient reconnus chaque fois que l'on discute de la réforme de l’équité en matière d’emploi étant donné que l'examen de la LEE peut contribuer à cerner des changements nécessaires à d'autres lois, à des politiques ou à des programmes.

La législation relative aux droits de la personne et à l'emploi devrait renforcer les principes et les objectifs de la LEE. Cependant, il arrive que des lois en vigueur soient contreproductives de différentes façons, ce qui peut avoir pour effet de limiter la réalisation des objectifs de l'équité en matière d'emploi dans les milieux de travail sous réglementation fédérale. Par exemple, à l'occasion du précédent processus d'examen et de modification de la LEE en 1995, on a ajouté l'article 54.1 à la LCDP, probablement pour limiter le chevauchement entre la LEE et le processus de traitement des plaintes prévu par la LCDP. L'article 54.1 de la LCDP empêche expressément le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d'ordonner à un employeur de mettre en œuvre des règles ou usages positifs ou des calendriers en vue d'obtenir une représentation équitable dans son effectif. Même si l'objectif ultime des régimes de conformité proactifs est d'éliminer les obstacles systémiques à l'inclusion et d'éviter de rendre nécessaire un processus de plainte pour régler les différends, l'idéal d'une conformité proactive ne devrait pas faire obstacle à des solutions systémiques pour ceux et celles qui affrontent la réalité de la non-conformité et ses effets sur les groupes méritant l'équité. Nous souhaitons que le Groupe de travail envisage de possibles modifications à la LCDP et à d'autres textes législatifs fédéraux portant sur l'emploi en vue de renforcer les principes de la LEE et de permettre une harmonisation accrue destinée à appuyer la réalisation de ses objectifs.

Colonialisme et discrimination contre les Autochtones

Les Autochtones sont encore nettement désavantagés sur les plans de l’éducation, de l’emploi, de la proximité des milieux de travail et de l’accès aux éléments nécessaires à leurs besoins fondamentaux, comme l’eau potable, la sécurité alimentaire et un logement. Les séquelles découlant des pensionnats pour Autochtones et de la discrimination générée par le système d’aide à l’enfance ont eu des conséquences négatives et dévastatrices dans la vie des enfants autochtones, y compris dans le domaine de l'emploi. Les écarts en éducation, auxquels s’ajoutent des désavantages intersectoriels sur les plans économique et social, contribuent aux taux d’emploi plus faibles parmi les membres des Premières Nations, alors que même les personnes ayant des niveaux supérieurs de compétence en littératie et en numératie sont moins susceptibles d’être embauchées (75%) que les personnes non autochtones (90 %) au Canada. Subissant de la discrimination intersectorielle fondée sur la race, l'ethnicité et le genre, les femmes des Premières Nations connaissent des taux d'emploi encore plus bas que les hommes autochtones3.

On a consacré des efforts considérables à jeter les bases des engagements du gouvernement fédéral de donner aux Autochtones le soutien et l'autonomie nécessaires à la réalisation de leurs droits sociaux, économiques et culturels grâce à la réconciliation. Les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) visent à démanteler la discrimination systémique commise par les institutions colonialistes du Canada à l’égard des Autochtones. L'Appel à l’action 7 parle plus particulièrement des obstacles intersectionnels en matière d’éducation et d’emploi et demande au gouvernement fédéral « d’élaborer, de concert avec les groupes autochtones, une stratégie conjointe pour combler les écarts en matière d’éducation et d’emploi entre les Canadiens autochtones et les Canadiens non autochtones4. » Plusieurs autres appels à l’action mettent davantage l’accent sur les écarts en matière d’éducation, d'enseignement, de formation et d'information5. Chacun de ces appels à l’action doit faire l'objet d'initiatives concrètes pour stimuler les possibilités d'emploi et d'éducation pour les Autochtones et éliminer les obstacles qui les empêchent d'y avoir accès.

Racisme envers les personnes noires et discrimination contre les autres groupes racisés

Le discours public et les actions pour lutter contre le racisme systémique envers les personnes noires au Canada se sont manifestés davantage ces dernières années, mettant en lumière les enjeux persistants du racisme institutionnalisé envers les personnes noires au Canada.

En février 2021, Statistique Canada (StatCan) a publié un aperçu de l'expérience des Canadiens noirs sur le marché du travail pendant la pandémie. Cette étude brosse un tableau troublant du sort réservé à la population noire du Canada dans le domaine de l'emploi. Alors que les Canadiennes et les Canadiens noirs de 25 à 54 ans étaient plus susceptibles de détenir un grade universitaire que leurs homologues non racisés, leur taux d'emploi était plus faible. De plus, le rapport indique que les femmes et les hommes noirs sont sous-représentés dans les postes de gestion comparativement à leurs homologues non racisés6.

Un groupe représentant les fonctionnaires membres de la communauté noire a intenté un recours collectif contre le gouvernement fédéral, à la recherche de « solutions à long terme pour lutter de façon permanente contre le racisme systémique et la discrimination dans la fonction publique du Canada 7». Parmi leurs différentes réclamations, les demandeurs veulent des dommages-intérêts pour l'omission injustifiée d'embaucher et de promouvoir les fonctionnaires membres de la communauté noire et pour violation des articles 15, 27 et 28 de la Charte canadienne en raison de l’application discriminatoire de la LEE adoptée par le Canada. Des fonctionnaires de la communauté noire ont donné des exemples tirés de leur vécu relativement aux situations persistantes de discrimination individuelle et systémique prenant la forme de traitement injuste comparativement à celui de collègues blancs, de microgestion, de 

Capacitisme

Malgré la reconnaissance et les protections légales que leur procurent la LCDP et la LEE, les personnes handicapées continuent de se heurter à des obstacles et à la stigmatisation quand elles cherchent un emploi, demandent des mesures d’adaptation en milieu de travail et tentent de réussir leur carrière8.

Le capacitisme peut être défini comme « la discrimination et le préjudice social basés sur la supériorité soutenue des capacités typiques et exercés à l’égard des personnes handicapées. À l’instar du racisme et du sexisme, le capacitisme catégorise des groupes complets de personnes comme des "êtres inférieurs" et perpétue les dangereux stéréotypes, malentendus et généralisations appliqués aux personnes en situation de handicap9». Le capacitisme continue d’exister dans toutes les sphères sociales, et les milieux de travail n’y font pas exception.

Les attitudes capacitistes peuvent avoir de graves conséquences négatives pour les personnes handicapées qui veulent avoir accès à des emplois stables ou conserver un tel emploi. Le plus souvent, les répercussions fondamentales du capacitisme dans la vie des personnes handicapées causent davantage d'obstacles à l’inclusion que le handicap ou l’incapacité de la personne. Le capacitisme se manifeste dans la perception erronée que les mesures favorisant l’accessibilité et les mesures d'adaptation liées à un handicap ou une déficience visent à donner un avantage aux personnes handicapées en vue d'accroître leur représentation.

Le capacitisme peut souvent se manifester dans des gestes ou événements quotidiens qui peuvent ajouter des couches d’obstacles pour les personnes handicapées, comme organiser des activités sociales dans des lieux qui ne sont pas accessibles, commander de l’équipement qui ne sera pas accessible à des personnes ayant certains handicaps ou tenir des discussions « informelles » au sujet du travail sans fournir l'interprétation en langue des signes pour les personnes sourdes ou malentendantes. À la longue, chacun de ces exemples a des répercussions cumulatives qui isolent les personnes handicapées et les excluent d'importants aspects de la participation aux activités habituelles d'un emploi.

Hétérosexisme et homophobie

En novembre 2017, le premier ministre a présenté des excuses aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer et bispirituelles (LGBTQ2) du Canada, en reconnaissant le rôle joué par le gouvernement du Canada dans l’oppression, la criminalisation et la violence systémiques à l’endroit des communautés LGBTQ210. Le greffier du Conseil privé a aussi fait une déclaration, en particulier pour s'excuser concernant la campagne d'oppression systématique menée par le gouvernement du Canada contre les fonctionnaires LGBTQ2 et pour reconnaître que la période s'étalant des années 1950 aux années 1990 avait été le « chapitre plus sombre de notre histoire à titre d’employeur », ce que l'on a appelé la « Purge ». Durant cette période, il était normal de « cibler les fonctionnaires LGBTQ2, ce qui souvent limitait ou mettait fin à leur carrière11 ». Ces excuses reviennent à reconnaître les torts causés par la « Purge » et mettent en lumière le désavantage historique subi par ces communautés sur le plan de l'emploi.

Les études et les publications sur l'égalité des chances en emploi en ce qui concerne les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer et intersexes (2SLGBTQ2I+) au Canada sont relativement récentes. En 2019, un examen de la documentation effectué au moyen de la collecte et de l'analyse des rapports d'études publiés a révélé que les sondages d'enquête menés au Canada ont commencé à contenir des questions sur l'orientation sexuelle seulement au début des années 200012. Une étude de 2008 montrait que le revenu personnel des hommes gais était de 12 % inférieur à celui des hommes hétérosexuels et que le revenu personnel des lesbiennes était de 15 % supérieur à celui des femmes hétérosexuelles13. D’autres études analysées lors de cet examen portant sur les expériences de travail des personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles ont montré un éventail de moyens de discrimination, comme un nombre réduit de convocations à une entrevue d’embauche, le rejet de candidatures en invoquant être à la recherche de « la bonne personne pour le poste » et une culture organisationnelle homophobe dans certains secteurs de l’économie14. L’auteur de l’examen en question a conclu que la plus grande contrainte pour les chercheurs intéressés à étudier le sort réservé sur le marché du travail aux communautés 2SLGBTQI+ demeure le manque de données fiables sur l’orientation sexuelle, sur l'identité de genre non binaire et sur les variables pertinentes de l'emploi15.

Cisnormativité et transphobie

En 2017, la CCDP a accueilli favorablement l'adoption du projet de loi C-16 qu'elle avait appuyé. Ce projet de loi inscrivait un nouveau motif à la LCDP, soit l’identité ou l’expression de genre, faisant de 2017 l'année où ces protections étaient explicitement inscrites dans tous les textes de loi sur les droits de la personne au Canada. Depuis ce temps, les autorités fédérales, provinciales et territoriales ont présenté une multitude de changements juridiques et politiques pour favoriser la pleine réalisation de ces droits et pour faire en sorte que les personnes trans, non binaires et de genres divers puissent obtenir la pleine jouissance de leurs droits de la personne et profiter pleinement de la vie au Canada. D'après des statistiques, les personnes trans et non binaires au Canada sont très instruites, mais sont pourtant sous-employées puisque 24 % d’entre elles gagnent un revenu annuel de moins de 15 000 $ et près de 50 % disposent d’un revenu annuel de moins de 30 000 $16. Selon un rapport publié par Trans PULSE Canada en 2020 faisant suite à une enquête menée auprès de personnes trans et non binaires résidant au Canada, 43 % des personnes transgenres sondées occupaient un emploi à plein temps, alors que 35 % avaient un emploi à temps partiel. Ces données sont particulièrement consternantes étant donné que 67 % d’entre elles possédaient au moins un diplôme d’études post-secondaires ou un grade supérieur et que 89 % d’entre elles avaient à tout le moins fait des études post-secondaires ou universitaires17.

Comme nous l’avons déjà mentionné, malgré des progrès notés dans certains domaines, les personnes trans et non binaires subissent plus de discrimination, de harcèlement et de violence que les personnes cisgenres, surtout si elles ont de multiples identités intersectionnelles. Par exemple, le rapport de Trans PULSE Canada portant sur les personnes trans et non binaires racisées18 souligne que, en très grande majorité, ces personnes ont fait état de niveaux plus élevés de discrimination, de violence et d’agression, ainsi que d'expériences négatives prévisibles et avérées avec la police et le système judiciaire, dont un manque de confiance envers la police, un sentiment évoqué surtout par des personnes noires et autochtones19. Tous ces facteurs contribuent à marginaliser encore plus ces communautés.

Discrimination fondée sur la situation économique et sociale

Les attitudes discriminatoires envers les membres de la population canadienne méritant l’équité et le traitement réservé à ces personnes se traduisent souvent par un désavantage socioéconomique systémique. Depuis toujours, la violation des droits à l’égalité en matière d’éducation, de soins de santé, de services sociaux et des autres avantages accordés par la société perpétue la marginalisation sociale et économique. Il s'ensuit un cycle de pauvreté qui peut affecter de nombreuses générations. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels mis sur pied par les Nations Unies a exprimé son inquiétude quant au nombre important de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté au Canada et a souligné que les peuples autochtones, les personnes handicapées, les mères célibataires et les groupes minoritaires connaissent encore des niveaux très fortement plus élevés de pauvreté et d'insécurité en matière de logement et d'alimentation que les autres membres de la population canadienne.

Les personnes désavantagées socioéconomiquement vivent en situation d'extrême vulnérabilité au sein de la société canadienne et font l'objet de stéréotypes négatifs, de conditions de logement difficiles et de discrimination. Le fait d'avoir ou non un emploi est un facteur déterminant du rang ou de la position socioéconomique d’une personne. Les obstacles à la participation à la vie active en fonction de la situation sociale peuvent avoir pour effet d'empirer le désavantage socioéconomique vécu par les membres de ces groupes.

Âgisme

L’âgisme, ou la discrimination fondée sur l’âge, en emploi est étudié depuis un certain temps. Cependant, ce sujet est particulièrement pertinent de nos jours étant donné le vieillissement de la population canadienne et l'augmentation du nombre de travailleuses et travailleurs âgés dans la population active du Canada depuis une vingtaine d'années. Parallèlement, de nombreux jeunes travailleurs et travailleuses autochtones font leur entrée sur le marché du travail, alors il devient urgent de prévoir les conséquences de la combinaison âge et identité autochtone dans les expériences que vivra un segment croissant de la population active.

La pensée âgiste, qui donne lieu à des attitudes négatives, des stéréotypes et des opinions défavorables, se traduit souvent par de la discrimination fondée sur l'âge dans les milieux de travail, avec le résultat que les travailleuses et travailleurs plus jeunes ou plus âgés sont exclus ou désavantagés en raison de leur âge chronologique. La discrimination fondée sur l’âge peut être accentuée lorsque des attitudes âgistes en milieu de travail se combinent à d’autres formes de discrimination. La discrimination fondée sur l'âge peut se présenter à n’importe quelle étape de la participation à la vie active.

Principes généraux du processus d'examen de la LEE

De façon générale, avant de commencer le processus d'examen de la LEE, il faut d'abord reconnaître et comprendre que les institutions canadiennes été fondées et continuent d’exister suivant des pratiques colonialistes, des attitudes capacitistes, du sexisme, du racisme, de l’âgisme et une conception limitée et discriminatoire des identités sexuelles et des identités de genre. Ainsi, si on veut comprendre et éliminer ces obstacles à l’emploi, les groupes méritant l’équité doivent être inclus et contribuer à toutes les phases du processus d'examen. La CCDP se réjouit de voir que le Groupe de travail semble adopter une approche fondée sur les droits de la personne pour la phase en cours du processus d'examen de la LEE. Nous invitons le Groupe de travail à continuer d’appliquer ces principes aux prochaines phases du processus d'examen législatif, particulièrement dans les domaines suivants.

Inclusion et participation substantielles

Le processus d'examen de la LEE, y compris les activités du Groupe de travail, devrait comprendre la participation substantielle d'ayants droit, de défenseurs et de dirigeants communautaires. Pour qu’un processus de participation porte fruit, il doit être accessible et continu. Les personnes qui y prennent part doivent provenir de divers horizons, tout particulièrement les personnes les plus concernées par la LEE.

Le fait de comprendre ce que vivent les personnes et les groupes qui se heurtent à des obstacles systémiques à l’emploi permettra d'avoir une vision plus complète et juste des limites et des lacunes de la loi en vigueur. La participation d’un large éventail d’experts, d'intervenants, d'ayants droit et de leurs défenseurs peut aussi constituer un mécanisme visant à créer des réseaux et à recueillir de précieuses données désagrégées qui serviront à appuyer les évaluations continues de la LEE.

La CCDP reconnaît que le Groupe de travail déploie des efforts pour prendre contact avec un vaste éventail de personnes, de communautés et d’organisations touchées par la LEE. Toutefois, le Groupe de travail a admis qu'il doit respecter un échéancier accéléré, ce qui l'empêchera de rencontrer l'ensemble des personnes et des groupes concernés20. La CCDP comprend les restrictions pratiques et les contraintes de temps inhérentes au processus d'examen de la LEE, mais elle invite le Groupe de travail à continuer de faciliter et de faire connaître les différentes occasions offertes au public durant le processus d'examen de la LEE, incluant les différentes manières de participer aux travaux d'un comité parlementaire21.

Antiracisme et décolonisation

Une approche antiraciste admet et reconnaît que le racisme envers les personnes noires et les Autochtones a façonné nos lois et nos politiques tout au long de l'histoire et qu’il continue de façonner les expériences des personnes et des communautés autochtones et racisées.

Une approche de décolonisation admet et reconnaît que les pratiques colonialistes ont façonné les lois et les institutions canadiennes par le passé et qu’elles continuent de nos jours à influencer les politiques et le processus législatif. Comme le souligne le rapport provisoire de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées :

« Une approche de décolonisation consiste à résister aux influences du colonialisme et à les renverser, ainsi qu’à rétablir une identité nationale autochtone. Elle est enracinée dans les valeurs, les philosophies et les systèmes de connaissances autochtones. C’est une façon de faire les choses différemment, qui remet en question l’influence coloniale dans nos vies en accordant de la place aux perspectives autochtones marginalisées22. »

Le Groupe de travail sur la révision de la LEE devrait s'efforcer de décoloniser le processus de participation et veiller à ce que les droits des Autochtones et leurs perspectives différentes soient compris et respectés grâce à une participation substantielle et continue des dirigeants, ayants droit et défenseurs autochtones. Le processus doit s’appuyer sur une approche de participation fondée sur les distinctions, respectant les perspectives multiples et diverses des communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

Conformément à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones23, les modifications découlant de l'examen de la LEE doivent reposer sur les engagements élargis du gouvernement fédéral concernant la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, y compris ceux concernant le droit à l’autodétermination et l’obligation d’obtenir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC).

La CCDP considère le CPLCC comme un mécanisme permettant d’assurer en toute légalité la pleine participation des peuples autochtones à la prise des décisions qui les concernent. Le CPLCC sous-tend la pleine réalisation d’un type différent de relation entre les peuples autochtones et l’État – une relation fondée sur le respect mutuel, l’égalité et l’équité dans une société juste et démocratique où les droits de la personne sont respectés24.

Toutes les phases du processus d'examen de la loi doivent aussi prévoir la participation substantielle et continue des ayants droit des communautés noires et racisées ainsi que des dirigeants de ces communautés. Il ne suffit pas de comprendre les résultats statistiques. Pour comprendre les obstacles et développer une législation et des politiques efficaces relativement à  l’équité en matière d’emploi, il est indispensable de bien comprendre les expériences vécues par les travailleuses et travailleurs noirs et racisés.

Intersectionnalité

Le concept d'intersectionnalité reconnaît que différents types de discrimination se renforcent et s'influencent mutuellement. Les différentes identités qu'une personne se reconnaît, comme sa race, sa classe sociale, son genre, ses capacités physiques ou mentales ou son orientation sexuelle, peuvent façonner la nature de la discrimination qu'elle subira dans sa vie.

Pour appliquer une approche intersectionnelle, il faut tenir compte du fait qu'une personne possède plus d'une identité sociale et fait partie de plus d'une catégorie sociale, et que ses expériences et sa vie sont influencées par ces autres catégories ou identités.

Il est important de reconnaître que la discrimination fondée sur des motifs qui sont multiples et intersectionnels peut avoir des répercussions différentes de celle fondée sur un seul motif.

Accessibilité

L’un des principes fondamentaux qui renforcent le développement de politiques et de lois touchant les personnes handicapées est la participation, comme l'exprime le mantra « rien sans nous ».

Pour faire en sorte de tirer parti de l’expérience et de l’expertise considérables dans les communautés diversifiées, notamment dans toute la diversité des communautés de personnes handicapées, l'examen de la LEE doit prévoir des processus de participation accessibles. Lors de consultations menées par le passé, la CCDP s'est fait dire par diverses communautés de personnes handicapées et leurs défenseurs ce que l’accessibilité signifie concrètement. Des personnes ont expliqué qu’il faut connaître la différence entre faire en sorte que les personnes handicapées puissent juste se trouver dans un lieu et faire vraiment le nécessaire pour qu’elles soient capables de participer. Une invitation à s'asseoir à une table n'est pas suffisante si on ne fournit pas les outils qui leur permettent de participer pleinement et substantiellement. Cet éclairage est particulièrement pertinent dans le contexte du processus de participation mené par le Groupe de travail durant l'examen de la LEE.

Recherche, sensibilisation et éducation du public

Jamais la recherche, le renforcement des connaissances ainsi que la sensibilisation et l’éducation du public n’auront été aussi importants que maintenant pour les droits de la personne. En cette ère de mésinformation, de désinformation et de distorsion des principes et protections en matière de droits de la personne, les personnes qui voudraient voir disparaître ces protections utilisent le langage relatif aux droits de la personne pour donner plus de poids à leurs arguments.

Le processus d'examen de la LEE, y compris les activités du Groupe de travail, devrait comprendre la promotion, l'éducation et la sensibilisation concernant les questions relatives à l’équité en matière d’emploi, au processus d'examen législatif et aux droits de la personne en général pour aider le public à comprendre et mobiliser les groupes méritant l’équité dans toutes les phases du processus. Il faudrait donc faire connaître les principes de l’équité en matière d’emploi qui serviront de fondement à la LEE modifiée. 

Régimes de conformité proactifs modernes

Des régimes de conformité proactifs polyvalents constituent un aspect important d'un cadre général des droits de la personne. Ils imposent aux employeurs d’examiner leurs pratiques et systèmes d’emploi et de faire les ajustements nécessaires avant l'apparition de problèmes. De cette façon, ils allègent un peu le fardeau qui, sinon, reposerait sur les personnes victimes de discrimination de dénoncer les problèmes et de chercher des manières d'obtenir des changements au moyen d'autres mécanismes, comme une plainte pour non-respect des droits de la personne ou les tribunaux. D’autres lois proactives, comme la LES et la LCA, nous donnent des exemples de moyens pour accélérer l'accès à la justice. La LES et la LCA visent à éliminer les obstacles dans le but que les personnes puissent faire respecter leurs droits actuels qui sont bafoués.

La CCDP recommande que le Groupe de travail analyse ces plus récents exemples de régimes de conformité proactifs adoptés par le gouvernement fédéral comme la LCA et la LES pour orienter son examen de la LEE et la création d’un système d’équité en matière d'emploi plus polyvalent et adapté aux besoins.

Coordination et harmonisation avec les autres régimes

RECOMMANDATION 2a)

Dans la version modifiée de la LEE, les approches de conformité, de vérification et de sensibilisation devraient être harmonisées aux exigences semblables inscrites dans la Loi canadienne sur l'accessibilité et la Loi sur l'équité salariale pour réduire le fardeau réglementaire en matière de production de rapports, parvenir à une efficacité administrative et appuyer la production de rapports destinés au public ainsi que l’éducation et la sensibilisation du public dans l'ensemble des trois régimes proactifs.

La LEE, la LCA et la LES suivent toutes des approches de conformité proactives, y compris des vérifications ou des inspections et des contrôles d'application, dans le but de faire progresser les droits de la personne. Selon la CCDP, le fait d’harmoniser les approches adoptées concernant l’accessibilité, l’équité en matière d’emploi et l’équité salariale et de concilier les éléments des fonctions de gouvernance dans ces trois domaines pourrait générer des gains d'efficience réglementaire, administrative et opérationnelle et maximiser la cohérence globale entre ces régimes. 

Une telle harmonisation de la fonction de vérification de la conformité donne la possibilité d'harmoniser la production de rapports destinés au public concernant la conformité d’un employeur à ces obligations. Si on n'avait qu'à consulter une seule fiche de rendement (ou un relevé de tableau de bord) pour visualiser les progrès accomplis soit par un employeur soit dans un secteur d'activités quant au respect de leurs obligations dans ces trois domaines, on aurait un aperçu plus complet de la mesure dans laquelle des progrès vers l’égalité réelle sont accomplis, ce qui aurait pour effet de sensibiliser la population et d'inciter les employeurs de manière constructive à faire des progrès pour se conformer entièrement aux lois dans chacun de ces domaines. 

De la même façon, une approche coordonnée pour la recherche, la promotion et l’éducation du public est susceptible de favoriser une compréhension élargie et plus complète du fonctionnement conjugué de ces lois complémentaires en vue de réaliser les objectifs d’égalité réelle dans le domaine de l’emploi. Une telle approche est susceptible d'améliorer l’accès à la justice pour tous les groupes méritant l’équité et de faciliter la réalisation de progrès quant aux droits de la personne dans tous les domaines tout en réduisant le fardeau imposé aux personnes. 

La CCDP reconnaît que cette approche implique des changements conséquents aux lois et règlements en vigueur. Toutefois, selon elle, cette approche sera source de cohérence, de concordance et de clarté pour les employeurs, les travailleuses et travailleurs ainsi que leurs représentants. 

La CCDP recommande que la LEE modifiée comprenne une disposition permettant à la CCDP d'ordonner aux employeurs de mener, dans un premier temps, des vérifications internes de leur conformité à l'équité en matière d'emploi. Cette disposition serait calquée sur l’approche de la LES et harmoniserait les programmes prévus par les mandats de conformité proactive de la CCDP. Elle améliorerait aussi la conformité en exigeant que les employeurs sous réglementation fédérale assument une responsabilité proactive quant à leur conformité aux lois du travail.

Commissaire à l’équité en matière d’emploi

RECOMMANDATION 2b)

La LEE modifiée devrait comprendre la nomination d’une personne au poste de commissaire à l’équité en matière d’emploi.

La nomination d’une personne au poste de commissaire à l’équité en matière d’emploi prendrait une valeur symbolique importante en augmentant la visibilité et l’importance de l’équité en milieu de travail, en plus de renforcer la nécessité de se conformer à la LEE et d'intensifier la défense de l’équité en matière d’emploi par une personne compétente. Cette nomination fournirait aussi un point de vue des plus nécessaires sur le fonctionnement du système d'équité en matière d'emploi, puisque cette personne serait en mesure de formuler en continu des recommandations à l'intention des autorités concernées relativement à des problèmes surgissant pendant la mise en œuvre.

Quant à l’objectif global d’harmoniser l'approche, cette nomination concorderait également avec l'approche adoptée pour les régimes de la LCA et de la LES.

Attributions adaptables concernant la conformité et l’application

RECOMMANDATION 2c)

La LEE modifiée devrait prévoir des attributions plus adaptables concernant la conformité et l'application inspirées de celles inscrites dans la Loi canadienne sur l'accessibilité et ses règlements et donner à l’organe de surveillance compétent une gamme complète de pouvoirs correctifs lui permettant d'imposer des sanctions en cas de non-conformité. Il faudrait donc des dispositions permettant ce qui suit :

  1. exiger que les employeurs inscrivent des mesures spéciales dans leurs plans d’équité en matière d’emploi pour combler les grands écarts de représentation selon les groupes professionnels et réagir aux difficultés particulières vécues par des sous-ensembles des groupes désignés; 
  2. exiger que les employeurs mettent en place des mécanismes de reddition de compte à l’intention des cadres supérieurs, y compris des objectifs de rendement relatifs à la mise en œuvre de leur plan d’équité en matière d’emploi et aux progrès réalisés;
  3. faire en sorte que les administrateurs généraux, soit les personnes occupant une fonction définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, reçoivent une rémunération au rendement seulement si leur organisation se conforme à la LEE;
  4. donner à l’organe de surveillance compétent le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires qui seront établies en fonction du degré de non-conformité et de la taille de l’employeur;
  5. permettre ou exiger la publication d’une liste des employeurs qui ne se conforment pas à la LEE; 
  6. permettre la publication d’une liste des dirigeants qui se conforment entièrement à la LEE dans leur domaine. 

Bien que la majorité des employeurs respectent certaines de leurs obligations touchant l’équité en matière d’emploi, la plupart ne respectent pas tout ce que la LEE en vigueur exige d'eux. Cette situation illustre l’écart qui subsiste entre la politique et le progrès, soit la différence entre l'adhésion à une philosophie ou à une culture prônant l’équité en matière d’emploi et la pratique de ne faire que le minimum exigé pour se conformer à la LEE. Le manque de mécanismes efficaces de reddition de comptes et de contrôle d’application dans la LEE a permis à cet écart de persister. 

Dans son rapport de 1984, la juge Abella a reconnu l’importance de l'application des lois. « Pour assurer l'égalité, il faut bien s'armer. II ne suffit pas de vouloir revendiquer les mêmes droits à moins de disposer des moyens de les faire respecter. Pour que l'égalité d'accès ne soit pas qu'une simple façade, il faut se doter des mécanismes nécessaires25 », comme elle l'a fait remarquer. Bien que la LEE en vigueur prévoit des mécanismes contraignants en cas de non-conformité, soit par la négociation d’engagements écrits de la part des employeurs et par des audiences devant les tribunaux, la CCDP invite le Groupe de travail à envisager une gamme améliorée et élargie d’outils visant à promouvoir et à imposer la conformité.

L’Évaluation stratégique des programmes d’équité en matière d’emploi de 2012 confirme également « l’importance d’un mécanisme de conformité rigoureux pour appuyer la mise en œuvre efficace des programmes d’équité en matière d’emploi ». À l'occasion de cette évaluation, l’examen du Programme légiféré d'équité en matière d'emploi (PLEME) et du Programme de contrats fédéraux (PCF) a révélé d’importantes lacunes sur le plan de la conformité, « les intervenants suggérant que les employeurs pourraient faire le minimum pour se conformer aux exigences du programme sous le PLEME et le PCF, jusqu’à ce qu’ils soient contraints à des vérifications ou des examens de conformité. On a également trouvé que les mécanismes d’exécution des obligations de rapport des employeurs du PLEME et de conformité d’ensemble des employeurs du PCF sont rarement appliqués26 ».

Depuis 1997, la CCDP a mené des centaines de vérifications de conformité dans les secteurs public et privé. La majorité des grandes organisations ont fait l’objet d'une vérification au moins deux ou trois fois. Au fil des ans, une constatation demeure, soit que peu importe l’approche choisie, la plupart des employeurs soumis à une vérification ne respectent pas toutes les exigences de la LEE, même s'ils risquent d'être soumis à une vérification subséquente.

Deux vérifications horizontales27  récentes ont reconfirmé cette constatation. En 2018, la CCDP a lancé une vérification horizontale sur la représentation des Autochtones dans le secteur bancaire et financier. Après avoir sondé 36 employeurs de ce secteur d'activités, elle a sélectionné 10 employeurs qui seraient soumis à la vérification. Aucun d’entre eux ne respectait entièrement ses obligations. 

En 2020, une autre vérification horizontale portant cette fois sur l’emploi des personnes handicapées a été réalisée auprès de 58 employeurs du secteur des communications. De ce nombre, 17 ont été soumis à une vérification complète. Cette fois encore, aucun des employeurs soumis à la vérification ne respectait toutes leurs obligations, mais seulement quelques-unes.

La CCDP recommande que le Groupe de travail analyse les exemples de régimes de conformité proactifs adoptés récemment – la LCA et la LES – pour des orientations sur des moyens d'améliorer les mécanismes de surveillance. Il pourrait et devrait être question, par exemple, d'envisager la création d'un poste de commissaire à l’équité en matière d’emploi (voir la recommandation précédente) et l'attribution d’une gamme complète de pouvoirs correctifs pour que des sanctions soient imposées en cas de non-conformité.

Mécanismes de reddition de compte améliorés

Obligation d’inclure les mesures spéciales dans le plan d’équité en matière d’emploi

Le terme « mesures spéciales » ne figure qu'à l’article 2 de la LEE en vigueur, mais sans définition. Ailleurs dans la LEE, c'est plutôt le terme « mesure ». La CCDP a interprété qu'une « mesure spéciale » pouvait être utilisée seulement dans les cas où un employeur échouait constamment à atteindre ses objectifs relatifs à l’équité en matière d’emploi ou à se conformer à la LEE. Les mesures spéciales permettent aux employeurs d'indiquer des préférences pour l'embauche de membres des groupes désignés lors de l’embauche; rien ne les oblige à prendre de telles mesures.

La LEE modifiée devrait préciser que le développement et la mise en place de mesures spéciales font obligatoirement partie du plan d’équité en matière d’emploi. L'employeur devrait être tenu d'élaborer des mesures spéciales, en consultation avec des membres du ou des groupes désignés visés, que ces personnes fassent partie ou non de son effectif, en vue de cerner et d'éliminer des obstacles à l'emploi, au maintien en poste et à l'avancement professionnel.

Dans le même ordre d'idées, lorsque les objectifs concernant l’équité ne sont pas atteints, la LEE modifiée pourrait obliger l'employeur à démontrer qu'il subirait une contrainte excessive s'il consacrait des efforts supplémentaire pour atteindre ces objectifs. Un employeur qui ne se conformerait pas à ces exigences serait considéré comme étant en non-conformité avec la LEE.

Reddition de comptes de la haute gestion

La LEE modifiée devrait exiger que les employeurs adoptent des mesures qui appuient la reddition de compte relativement à la mise en œuvre de leur plan d’équité en matière d’emploi. Il pourrait s'agir, sans s'y limiter, de faire en sorte que les ententes de rendement des cadres supérieurs prévoient explicitement une reddition de comptes concernant la mise en œuvre des plans d'équité en matière d'emploi et les progrès accomplis. D’autres dispositions pourraient faire en sorte que les administrateurs généraux, soit les personnes occupant une fonction définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, reçoivent une rémunération au rendement seulement si leur organisation se conforme à la LEE.

Sanctions conséquentes en cas de non-conformité

L’éducation, la promotion et des ressources de soutien sont des éléments importants d’une approche globale pour éliminer les inégalités en emploi, mais les employeurs soumis à une vérification sont peu motivés à respecter rapidement leurs obligations en vertu de la LEE s'il n'y a pas de conséquences importantes à leur non-conformité. La LEE modifiée devrait donner à l’organe de surveillance compétent une gamme complète de pouvoirs correctifs permettant d'imposer des sanctions renforcées en cas de non-conformité.

Parmi les mesures qui pourraient renforcer les outils d’exécution de la loi déjà prévus par la LEE, il y a notamment :

  • des sanctions administratives pécuniaires qui seront établies en fonction du degré de non-conformité et de la taille de l’employeur;
  • la publication d’une liste des employeurs qui ne se conforment pas à la LEE;
  • la publication d’une liste des dirigeants qui se conforment entièrement à la LEE dans leur domaine.

Sanctions administratives pécuniaires (SAP)

Le recours aux sanctions administratives pécuniaires se fonde sur la détermination des violations. Pour déterminer les violations, l’organe de surveillance compétent a besoin de critères qui serviront à mesurer le bilan d’un employeur. La CCDP invite le Groupe de travail à recommander que la LEE modifiée ou ses règlements, ou l'ensemble de ces textes de loi, prévoient des critères visant à mesurer la conformité dans les volets suivants :

  • l’établissement d’objectifs raisonnables pour l'équité en matière d'emploi et des initiatives prises concrètement pour atteindre ces objectifs – une façon de mesurer à quel point les moyens utilisés pour atteindre les objectifs sont à la hauteur du niveau d'efforts requis pour atteindre chacun de ces objectifs28;
  • les efforts raisonnables déployés par l'employeur pour mettre en œuvre son plan d’équité en matière d’emploi;
  • les efforts raisonnables pour suivre les progrès relatifs à la mise en œuvre du plan29;
  • les buts ou objectifs mis à jour ou les changements apportés en fonction des progrès réalisés relativement à la mise en œuvre du plan30;
  • la formation, la promotion et la communication visant les employés concernant la mise en œuvre du plan d’équité en matière d’emploi et les progrès réalisés à cet égard.

La CCDP recommande que la LEE modifiée établisse la norme qui servira à mesurer les efforts déployés par un employeur jusqu'à la limite de la contrainte excessive. Si l’organe de surveillance compétent détermine qu’un employeur n’a pas déployé les efforts raisonnables pour atteindre ses objectifs sans dépasser la limite de la contrainte excessive, on devra considérer que cet employeur ne se conforme pas à la LEE. Les sanctions administratives pécuniaires appropriées établies en fonction du degré de non-conformité et de la taille de l’employeur seraient inscrites dans les règlements de la LEE, calquées sur celles de la LCA et de ses règlements. Un employeur qui échouerait à mettre en œuvre un plan d’équité en matière d’emploi ou négligerait de le faire devrait recevoir des sanctions administratives pécuniaires.

Comme autre approche possible ou comme approche complémentaire à l’imposition de sanctions administratives pécuniaires, on pourrait mettre dans la LEE modifiée une disposition pour exiger que les employeurs non conformes financent divers programmes fondés sur l’équité en matière d’emploi dans leur organisation. Par exemple, un employeur qui n'aurait pas atteint ses objectifs de représentation dans les postes de gestion pourrait devoir élaborer et financer un programme de développement du leadership à l'intention du groupe sous-représenté. Si l'employeur ne réalise pas ces mesures de conformité, il pourrait se voir imposer une sanction administrative pécuniaire plus sévère. 

Incitation à la conformité et à la réalisation de progrès

La LEE en vigueur limite la capacité des organes de surveillance compétents de publier leurs principales constatations concernant la conformité d'un employeur à ses obligations liées à l’équité en matière d’emploi. Cependant, la CCDP estime qu’il serait très possible d'améliorer la conformité en attirant positivement l'attention sur les employeurs qui se conforment à la LEE, tout en révélant quels employeurs ne s'y conforment pas. Une telle approche pourrait être appliquée par la publication annuelle ou périodique de listes des employeurs qui se conforment entièrement à la LEE et des employeurs qui ne s'y conforment pas. Ces listes pourraient être subdivisées en fonction de volets précis de l'évaluation de la conformité et possiblement faire l'objet de renvois à des rapports de portée élargie sur les taux de conformité dans les secteurs d'activités. Cette approche pourrait avoir un effet considérable sur les efforts d'une organisation concernant l’équité en matière d’emploi en raison de l'image publique positive qu'elle pourrait avoir si elle se retrouvait dans une liste de leaders dans ce domaine.  

La CCDP recommande également que la LEE modifiée renforce la disposition énoncée à l’alinéa 42(1)(e) qui donne au ministre la responsabilité de mettre sur pied des programmes destinés à distinguer les employeurs du secteur privé qui se sont particulièrement signalés dans le domaine de l’équité en matière d’emploi. Elle invite le Groupe de travail à envisager des façons d’étendre et de renforcer cette disposition de manière à tirer parti de la promesse d'une publicité favorable pour tous les employeurs assujettis à la LEE.

Groupes désignés

Depuis l'adoption d'une loi sur l’équité en matière d’emploi en 1995, le profil démographique de la population active canadienne a beaucoup changé. Selon un rapport de recherche publié par le Centre canadien de politiques alternatives qui portait sur les écarts de revenus sur le plan racial, le Canada est l’un des pays les plus diversifiés au monde et la composition de sa population évolue constamment. Le recensement de 2016 a dénombré 7,7 millions de personnes racisées au Canada, ce qui représente 22 % de la population, soit une forte hausse comparativement à 16 % en 2006. Parmi les groupes racisés au Canada, le plus important est composé des personnes qui s’identifient comme Sud-Asiatiques, suivi de celles qui s’identifient comme d'origine chinoise et de celles qui s’identifient comme appartenant à la communauté noire. Ces trois groupes représentent un peu plus de 60 % de la population racisée du Canada31. La population de jeunes autochtones au Canada est très nombreuse et constitue une part grandissante de la population active. Une personne sur cinq au Canada (~22 %) vit avec un handicap ou une déficience. Les Canadiennes et les Canadiens restent plus longtemps sur le marché du travail. Le taux d’activité des personnes de 55 à 64 ans est passé d’un creux de 47,1 % en 1996 à 65,8 % en 201632. Comme le recensement de la population trans et non binaire est plus précis, on sait maintenant que les personnes de genre non binaire constituent presque 50 % de ce groupe. Les Néo-Canadiennes et Néo-Canadiens représentent un segment important et croissant de la population canadienne et ont des besoins particuliers qui leur sont propres en matière d’emploi, conditionnés de manière variable par des identités et facteurs intersectionnels. Selon les données publiées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, « [l]’immigration représente près de 100 % de la croissance de la population active au Canada. Environ 75 % de la croissance de la population canadienne est attribuable à l’immigration, principalement à la catégorie de l’immigration économique. D’ici 2036, les immigrants représenteront jusqu’à 30 % de la population canadienne, par rapport à 20,7 % en 201133 ».

À l'heure actuelle, l'idée que l'on se fait de la façon choisie par une personne ou un groupe pour définir ses identités ne concorde pas avec l’approche utilisée dans la loi en vigueur pour définir les groupes méritant l’équité.

Étant donné que les groupes méritant l’équité se font entendre de plus en plus grâce aux mouvements de défense des droits, aux stratégies de participation inclusive et à l'évolution des normes sociales, la manière de considérer et de définir les groupes désignés devra démontrer une réaction plus adaptée aux situations particulières qui font subir un désavantage en emploi aux personnes ayant des identités intersectionnelles.

La redéfinition des groupes désignés actuels et les appels réclamant l'ajout de groupes désignés sont des mesures importantes pour rendre la LEE plus inclusive et adaptée aux besoins des personnes qui se heurtent à des obstacles à l’emploi. Cependant, le processus choisi pour déterminer comment ces groupes seront identifiés et définis est tout aussi, sinon plus, important.

Dans des sections précédentes du présent mémoire, il a été question de l’importance d'une participation inclusive et continue qui serait fondée sur les principes d’accessibilité, de décolonisation et d'antiracisme. Il faut absolument une approche fondée sur ces principes pour comprendre à quel point la reconnaissance et la définition des groupes méritant l’équité en matière d’emploi peuvent en fin de compte répondre à leurs besoins et contribuer à éliminer les obstacles à l’emploi.

Redéfinition des groupes désignés existants

RECOMMANDATION 3a)

La LEE modifiée devrait redéfinir et subdiviser les quatre (4) groupes désignés existants pour mieux refléter : 

  1. les groupes particulièrement touchés, comme la communauté noire;
  2. une approche fondée sur les distinctions relativement aux peuples autochtones (en constituant des groupes distincts pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits);
  3. la variété des expériences vécues par les personnes handicapées, en concordance avec le degré de détails relevé dans l’Enquête canadienne sur l'incapacité;
  4. la diversité et les identités intersectionnelles des personnes qui forment les groupes existants.

En plus ou en lieu et place, l’article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (intitulé Programmes de promotion sociale) pourrait être intégré par renvoi à la LEE modifiée pour tenir compte des circonstances et besoins des groupes particulièrement touchés. 

Personnes en situation de handicap 

Les personnes en situation de handicap devraient bénéficier d’une nouvelle loi moderne qui est harmonisée en vue de rendre leurs expériences en milieu de travail plus faciles et non plus difficiles. La LCA est une loi sans précédent qui a permis au Canada de tenir ses engagements internationaux et qui exige un suivi international. La LEE modifiée devrait à tout le moins compléter, et idéalement égaler, ce degré de réalisation des engagements et des suivis internationaux, tout en veillant à ce que les employeurs puissent plus facilement respecter leurs obligations et réaliser des progrès, puis de faire rapport à ce sujet, en vertu de chacun de ces trois textes de loi.

Il est bien connu que la « communauté des personnes handicapées » est composée de personnes qui ont un vaste éventail de points de vue et d'expériences de vie impossibles à résumer dans une seule définition. Les personnes ayant différents types de handicaps se heurtent à différents types d'obstacles à une pleine participation à la société. Certains handicaps sont visibles, alors que d’autres ne le sont pas. Certains handicaps sont largement méconnus, tandis que d’autres attirent plus de stigmatisation sociale. L'expérience que vit une personne devant des obstacles dépend aussi de ses identités intersectionnelles, découlant notamment de sa race, de son âge et de son identité de genre, ainsi que de sa situation socioéconomique. La LEE modifiée devrait refléter cette diversité d’expériences vécues en subdivisant l'actuelle catégorie attribuée aux personnes handicapées. La CCDP recommande que le Groupe de travail s'inspire de l'Enquête canadienne sur l'incapacité.

Comme la CCDP l’a déjà souligné, il faut pousser la recherche pour mieux comprendre les répercussions du handicap sur la participation au marché du travail. Par exemple, nous constatons que la discrimination et ses répercussions sur le cheminement de carrière d’une personne peuvent varier selon la nature et la sévérité du handicap. Il faudrait d’autres études pour nous aider à mieux comprendre ce que ces personnes vivent. Un complément de recherche s’imposerait si on veut mieux comprendre, d'une part, les répercussions à long terme de la discrimination, de la stigmatisation et du harcèlement en milieu de travail pour les personnes handicapées et, d'autre part, comment cela nuit à la stabilité de l'emploi à long terme et à l'avancement professionnel34.

La LEE modifiée doit inclure des moyens d’évaluer les conditions de travail des personnes handicapées, comme l'ajout de sondages sur le bien-être en milieu de travail dans la gamme d'outils perfectionnés utilisés par l'employeur pour la collecte de données. Le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux (SAFF) pose des questions sur les expériences de discrimination des employés et sur leur bien-être en milieu de travail, afin d'obtenir des réponses sur la façon dont l’accessibilité et les mesures d'adaptation sont liées à chacun de ces enjeux. L’obligation d’intégrer des sondages semblables (mais plus ciblés) aux plans d’équité en matière d’emploi pourrait fournir aux employeurs et aux organes de surveillance compétents de précieux renseignements sur ce que les personnes ayant différents types de handicaps vivent en emploi et comment les identités intersectionnelles de ces personnes peuvent aussi agir sur leurs expériences.

Bien entendu, si on cherche à étendre et élargir la définition du handicap dans le contexte de la LEE, le principe du « rien sans nous » doit demeurer au cœur du processus.

Groupes autochtones

Fait largement reconnu, le terme anglais « Aboriginal » – soit « Autochtone » en français – devrait être remplacé par le terme « Indigenous ». Cependant, pour définir le terme « Indigenous », il faudra adopter une approche fondée sur les distinctions qui sera plus approfondie pour garantir que les droits, les intérêts et les circonstances uniques des Premières Nations, des Inuits et des Métis seront reconnus, affirmés et mis en œuvre. Bien entendu, la même approche devrait servir à moderniser la définition du terme « Autochtone » dans la version française de la LEE modifiée.

En ce qui a trait à la manière de définir le terme « Autochtones » dans le contexte de l’équité en matière d’emploi, la CCDP souligne l'importance de tenir compte du fait que les communautés autochtones se sont heurtées de diverses manières à des obstacles multiples, intergénérationnels et systémiques dans le domaine de l'emploi, notamment un génocide culturel, des traumatismes intergénérationnels, les troubles liés à la consommation de substances, la pauvreté, l’accès limité aux établissements de soins de santé et le traitement discriminatoire subi dans ces établissements, l’accès limité à des possibilités équitables d’éducation et d’emploi, des situations d’insécurité alimentaire et des taux élevés d'incarcération.

Bien entendu, il est impossible de définir correctement ces termes sans la pleine participation des Autochtones, aussi bien les ayants droit et les défenseurs que les dirigeants de leurs communautés.
La LEE contient une disposition qui vise à améliorer les occasions d’emploi pour les Autochtones, soit l’article 7. La LEE modifiée devrait peaufiner cet instrument inefficace qui permet actuellement aux employeurs « du secteur privé dont les activités sont principalement axées sur la promotion des intérêts des autochtones » de « n’employer que des [A]utochtones ou leur donner la préférence à l’embauche sauf si cette pratique est jugée discriminatoire sous le régime de la [LCDP] ».

Bien que l'idée d'embauche préférentielle soit louable, cette disposition traite les Autochtones comme un groupe informe. Dans la pratique, elle empêche souvent l'embauche ciblée des personnes qu’elle était censée aider. Un exemple des plus courants de cette situation est que des conseils de bande des Premières Nations qui veulent embaucher de préférence des membres de leur propre communauté ne peuvent pas le faire aux termes de l’article 7 de la LEE. Ils doivent plutôt mettre en œuvre un programme de promotion sociale en vertu de l’article 16 de la LCDP. 

Travailleuses et travailleurs noirs et racisés 

De tous les changements nécessaires concernant les groupes désignés, le plus évident est peut-être celui qui viendra nécessairement corriger le terme « minorité visible », un terme désuet et vague (et offensant selon certaines personnes). Bien sûr, il sera difficile de parvenir à un consensus sur la manière de choisir d'autres termes, mais cette question est déjà débattue depuis un certain temps.

Statistique Canada a déjà lancé différentes études pour connaître les écarts en matière d’emploi et de salaire dans les groupes désignés, calculés d'après des données désagrégées. Parmi les principales conclusions de ces études plus détaillées sur les expériences des divers groupes racisés dans le domaine du travail et de l'emploi, il y a le fait que de ne pas pouvoir brosser un tableau de la situation en emploi grâce à des données désagrégées et intersectionnelles masque les obstacles sur la route de certains groupes et contribue à faire durer la discrimination systémique en emploi envers ces groupes. Par exemple, la LEE modifiée devrait reconnaître les groupes particulièrement touchés, comme la communauté noire, et exiger des mesures correctives pour eux. Comme nous l’avons déjà souligné, il est impossible de définir correctement ces termes sans la pleine participation des personnes noires et racisées, aussi bien les ayants droit et les défenseurs que les dirigeants de leurs communautés.

En réaction aux limites de la LEE dans la fonction publique, le gouvernement a récemment chargé la Commission de la fonction publique de proposer des modifications aux règlements de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour favoriser l’embauche de personnes membres d’autres groupes désavantagés (comme les sous-groupes de l'équité en matière d'emploi et d’autres groupes méritant l’équité), désignés par un programme de promotion sociale mis en œuvre en vertu de l’article 16 de la LCDP. La CCDP a incité les employeurs sous réglementation fédérale à se servir de l’article 16 de la LCDP pour atteindre leurs objectifs concernant l’équité en matière d’emploi35.

Genre et inclusion

Diversité de genre et inclusion

Notre compréhension de l’identité de genre a grandement progressé depuis l'adoption des textes de loi sur l’équité en matière d’emploi. Une conception binaire du genre dans le contexte de l’accès à l’emploi et des résultats d’emploi est maintenant désuète. La LEE modifiée devra refléter une compréhension moderne de la diversité de genre et des identités intersectionnelles dans une population active comportant une diversité de genres.

Égalité entre les hommes et les femmes

Comparativement aux hommes, les femmes sont encore celles qui assument le plus de responsabilités de proche aidance pour la famille, qui travaillent le plus souvent à temps partiel et qui sacrifient le plus d’heures de travail de leur emploi à plein temps pour prendre soin de quelqu'un. Tout cela a des répercussions négatives sur leur participation pleine et égale au marché du travail. 

La LEE en vigueur ne comprend aucune disposition qui inciterait les employeurs à mettre en place des régimes de travail flexibles pour éliminer des obstacles qui nuisent à la pleine participation sur le marché du travail des femmes qui sont les principales responsables des soins aux enfants ou aux membres âgés de leur famille. Ces régimes sont particulièrement importants pour les mères noires, racisées et autochtones puisque ces groupes se trouvent souvent dans des situations d’emploi précaire. Les allocations limitées pour congés de proche aidance, les exigences relatives au travail par quarts et le manque généralisé de flexibilité des régimes de travail sont tous des facteurs contribuant à empêcher les mères qui travaillent de profiter de beaucoup d’occasions en emploi. 

Durant le processus d'examen de la LEE, il faut étudier avec attention comment la situation changeante dans le domaine de l’emploi a eu des conséquences sur les expériences des femmes relativement aux obstacles à l’emploi et comment les répercussions intersectionnelles sont vécues différemment par les femmes qui composent ce segment diversifié de la population.

Ajout de groupes désignés

RECOMMANDATION 3b)

La LEE modifiée devrait inclure d’autres groupes désignés de manière à refléter l’évolution démographique au Canada et à reconnaître les travailleuses et travailleurs en sous-représentation. 

En plus ou en lieu et place, l’article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (intitulé Programmes de promotion sociale) pourrait être intégré par renvoi à la LEE modifiée pour tenir compte des circonstances et besoins des groupes particulièrement touchés.

La CCDP croit fermement que la liste actuelle des groupes désignés doit être renouvelée et élargie. Même si des changements nécessaires ont reçu beaucoup d'attention et sont attendus depuis longtemps par la plupart des personnes, certains volets de cette tâche requièrent recherche, participation et collaboration en continu. Cette tâche représente aussi une occasion de faire preuve de créativité et d'analyser d'autres méthodologies et outils susceptibles d'intégrer une approche plus globale visant à comprendre les obstacles qui empêchent les groupes méritant l’équité à jouir pleinement de leur droit à l'emploi. Il s’agirait d’un modèle exploitant les données à la fois qualitatives et quantitatives pour mieux mettre en lumière les expériences en emploi des personnes que la LEE doit protéger. 

Selon la CCDP, les ayants droit, les défenseurs et les dirigeants des communautés sont les personnes les mieux à même de donner leur avis sur la manière de redéfinir les groupes désignés existants et sur les groupes à ajouter. Comme nous l’avons déjà souligné dans le présent mémoire, le fait de comprendre ce que vivent les personnes et les groupes qui se heurtent à des obstacles systémiques à l’emploi permettra d'avoir une vision plus complète et juste des limites et des lacunes des textes de loi en vigueur, y compris en ce qui a trait à la désignation des groupes méritant l’équité.

Champ d’application

« L'idéal serait que toutes les entreprises ou sociétés sous compétence fédérale ou provinciale soient soumises à des lois d'équité en matière d'emploi, tout comme elles sont assujetties à des lois antidiscriminatoires. Les entreprises qui passent des marchés avec le gouvernement fédéral, étant obligées par la loi à pratiquer l’équité en matière d'emploi, n'auraient donc pas à s'y engager par contrat. » 

— La juge Rosalie Abella, Rapport de la Commission royale sur l'égalité en matière d’emploi

RECOMMANDATION 4

La LEE modifiée devrait avoir une portée élargie afin de couvrir le plus grand nombre possible de personnes travaillant au Canada et devrait :

  1. avoir un champ d’application plus large pour inclure les employeurs sous réglementation fédérale comptant au moins 10 employés, en imposant des obligations de base pour les effectifs de 10 à 99 employés;
  2. avoir une disposition qui consacre un engagement du gouvernement fédéral à soutenir les provinces qui mettent en œuvre leurs propres initiatives d’équité en matière d’emploi;
  3. faire à nouveau mention du Programme de contrats fédéraux (PCF) dans la LEE et abaisser le seuil pour les contrats de biens et de services couverts par le PCF;
  4. rétablir les exigences en vigueur avant 2013 pour les employeurs dont les contrats sont couverts par le PCF et décréter que le renouvellement d'un contrat ou l'inscription d'un employeur au PCF dépend du respect des exigences établies pour l’équité en matière d’emploi;
  5. couvrir le personnel du Sénat, de la Chambre des communes et de la Bibliothèque du Parlement;
  6. décréter que l'accès à des fonds fédéraux et aux programmes de subvention dépend du respect des normes établies d'équité en matière d'emploi.

Inclusion des plus petits employeurs

La LCA et la LES s’appliquent aux employeurs sous réglementation fédérale ayant un effectif d'au moins 10 employés. Du point de vue de l'analyse des données, il serait difficile d’appliquer le même seuil en vertu de la LEE modifiée. De plus, les calculs faits à partir d'aussi petits effectifs pourraient donner de très petits écarts de représentation des groupes désignés.

Cependant, il serait possible d’appliquer un cadre simplifié comprenant moins d’exigences pour les plus petits employeurs (de 10 à 99 employés). Par exemple, la LEE modifiée pourrait obliger ces employeurs à recueillir des données de déclaration volontaire, à élaborer des politiques sur l’équité en matière d’emploi et sur les mesures d’adaptation, à consulter les représentants des employés et à faire rapport sur leurs progrès en vue de réaliser l’équité en matière d’emploi.

Collaboration entre les administrations publiques

La LEE en vigueur ne protège qu’une petite partie de la population active du Canada, soit environ 12 %. La majorité de la main-d'œuvre canadienne occupe un emploi dans les secteurs d'activités sous réglementation provinciale ou territoriale.

Parmi les provinces et territoires, seul le Québec a mis en place des programmes d'égalité en emploi qui sont semblables à la LEE. Ces programmes sont appliqués par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. L’article 23 de l’Accord du Nunavut établit des obligations concernant l’équité en matière d’emploi qui visent à « accroître, à un niveau représentatif, le nombre d'Inuit qui occupent un emploi au gouvernement dans la région du Nunavut ». Toutefois, le manque d'uniformité entre les différents textes de loi et programmes relatifs à l’équité en matière d’emploi dans l'ensemble du Canada fait ressortir l’importance d’une législation fédérale relative à l'équité en matière d’emploi qui soit rigoureuse et efficace. Un régime fédéral solide peut servir d’exemple aux provinces et territoires et renforcer l'appui du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux et territoriaux qui entreprennent des initiatives visant à légiférer sur l’équité en matière d’emploi.

Un point important que le Groupe de travail devrait considérer est la manière de modifier la LEE pour qu'elle soutienne la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en vue de favoriser et mettre en œuvre des politiques et programmes concernant l’équité en matière d’emploi dans l’ensemble des administrations publiques. Par exemple, la LEE modifiée pourrait avoir une disposition qui enchâsserait l'engagement du gouvernement fédéral à appuyer les initiatives des provinces et territoires relativement à l’équité en matière d’emploi.

Inclusion du personnel du Sénat, de la Chambre des communes et de la Bibliothèque du Parlement

En 2002, la CCDP a présenté un mémoire au Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées qui procédait à l'examen de la LEE. Elle y recommandait que les membres du personnel du Sénat, de la Chambre des communes et de la Bibliothèque du Parlement soient couverts par la LEE. Bien que cette mesure ne permettrait pas un élargissement notable de la portée de la LEE, le fait d'ajouter ce segment, important malgré sa petite taille, de l'effectif fédéral aurait une importante valeur symbolique. Il est à noter que ces entités et leur personnel sont expressément assujettis à la LCA.

Modifications au Programme de contrats fédéraux (PCF)

À la suite d’un examen stratégique de la LEE en 2012, certaines exigences imposées aux employeurs du PCF ont été supprimées. En outre, le seuil des contrats de biens et services visés par le PCF est passé de 200 000 $ à 1 000 000 $. De plus, les exigences du PCF ont été réduites à 4 éléments clés : enquêter sur la main-d’œuvre, effectuer une analyse de l’effectif, établir des objectifs, déployer des efforts raisonnables pour réaliser des progrès raisonnables36.

On se donnerait la possibilité d’augmenter considérablement le nombre de travailleuses et travailleurs qui seraient couverts par la LEE si on rétablissait la référence au Programme de contrats fédéraux (PCF) dans la LEE et si on réduisait le seuil pour les contrats de biens et de services couverts par le PCF. De plus, les politiques sur l’équité en matière d’emploi auraient des effets plus grands chez les employeurs qui obtiennent des contrats du gouvernement fédéral si on rétablissait les exigences que le PCF imposait avant 2013. En particulier, si l'exigence d'effectuer un examen des systèmes d’emploi (ESE) était rétablie, on annulerait ainsi une mesure qui a considérablement affaibli le programme. L’ESE constitue essentiellement l’étape de la détermination des problèmes et, si rien n'oblige un employeur à déterminer les écarts et les obstacles avant d'établir ses objectifs pour l’équité en matière d’emploi, cet employeur est privé de l’outil le plus efficace pour mettre en œuvre un bon plan d’équité en matière d’emploi et réaliser des progrès concrets concernant la représentation des groupes désignés.

Selon l'évaluation stratégique de la LEE effectuée en 2012, l'« absence de mécanismes permettant de suivre les progrès du PCF dans la mise en œuvre des exigences du programme a été identifiée comme une lacune importante37 » quand on veut mesurer l'efficacité du programme en évaluant les résultats obtenus concernant l’équité en matière d’emploi. Cependant, les modifications apportées par la suite ont limité encore plus les exigences que devaient respecter les employeurs ayant obtenu des contrats couverts par le PCF. De l'avis de la CCDP, la LEE modifiée devrait rétablir les exigences pour le PCF en fonction des normes qui étaient imposées avant 2013, en y ajoutant des dispositions supplémentaires visant à réduire la valeur monétaire minimum des contrats de biens et services couverts par le PCF.

Cet avis se retrouve aussi dans les Observations finales concernant le Rapport du Canada valant 21e à 23e rapports périodiques, publiées en septembre 2017 par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Le Comité jugeait préoccupant que « les modifications apportées au règlement fédéral sur l’équité en matière d’emploi aient limité la portée du mécanisme destiné à s’assurer que les bénéficiaires de marchés publics respectent les droits du travail38 ». Faisant allusion au PCF, le Comité a recommandé au Canada d'« améliorer le mécanisme destiné à s’assurer que les employeurs respectent les conditions en matière de droits du travail énoncées dans le règlement fédéral sur l’équité en matière d’emploi39 ».

Programmes fédéraux de financement ou de subvention assortis d'engagements à réaliser l’équité en matière d’emploi

Les programmes de financement du gouvernement fédéral s'adressent aux secteurs d'activités et aux industries qui emploient un grand nombre de personnes non couvertes par la législation sur l’équité en matière d’emploi. Il serait très possible d’élargir le champ d’application des normes et principes fédéraux relatifs à l‘équité en matière d’emploi en associant des exigences à l'allocation de subventions fédérales. Par exemple, pour obtenir une subvention dépassant le seuil établi à un certain montant, un employeur devrait obligatoirement se conformer aux exigences relatives à l’équité en matière d’emploi, et le renouvellement du financement serait conditionnel aux progrès mesurés d'après des indicateurs déterminés concernant l'équité en matière d'emploi.

Collecte de données et production de rapports

Le questionnaire détaillé du recensement canadien est un outil précieux pour la collecte de renseignements que nous pouvons utiliser pour comprendre l’évolution démographique de la population canadienne en âge de travailler. Bien que ce questionnaire présente certaines limites sur le plan de la collecte de données désagrégées significatives et utiles, les prochaines versions pourraient combler certaines de ses lacunes inhérentes. Cependant, la CCDP recommande au Groupe de travail d'envisager d'ajouter à la LEE modifiée des exigences concernant la collecte de données qualitatives pour mieux mettre en lumière les expériences vécues par les personnes que la LEE vise à protéger.

De plus, pour qu'il soit un élément efficace du cadre moderne des droits de la personne, un système modifié de l'équité en matière d'emploi doit exiger davantage que des rapports annuels sur les variations de données statistiques relatives à la représentation, de sorte que ces rapports fournissent une compréhension plus globale de l’équité dans le secteur privé sous réglementation fédérale et dans la fonction publique fédérale au moyen d'un ensemble élargi d’indicateurs et de sources de données. La prise de mesures destinées à améliorer les rapports publics peut aussi appuyer le débat public sur l’équité, la diversité et l’inclusion40.

La CCDP a entendu des témoignages selon lesquels les personnes qui portent plainte pour discrimination alléguée en vertu de l'article 10 de la LCDP se heurtent à un obstacle quand elles veulent obtenir des données d'emploi pertinentes. Cette difficulté est en partie due au fait que les données compilées en conformité avec la LEE ne sont souvent pas rendues publiques. De plus, si jamais une plaignante ou un plaignant y a accès, les données sont généralement inutile parce qu’elles sont agrégées par groupe désigné selon la LEE, alors que les plaintes pour discrimination systémique déposées en vertu de la LCDP allèguent habituellement de la discrimination commise contre un segment d'un groupe désigné, par exemple les personnes noires dans l'effectif. En plus de faciliter la réalisation de l’équité en matière d’emploi grâce à des modifications à la LEE, la collecte de données désagrégées et la production obligatoire de rapports publics contribueraient à éliminer cet obstacle à l’accès à la justice en matière de droits de la personne pour les travailleuses et travailleurs méritant l’équité qui cherchent à obtenir réparation après avoir subi de la discrimination individuelle ou systémique en emploi. 

RECOMMANDATION 5a)

La LEE modifiée devrait exiger une collecte de données renforcée et moderne nécessitant :  

  1. l'intégration de méthodes et d'outils de collecte visant à recueillir des données qualitatives sur les expériences en emploi des membres des groupes désignés;
  2. le renforcement des méthodes visant à recueillir des données quantitatives qui reflètent la diversité et l’intersectionnalité dans les groupes désignés; 
  3. l'adaptation des méthodes de collecte afin que les données utilisées tiennent compte de prévisions raisonnables des changements démographiques plutôt que d'être fondées ou calquées sur des chiffres non à jour provenant de données désuètes;
  4. la collecte de données sur la représentation et les expériences des groupes non désignés, ce qui pourrait guider de futurs examens de la LEE et soutenir d’autres programmes ou initiatives visant l’équité.

Méthodes renforcées de collecte de données

Solutions aux freins à l’auto-identification

En 2010, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a recommandé que le gouvernement fédéral mène une étude systémique à l’échelle de l’administration fédérale pour savoir pourquoi les fonctionnaires fédéraux omettent de s’identifier comme membres d’un groupe désigné41. Le Comité a réitéré cette recommandation dans son rapport de 2013 sur l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique fédérale, en y précisant que la fonction publique fédérale continue ses efforts relativement à cette étude42.

La CCDP estime elle aussi qu'il faut des initiatives visant à trouver des solutions aux freins à l’auto-identification des membres de la fonction publique, et elle souligne l’importance de fournir les mêmes outils et ressources aux autres employeurs sous réglementation fédérale pour soutenir les efforts qu'ils déploient à améliorer l'efficacité du processus d’auto-identification utilisé pour recueillir des données sur l’équité en matière d’emploi.

De nombreuses personnes faisant partie des groupes méritant l’équité hésitent à s’auto-identifier pour une foule de raisons, dont beaucoup prennent racine dans la crainte de devenir une cible d'actes discriminatoires si les autres perçoivent qu'elles peuvent ou doivent avoir un « traitement spécial », ce qui serait à l'opposé de l'effet recherché.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a rapporté que de nombreuses personnes ayant comparu devant lui ont dit craindre que les groupes méritant l’équité hésitent souvent à participer aux sondages d’auto-identification parce qu’ils craignent que cette information soit utilisée contre eux s’ils tentent d’obtenir une promotion ou une autre nomination43.

Méfiantes à l'égard des systèmes et des institutions qui ont toujours été source d’oppression, certaines personnes se demandent ce qu'on fera avec l'information relative à leurs identités personnelles et comment cette information pourrait être utilisée pour leur nuire. Ces questions sont particulièrement pertinentes pour les personnes handicapées, les Autochtones de même que les membres des communautés noires et des autres communautés racisées, lesquels ont été systématiquement opprimés en raison de leur appartenance à ces communautés. L’identité autochtone a été utilisée contre les Autochtones en accordant des avantages à ceux et celles qui choisissaient « l’émancipation » et en opprimant ceux et celles qui choisissaient de garder leur identité autochtone. D'autres personnes peuvent avoir des craintes semblables, comme des membres de communautés qui ont subi du racisme institutionnel et des traumatismes intergénérationnels.

Des études dans ce domaine ont permis de dégager et de proposer quelques solutions à ce qui freine les processus d’auto-identification aux fins de l’équité en matière d’emploi. La plupart de ces solutions requièrent des initiatives visant à favoriser la sensibilisation et à soutenir les principes d’équité, de diversité, et d’inclusion au sein d'une organisation. D’autres suggèrent de fournir de multiples méthodes et procédés anonymes pour permettre aux employés de s'auto-identifier en ayant des garanties sur la confidentialité des données ainsi recueillies et, en complément, de faire connaître les avantages de l’auto-identification, comme les effets positifs de ces données sur l'organisation et sur les groupes méritant l’équité au sein de son effectif. D’autres encore soulignent l’importance d'un solide programme de sensibilisation et de formation continues sur l’équité, la diversité et l’inclusion à l'intention de l'ensemble du personnel. 

Comme autre point important à prendre en compte si on veut mettre fin au problème de l’hésitation à s’auto-identifier, il y a le rôle des mentors et des dirigeants et des dirigeantes de confiance qui peuvent amener les employés à avoir confiance que l’employeur respectera son engagement à améliorer les conditions de travail des groupes méritant l’équité. Si la LEE était modifiée de manière à soutenir les programmes de mentorat et de développement du leadership destinés aux travailleuses et travailleurs des groupes désignés, elle mettrait en évidence l’engagement d’une organisation à l'égard d'une culture de travail qui tient à ces principes.

Malgré ce qui précède, les employés et employées sont les plus importantes sources d’information dont dispose un employeur pour savoir ce que les membres de son personnel pensent de l’auto-identification. Par conséquent, la CCDP souligne l’importance d’aborder cette question dans les sondages menés auprès du personnel, dont les résultats 

Prévision de la représentation dans la population active et dans les effectifs

Les employeurs déterminent habituellement la disponibilité des groupes désignés sur le marché du travail en fonction des renseignements fournis par le ministre du Travail. Ces renseignements sont normalement tirés des données du recensement. Étant donné l'intervalle de cinq ans entre chaque recensement, les employeurs calculent les écarts de représentation en fonction de données de disponibilité qui ne sont pas à jour et qui ne tiennent pas compte de l'augmentation continuelle de la participation des groupes désignés au marché du travail. On pourrait faire des projections relatives aux taux estimés de disponibilité sur le marché du travail en calculant l’augmentation (en pourcentage) des taux estimés de disponibilité entre les recensements. Bien qu'imparfaite, cette approche serait plus équitable puisqu’elle donnerait une appréciation plus juste de la composition du marché du travail en temps réel.

Collecte de données qualitatives

Peu importe les avantages potentiels à tirer de méthodes améliorées de collecte de données quantitatives, cette approche ne tient pas compte du projet, beaucoup plus ambitieux et crucial, visant à mettre en lumière les expériences vécues en emploi par les groupes méritant l’équité. Ce sont les données qualitatives recueillies à l’aide de témoignages sur les expériences vécues qui permettent de comprendre les répercussions qu'ont les identités d’une personne ou d’un groupe en ce qui concerne leur emploi. Les questions qui génèrent des données sur ce qu'une personne vit en milieu de travail sont beaucoup plus susceptibles de nous aider à comprendre globalement les nombreux obstacles à l’équité, nouveaux ou historiques, que les groupes méritant l’équité rencontrent une fois qu’ils font partie de l'effectif.

Si on veut bien comprendre l’équité en matière d’emploi dans la main-d'œuvre fédérale, il faut une gamme élargie d’outils et des méthodes améliorées de collecte de données. L’alinéa 9(1)a) de la LEE précise les obligations de l'employeur concernant la collecte et l'analyse des renseignements sur son effectif afin de déterminer où se trouve la sous-représentation des groupes désignés dans chaque catégorie professionnelle. L’alinéa 9(1)b) porte sur les obstacles qui sont ancrés dans les propres systèmes, politiques et pratiques d’emploi de l'employeur. La collecte de données exclusivement quantitatives limite la capacité de l'employeur à comprendre ce que les systèmes, politiques et pratiques font vivre aux groupes désignés, de même que le désavantage qui en découle. Des données qualitatives fiables peuvent aider à déterminer les questions susceptibles de trouver réponse grâce à une étude des systèmes d’emploi (ESE) approfondie, un outil puissant permettant de comprendre la situation de l’équité en matière d’emploi chez un employeur, mais sous-utilisé en ce moment en raison d'un manque de normes claires. 

Heureusement, les données relatives aux expériences vécues sont de plus en plus nombreuses grâce à de nouvelles études remarquables. Par exemple, en 2019, Trans PULSE Canada a fait appel à la participation populaire pour mener le premier sondage national du Canada sur le vécu des personnes transgenres et non binaires44. Fait à noter, presque la moitié des personnes participantes se sont identifiées comme non binaires. Les membres de cette communauté de jeunes non binaires vivent des difficultés très particulières au sein des systèmes sociaux et juridiques, qui ne reconnaissent souvent que deux genres binaires encore aujourd'hui45.

La CCDP invite le Groupe de travail à s’inspirer des tendances actuelles et émergentes dans le domaine des méthodes de recherche en vue d'atteindre son objectif d'utiliser autre chose que des rapports annuels sur les variations statistiques des taux de représentation pour présenter une conception plus globale de l’équité dans le secteur privé sous réglementation fédérale et dans la fonction publique fédérale, au moyen d'un ensemble élargi d’indicateurs et de sources de données.

Collecte de données sur la représentation et les expériences des groupes non désignés

La CCDP recommande que le Groupe de travail analyse des façons de modifier la LEE pour permettre aux employeurs et aux organes de surveillance de mieux comprendre les obstacles à l’emploi que rencontrent les personnes et les groupes non désignés dans la LEE. Pour y parvenir, il faudra peut-être recueillir des données relatives aux situations causant un désavantage qu'il n'est pas facile de catégoriser dans le contexte de leur intersection avec les identités des groupes désignés. Par exemple, un grand nombre de travailleuses et de travailleurs qui ne font pas partie des groupes désignés peuvent se heurter à des obstacles qui les empêchent d’obtenir ou de garder un emploi en raison d’un ou de plusieurs facteurs liés à des responsabilités de proche aidance, au statut d’étudiant ou à d'autres situations socioéconomiques. Il faut recueillir des données relatives à ces obstacles si on veut avoir un portrait global de la population active, tant à l’échelle d’un seul employeur qu'à l'échelle de tout un secteur d'activités. Dans les sondages qui pourraient recueillir ce genre de données, des questions sur les expériences en emploi aideraient à déterminer les cas susceptibles de nécessiter davantage de mesures de soutien, mais aussi aider à évaluer en continu si la liste actuelle des groupes désignés est à jour.

RECOMMANDATION 5b)

La LEE modifiée devrait renforcer les obligations des employeurs relatives à la production annuelle de rapports publics sur les progrès réalisés (soit la réduction ou l'élimination des écarts de représentation) au cours de l’année précédente.

RECOMMANDATION 5c)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à faire rapport sur les données relatives aux expériences vécues en emploi par leurs employés qui font partie des groupes méritant l’équité, faisant de ces données un élément essentiel de l'étude de leurs systèmes d'emploi.

RECOMMANDATION 5d)

La LEE modifiée devrait exiger la création officielle de comités d’équité en matière d’emploi – qui comprendraient des membres des communautés méritant l’équité – et prévoir leur rôle concernant les obligations de production de rapports.

RECOMMANDATION 5e)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à périodiquement consulter ou questionner des membres des groupes sous-représentés qui ne font pas partie de leur effectif pour se renseigner sur les obstacles à l'emploi dans leur organisation afin de guider la mise en œuvre et l'évaluation de leurs mesures spéciales.

Élargissement requis de la gamme de mécanismes de production de rapports

La CCDP partage l'avis du Groupe de travail concernant sa remarque dans son document de consultation de février 2022 voulant qu’après 35 ans de mise en œuvre de l'équité en matière d'emploi au Canada, le cadre de la LEE met l'accent sur l'achèvement des rapports, plutôt que sur les progrès réels des employeurs dans la mise en œuvre et la réalisation de l'équité en matière d'emploi. À l'heure actuelle, les obligations relatives aux rapports n'imposent pas formellement aux employeurs de mesurer leurs progrès concernant l'atteinte de leurs objectifs d’équité en matière d’emploi ou de faire rapport à ce sujet. Il s’agit d’une lacune importante de l’actuel cadre fédéral d’équité en matière d’emploi. 

Par exemple, le paragraphe 18(1) de la LEE énonce les exigences relatives aux rapports annuels que les employeurs du secteur privé doivent déposer. Toutefois, il n'exige pas que les employeurs fassent rapport sur les progrès qu'ils ont réalisés dans l’année précédant le rapport. Selon la CCDP, il s’agit d’une omission majeure : malgré la disponibilité immédiate des données sur les résultats générés par les efforts déployés par un employeur pour augmenter la représentation dans son ensemble, d'une part, et sur les progrès réalisés concernant des indicateurs plus circonscrits comme la représentation dans certains échelons de l'organisation, d'autre part, les employeurs n’ont aucune obligation de les inclure dans leurs rapports. Le paragraphe 18(1), ou le paragraphe apparenté 18(6), pourrait être modifié pour renforcer ou élargir les exigences de sorte que les rapports présenteraient les renseignements sur la mise en œuvre des plans d’équité en matière d’emploi et un compte rendu détaillé des progrès réalisés quant à l'augmentation de la représentation des groupes désignés et au soutien qui leur est apporté. Cette modification devrait ajouter l’obligation de faire rapport sur toute mesure spéciale visant à éliminer des écarts ou des obstacles précis touchant un ou plusieurs groupes désignés.

Les rapports d’étape annuels que les employeurs du secteur privé présentent au ministre du Travail devraient comprendre des renseignements qualitatifs et quantitatifs obtenus par la surveillance des mesures et des programmes spéciaux et par les commentaires des personnes participantes. Tous les ministères et organismes fédéraux devraient faire la même chose dans leurs rapports d’étape annuels à l'intention du Secrétariat du Conseil du Trésor. Ces rapports d’étape, qui font état des progrès, devraient être publics, une mesure qui pourrait inciter les employeurs à se conformer à la LEE.

Comme nous l’avons déjà souligné, la collecte de données qualitatives désagrégées qui traduisent l’expérience vécue en emploi par les groupes méritant l’équité est indispensable pour mesurer le succès des programmes d’équité en matière d’emploi à l'échelle de l'organisation et du secteur d'activités. Des rapports sur les données qualitatives aideront à détecter les écarts et les obstacles persistants et à comprendre les raisons de leur existence. 

La CCDP invite le Groupe de travail à recommander que la LEE modifiée comprenne des dispositions exigeant d'autres types de rapports, comme la publication des résultats de sondages ciblés sur l’équité en matière d’emploi menés soit par un seul employeur soit dans des secteurs d'activités ou des industries soit aux deux échelons à la fois. Il pourrait s'agir, par exemple, d'un sondage invitant les femmes autochtones à répondre à diverses questions en vue de recueillir des données sur leurs expériences en emploi dans un secteur d'activités donné comme celui du transport aérien.

Comités d'équité ou de diversité en matière d'emploi

Selon la CCDP, le fait d'obliger les employeurs à intégrer, dans leurs rapports annuels, les travaux des comités d'équité ou de diversité en matière d'emploi représenterait une bonne occasion d’évaluer les renseignements fournis par les employeurs. On pourrait, par exemple, modifier le paragraphe 18(5) de la LEE pour exiger une attestation d'authenticité signée par le président ou la présidente du comité d'équité en matière d’emploi dans le cadre du processus que l'employeur doit suivre pour attester l’exactitude des renseignements présentés dans ses rapports. Cette obligation pourrait favoriser la consultation et la collaboration entre les employeurs et les représentants des employés, y compris les représentants syndicaux. 

Communication de renseignements sur l’examen des systèmes d’emploi (ESE)

Dans leurs rapports annuels sur l’équité en matière d’emploi présentés au ministre du Travail, les employeurs devraient insérer une section formelle sur les données obtenues au moyen de l'ESE, y compris des renseignements sur les principaux obstacles à l’emploi qui ont été détectés. Les ministères et organismes fédéraux devraient aussi faire rapport périodiquement de la même manière au Secrétariat du Conseil du Trésor.

Communication de renseignements sur le développement et la mise en œuvre des plans d’équité en matière d’emploi 

Dans leurs rapports annuels sur l’équité en matière d’emploi présentés au ministre du Travail, les employeurs devraient insérer une section formelle sur la mise en œuvre du plus récent plan d'équité en matière d'emploi et les mesures prises pour éliminer les obstacles à l’emploi et accroître la représentation des groupes désignés au besoin. Les ministères et organismes fédéraux devraient aussi faire rapport périodiquement de la même manière structurée au Secrétariat du Conseil du Trésor.

Actuellement, les employeurs peuvent décider d'étaler leur plan d’équité en matière d’emploi sur un, deux ou même trois ans. La majorité des employeurs choisissent de développer et de mettre en œuvre un plan d’équité en matière d’emploi sur une période de trois ans. Si un employeur choisit un échéancier de trois ans pour son plan d’équité en matière d’emploi, il devrait être obligé de prévoir des points de référence annuels qui confirmeraient l'atteinte de ses objectifs triennaux visant l'augmentation de la représentation. Par exemple, si un employeur veut mettre en place un programme de mentorat visant un groupe en particulier, son objectif de la première année pourrait être d'élaborer le programme et de commencer une phase pilote pour le mettre à l'essai. L'objectif de la deuxième année pourrait être de terminer et d'évaluer la phase pilote, de faire des ajustements et de lancer le programme. L'objectif de la troisième année pourrait être de surveiller le programme, d'obtenir le point de vue des personnes participantes et de peaufiner le programme tout en continuant de l'appliquer. Chaque initiative visant à combler les écarts de représentation devrait comprendre des échéances similaires et des résultats mesurables pour faire la preuve des progrès réalisés par l’employeur.

RECOMMANDATION 5f)

La LEE modifiée devrait obliger les employeurs à mesurer la progression professionnelle des membres des groupes désignés divisés en sous-groupes et à faire rapport sur ce sujet.

Dispositions obligeant les employeurs à mesurer la progression professionnelle

Chacun des quatre groupes désignés à l'heure actuelle reste sous-représenté dans les fonctions de leadership. La LEE en vigueur n'oblige pas les employeurs à se soucier de combler en priorité les écarts dans les fonctions de leadership, et les employeurs commencent habituellement par s'occuper des écarts dans les postes de premier échelon. Il s’agit de l'un des principaux facteurs expliquant la lenteur des progrès sur le plan de la concrétisation de la pleine représentation.

En plus de l’accès aux occasions favorisant l'avancement professionnel, il faudrait chercher des moyens de faire en sorte que la LEE modifiée évalue et fasse connaître le bilan d'un employeur sur les plans de l'éducation, du développement des compétences et de la formation professionnelle des travailleuses et travailleurs des groupes désignés. Comme l’a souligné la juge Abella dans son rapport de 1984, les stratégies relatives à l’équité en matière d’emploi peuvent atteindre leurs objectifs seulement si les groupes méritant l’équité ont accès à l’éducation et à la formation qui sont indispensables aux tâches de ces personnes dans le secteur d’emploi où elles travaillent ou veulent travailler.

Un salaire égal pour un travail de valeur égale est un autre critère important à utiliser dans le cadre des vérifications de conformité à l’équité en matière d’emploi pour évaluer les progrès réalisés en faveur des groupes désignés. L’approche proactive décrite dans la LES impose aux employeurs d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe dans leurs pratiques et systèmes de rémunération en évaluant, selon un échéancier précis, si les employés à des postes communément occupés par des femmes gagnent un salaire égal pour un travail de valeur égale sur leur milieu de travail. La CCDP recommande que des exigences semblables soient intégrées dans la LEE modifiée pour évaluer périodiquement si les emplois occupés par des travailleuses et des travailleurs des groupes désignés sont rémunérés à un salaire égal pour un travail de valeur égale et si l’avancement des groupes désignés suit la même courbe que celui de l’effectif en général.

Emploi précaire par opposition à emploi stable

Pour bien comprendre comment les travailleuses et travailleurs progressent professionnellement dans leur secteur d’emploi de choix, on doit absolument mesurer la proportion d’emplois précaires par opposition aux emplois stables, évaluer la répartition de ces deux types d'emplois au sein des groupes désignés et comparer cette répartition à celle au sein des groupes autres que ceux méritant l'équité. La CCDP invite le Groupe de travail à envisager des façons de modifier la LEE de manière à aborder cet enjeu. Par exemple, dans un premier temps, on pourrait obliger les employeurs à inscrire dans leurs rapports la proportion des emplois à durée indéterminée (par rapport aux emplois à terme ou à contrat) dans leur organisation, quels postes sont assortis d’avantages sociaux (régime de pension, assurance dentaire, assurance médicale, etc.) et qui occupe les divers types d’emplois. Parallèlement aux critères servant à mesurer les taux de représentation pour les emplois stables (ou permanents), ces données pourraient ajouter un angle sous lequel on mesurerait les progrès réalisés par un employeur sur le plan de l’équité en matière d'emploi.

Exigences relatives au soutien

Responsabilités relatives à la recherche, au développement des ressources et au soutien destiné aux employeurs

RECOMMANDATION 6a)

La LEE modifiée devrait renforcer les dispositions concernant la promotion de l’équité en matière d’emploi ainsi que la recherche et la sensibilisation à ce sujet.

La LEE modifiée devrait renforcer les dispositions de l’article 42 concernant la recherche, la promotion et l'éducation publique, des éléments formant un volet important d’une approche globale sur le plan de l’équité en matière d’emploi nécessaire en cette ère moderne pour les droits de la personne. Il est essentiel d’investir dans de solides campagnes continues de sensibilisation et d'éducation auprès du grand public et d'analyser des mécanismes de partenariat avec les systèmes d'enseignement conventionnels pour faire en sorte que les droits de la personne ne soient pas fragilisés si quelqu'un essaie de dénaturer et d'utiliser ces principes pour justifier des inégalités ou pour maintenir ou aggraver des désavantages historiques ou actuels.

La publication et la promotion d’études, ainsi que le développement d’outils et de ressources à l'intention des employeurs et des groupes méritant l’équité, sont essentiels au succès d’une LEE renouvelée et élargie. L’article 42 charge déjà le ministre d’entreprendre des initiatives dans ces domaines, mais cette disposition pourrait être renforcée et élargie étant donné qu'elle est très utile pour promouvoir une société et des cultures organisationnelles qui adoptent les principes de l’équité en matière d’emploi.

Comparativement à ce qui est prévu par l'article 42 en vigueur, un mandat élargi de sensibilisation du public serait complémentaire aux mesures de promotion plus ciblées qui visent les employeurs, les syndicats et les organisations du secteur d'activités. Si on fait mieux comprendre au public les avantages d'un système adaptable d’équité en matière d’emploi, on obtient la possibilité d’élargir la portée d’une LEE modifiée, ce qui pourrait être avantageux non seulement pour les organisations visées par la législation, mais aussi pour les employeurs et organisations ayant un effectif plus petit qui ne sont pas actuellement assujettis à la législation fédérale sur l’équité en matière d’emploi.

La LEE modifiée pourrait aussi avoir une disposition qui établirait une coresponsabilité de la CCDP et d'Emploi et développement social Canada (EDSC) quant à l'élaboration et au partage d’outils communs pour aider les employeurs à atteindre leurs objectifs d’équité en matière d’emploi. Cette disposition accentuerait la collaboration entre ces organisations et uniformiserait nos efforts et nos approches pour la promotion, l’éducation et la sensibilisation.

Ajout de dispositions obligeant les employeurs à élaborer des programmes de formation et de mentorat

« La concurrence dans la recherche d'un emploi doit être impartiale, ouverte à tous ceux et celles qui ont ou pourraient avoir les compétences, indépendamment de leur sexe, de leur origine ethnique, de leur race ou de leur handicap. »

- L’honorable juge Rosalie Abella, 1984

RECOMMANDATION 6b)

La LEE modifiée devrait contenir des dispositions obligeant les employeurs à élaborer des programmes et des stratégies de mentorat, de parrainage et de développement professionnel pour les groupes méritant l’équité et permettre à un employeur de donner de la formation préalable à l’emploi à des membres des groupes méritant l'équité. 

Le rapport Abella souligne l’importance de la formation préalable à l'emploi pour les groupes méritant l’équité comme condition au succès de tout programme d’équité en matière d’emploi. La juge Abella a aussi reconnu la difficulté d'établir les programmes en fonction des besoins éventuels du marché du travail; cependant, un nouveau tableau de l’équité en matière d’emploi ouvre la porte à des partenariats public-privé, comme des ententes élargies avec les communautés autochtones dans le secteur de l'exploitation des ressources ou des mesures incitatives visant l'élaboration et la coordination de programmes de formation des organisations nationales du secteur d'activités.

RECOMMANDATION 6c)

La LEE modifiée devrait consacrer les engagements du gouvernement fédéral à allouer certains niveaux de financement ou de subvention pour les mettre à la disposition des employeurs sous réglementation fédérale, en soutien aux programmes de mentorat, de parrainage et de développement professionnel et à la formation préalable à l'emploi.

RECOMMANDATION 6d)

La LEE modifiée devrait avoir une disposition garantissant de la formation périodique et actualisée sur la LEE, ses règlements et les meilleures pratiques, à l'intention des gestionnaires et des membres du personnel des ressources humaines qui s'occupent de la mise en œuvre et de l’application du plan d’équité en matière d’emploi d'un employeur.

L’Appel à l’action 92 de la CVR aborde précisément la responsabilité des entreprises d'adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et d'en appliquer les normes et les principes dans le cadre des politiques organisationnelles et des principales activités opérationnelles, y compris des initiatives visant à donner aux peuples autochtones un accès équitable aux emplois, à la formation et aux possibilités d'apprentissage dans le secteur des entreprises. Les ententes réalisées dans le secteur des ressources sont un exemple d’application de cette approche. Un autre exemple se trouve au chapitre 23 de l’Accord du Nunavut dont l’objectif est « d'accroître, à un niveau représentatif, le nombre d'Inuit qui occupent un emploi au gouvernement dans la région du Nunavut » et qui  comprend diverses exigences relatives à l’éducation et à la formation46. Des approches semblables visant à éliminer les écarts de représentation des Autochtones dans les effectifs pourraient être appliquées plus largement si la LEE est modifiée de manière à respecter l'engagement du gouvernement envers la réconciliation et l'application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

La LEE modifiée devrait aussi avoir des dispositions obligeant les employeurs à intégrer, dans leurs plans d’équité en matière d’emploi, des programmes et des stratégies de mentorat, de parrainage et de développement professionnel à l'intention des groupes désignés. Ces obligations devraient être assorties de mesures de soutien, de subventions et de fonds destinés aux petits et moyens employeurs ayant une capacité financière limitée pour assumer les coûts des initiatives d’apprentissage et de développement dans leur organisation, ainsi que la formation préalable à l’emploi donnée à des recrues qui sont membres de groupes méritant l’équité. Idéalement, les employeurs ayant des ressources financières suffisantes et traînant des écarts de représentation depuis longtemps pourraient être obligés de financer les formations préalables à l’emploi afin de faciliter le recrutement des membres des groupes désignés au besoin.

Le Groupe de travail pourrait aussi vouloir envisager de recommander des modifications correspondantes à la Loi de l’impôt sur le revenu pour inciter les employeurs à créer de tels programmes. Mis à part les modifications apportées en conséquence à d'autres lois, les engagements du gouvernement fédéral à financer des moyens de créer des possibilités de formation et d’apprentissage pour les groupes méritant l’équité devraient être enchâssés comme tels dans la LEE modifiée.

Des programmes de subvention et de contributions comme le programme « Possibilités en milieu de travail : Éliminer les obstacles à l’équité (PMTEOE)» devraient être élargis et cibler les domaines, les branches et les secteurs d'activités où on a relevé des écarts importants.

Le Groupe de travail devrait aussi analyser comment la LEE modifiée pourrait soutenir les programmes de formation et de recertification pour les membres des groupes méritant l’équité qui immigrent au Canada et qui possèdent déjà des compétences et des qualifications, mais qui n’arrivent pas à obtenir un emploi dans leur domaine. La juge Abella a abordé cette question aussi dans son rapport en faisant remarquer que le « processus d'établissement des immigrants pourrait commencer avant l’immigration comme telle: les immigrants éventuels recevraient des renseignements sur les emplois disponibles et sur les critères régissant l’accréditation professionnelle. Une façon d'aider les immigrants hautement spécialisés à s'établir en tant que professionnels est de créer un organisme chargé de leur fournir des conseils sur la façon de [sic] d'obtenir l’accréditation professionnelle nécessaire ainsi que des renseignements sur les cours de langue offerts47. » Bien qu'il serait probablement préférable d'aborder certains aspects de cette approche par des programmes et des services, le principe de base d'offrir des programmes d’éducation, de formation et de recertification aux personnes qui immigrent au Canada devrait être pris en considération par le Groupe de travail.

Formation destinée au personnel des ressources humaines et aux gestionnaires

En plus d'aider les travailleuses, les travailleurs et les employeurs, le personnel responsable de la mise en œuvre et de l’application du plan d’équité en matière d’emploi de leur employeur devrait recevoir périodiquement une formation actualisée sur les principes d’équité en matière d’emploi et leur application. La LEE modifiée devrait avoir une disposition obligeant le gouvernement, en partenariat avec les employeurs et les représentants des employés, à élaborer une formation sur l’équité en matière d’emploi et à la dispenser à tous les membres du personnel des ressources humaines et gestionnaires responsables du recrutement, de la formation et du maintien en poste des autres membres du personnel. Étant donné l'évolution rapide de l’accès aux plateformes de formation virtuelle ou numérique, l’offre de ce type de formation est de plus en plus facile d'accès et abordable pour les employeurs de toutes tailles.

Ajout d'une disposition exigeant du gouvernement fédéral de soutenir les intervenants et de favoriser leur participation

RECOMMANDATION 6e)

La LEE modifiée devrait avoir une disposition qui oblige le gouvernement fédéral à aider les intervenants à avoir un accès équitable aux processus décisionnels ayant des répercussions sur les travailleuses et travailleurs méritant l’équité. 

Pour porter fruit, l’application de la législation fédérale sur les droits de la personne nécessite la pleine participation des intervenants et des ayants droit, notamment les personnes pouvant témoigner de leurs expériences vécues et les organisations qui les représentent. Les avantages d'une participation substantielle sont nombreux et revêtent une importance capitale pour le processus continu d’évaluation de l’efficacité de la législation, des politiques et des programmes. La participation favorise la discussion, la réflexion et l’apprentissage continu sur les enjeux.  Selon la CCDP, la participation des intervenants concrétise les principes de participation et d’inclusion, inhérents aux droits de la personne, et elle est essentielle à l'efficacité d’un texte de loi proactif comme la LEE.

Cependant, en plus des obstacles à l’emploi, de nombreux groupes méritant l’équité et leurs représentants rencontrent des obstacles à leur contribution au processus de participation. Par conséquent, il faut fournir à ces divers groupes les mesures de soutien nécessaires pour leur permettre de participer et de contribuer au dialogue continu et au processus décisionnel concernant les politiques et programmes d’équité en matière d’emploi qui découleront de la LEE modifiée.

Le soutien qui est donné aux intervenants au long du processus de mise en commun des connaissances et des expériences contribue au succès des initiatives de participation. Un soutien substantiel peut motiver davantage les intervenants à participer significativement et, de manière importante, aider à éliminer les obstacles à la participation.

Ce soutien pourrait prendre la forme d’une compensation financière versée individuellement aux ayants droit; de programmes de financement ou de subvention élargis à l'intention des organisations défendant les droits des travailleuses et travailleurs méritant l’équité; ou d’autres mesures de soutien visant à stimuler la participation aux processus relatifs à l’équité en matière d’emploi. La CCDP recommande que la LEE modifiée ait une disposition obligeant le gouvernement fédéral à soutenir les intervenants de manière à leur donner un accès équitable aux initiatives favorisant la participation publique.

RECOMMANDATION 6f)

Durant l'examen de la LEE, il faut envisager la nécessité d'allouer des ressources supplémentaires destinées à l'application d'une LEE élargie. 

Augmentation des ressources allouées en soutien à l’élargissement de la LEE

Le régime d'une LEE élargie aura besoin d'une allocation de ressources suffisantes pour sa mise en œuvre. Il ne faut pas seulement des ressources destinées aux fonctions de conformité et de contrôle de l'application, mais aussi à des activités productives de sensibilisation du public, de recherche et de défense des droits.

La CCDP sait d'expérience que le système en place n'a pas les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs de la LEE en vigueur. En utilisant le peu de ressources à sa disposition, la Division de l’équité en matière d’emploi de la CCDP a innové en suivant une diversité d’approches pour élargir la portée de son programme de vérification de la conformité, mais il y a des limites à ce que ce programme peut donner en raison autant des ressources restreintes que des imperfections de la LEE.

Pour renforcer la LEE, étendre sa portée et raffermir les mesures de contrôle de son application, il faudra allouer des ressources suffisantes à toutes les parties qui jouent un rôle dans la mise en œuvre et l’application du système. Cet aspect devrait être abordé dans les recommandations du Groupe de travail.